Les mots bleus – Christophe- avril 2020 (©Céline Lajeunie)

13 avril au 20 avril 2020, épi­sode 6 du confi­ne­ment contre le COVID-19

Comme des fenêtres – épi­sode 6

Avec

musi­ciens, auteurs, chan­teurs, dan­seurs en gras dans le texte


Comme rien ne dure, par le coup du sort, par la bru­ta­li­té des mala­dies qui abrègent la vie, la chan­son de Bour­vil La ten­dresse est aujourd’hui détrô­née par une autre chan­son de notre patri­moine : « Les mots bleus, les mots qu’on dit avec les yeux » … Les mots et la voix de son inter­prète, Chris­tophe, résonnent étran­ge­ment dans ces temps absurdes où les corps sont pri­vés de leur élan vers les autres… La chan­son de Daniel Bevi­lac­qua pour le texte et de Jean-Michel Jarre pour la musique n’en finit pas de nous accom­pa­gner avec les récentes images du chan­teur en scène, en inter­view, avec sa voix prête à se rompre. Dès le len­de­main matin, la chan­son dont on redé­couvre la mélan­co­lie, la fra­gi­li­té du rêve amou­reux, court sur l’écran de notre télé­phone, de notre ordi­na­teur, répand la triste nou­velle : « Le vent d’hiver souffle en avril »… On entend Michel Vivoux, puis comme en écho, Cathy Fer­nan­dez dans une ver­sion lente, si douce, si douce, plus émou­vante encore… Plus tard, plein d’autres les rejoignent, Mat­thieu Chedid‑M met sa belle veste cha­mar­rée de rouge pour une ver­sion qui mérite le détour, comme cha­cune de ses reprises. On s’arrêtera lon­gue­ment sur celle de Serge Lopez et sa gui­tare fla­men­ca, une « chan­son sans paroles » puisque la voix s’est tue.

Ce ven­dre­di matin là, Fran­çois Morel sur France Inter s’interroge, nous inter­roge sur ce chan­ge­ment dans nos têtes « A quoi tu penses ? » et ras­semble dans sa chro­nique Les mots bleus et La ten­dresse. La boucle est bouclée.

Kent, de son côté, choi­sit Les para­dis per­dus, évoque l’adolescence, le temps du lycée. Juliette Tour­ret et son uku­lé­lé en donne une ver­sion bou­le­ver­sante. Les Marion­nettes revivent avec le duo Alcaz’ et Fran­cis Cabrel… Ce sont ces marion­nettes là qui ont mar­qué de leur sceau l’année 1965, avec France Gall (Pou­pée de cire, pou­pée de son), Claude Fran­çois (Même si tu reve­nais)… et Aline. Bien sûr, Aline. Le slow de nos quinze ans… Pen­dant ce temps là, Zor­ba le Grec dan­sait le sir­ta­ki et la musique de Míkis Theo­dorá­kis cou­rait le monde entier avec le rire d’Antho­ny Quinn, et nous les filles (presque exclu­si­ve­ment les filles !) nous repre­nions cette danse pour que s’expriment la joie, l’oubli, l’envie d’embrasser la vie…

La danse, c’est aus­si elle qui s’invite sur nos écrans, y met sa force, son lan­gage incom­pa­rable à l’heure où les corps sont bri­més, enfer­més, iso­lés, inter­dits de leurs libres mou­ve­ments. Quoi de plus élo­quent à ce titre que le docu­men­taire de Valé­rie Mül­ler, Dan­ser sa peine, plu­sieurs fois récom­pen­sé pour la force et la beau­té de son mes­sage ? Le dan­seur et cho­ré­graphe Ange­lin Prel­jo­caj y mène un pro­jet de créa­tion de bal­let avec des femmes incar­cé­rées aux Bau­mettes… Alors, parce que le corps souffre, regar­dons ce que la danse nous offre aus­si au gré des jours, en rap­pe­lant qu’il y a un siècle la chan­son ne se conce­vait pas sans elle. « En atten­dant nos corps pour dan­ser le tan­go », chante fort à pro­pos Oli­vier Daguerre.

Pen­sons d’abord à la danse qui accom­pagne les musiques du monde, comme celle, acro­ba­tique, des Géor­giens dans la page du car­net de voyage que Jean-Claude Barens illustre avec le folk band Bani. Notons que cha­cune de ces pages de car­net serait pré­texte à dan­ser… Irlande, Japon, Fin­lande, Ethio­pie, Por­tu­gal, Argen­tine, Equa­teur, Laos… Plus fami­lière à notre Occi­ta­nie, on peut aus­si écou­ter l’accordéon dia­to­nique de Rémi Gef­froy accom­pa­gnant mazur­ka ou bour­rée à deux temps et voir l’image d’un couple (Bib Bal­folk) qui danse sur cette musique…en Italie !

On s’attarde aus­si, au gré des pages Face­Book, à la cho­ré­gra­phie éton­nante des mains de Claire Ducreux, de son com­pa­gnon et de ses filles autour d’une table, aux images noir et blanc du superbe duo de Marie-Claude Pie­tra­gal­la et Julien Derouault, au mes­sage de sou­tien à tous ceux qui se mobi­lisent pour nous tous, du Bal­let de l’Opéra Natio­nal de Paris. Cette vidéo réa­li­sée par Cédric Kla­pisch, sur une musique extraite de Roméo & Juliette de Pro­ko­fiev est fas­ci­nante avec ces dan­seurs et dan­seuses fil­més chez eux, sur leur bal­con, dans leur jar­din, leur salon, leur cou­loir… Que dire aus­si, quels mots poser sur un « tan­go confi­né » d’une incroyable sen­sua­li­té dans une cui­sine, en Ita­lie ? Elle danse, il l’accompagne à la gui­tare. Que dire de la dan­seuse Neige Sali­nas (Cie Dio­time) qui vient à plu­sieurs reprises impro­vi­ser dans son cou­loir, dire le corps contraint dans un si petit espace ? Ces mots là, peut-être, ceux de Claude Nou­ga­ro que chante Her­vé Suhu­biette « La danse est une cage où l’on apprend l’oiseau »… La dan­seuse Sofia Nmi­li, elle, choi­sit Fan­tai­sie, la chan­son de Laurent Ber­ger, « Herbe folle sau­vage, à toute heure, à tout âge, je m’appelle fan­tai­sie, funam­bule de la vie » et impro­vise, en apesanteur…

On ne sau­rait ter­mi­ner cette sixième chro­nique d’un prin­temps confi­né, sans dire quelques mots encore du Prin­ti­val Boby Lapointe qui s’est brillam­ment mué en Printi’PlusJoliqueJamais, qui, chaque soir, a réus­si à réunir en direct à 19h les artistes invi­tés, y com­pris les cou­sins d’Amérique du Nord. Un exploit, vrai­ment, annon­cé chaque fois avec le mur­mure dans la salle, les applau­dis­se­ments et la musique créée pour l’occasion par Jona­than Mathis. Fran­che­ment ce fes­ti­val avait bien de l’allure, comme ces images mon­tées avant même la fin du fes­ti­val, réunis­sant une par­tie des mari­nières invi­tées à s’exhiber !

Évo­quons pour tra­duire l’esprit de ce fes­ti­val, la vidéo de l’Académie Charles Cros – bra­vo à Ger­main le Cabel­lec pour le mon­tage – réunis­sant les témoi­gnages de Chloé Lacan, Govrache, Laurent Fal­lot (Des four­mis dans les mains) en train de jar­di­ner, Bas­tien Lucas dans sa mon­tée d’escalier, le des­sin humo­ris­tique de l’Hélicon récla­mant « Pas de dis­cours, de la zique ! »… Alors le duo Kuzy­lar­sen s’exécute et chante Le long de ta dou­ceur – et c’est très beau ! – Éve­lyne Gal­let plus coquine que jamais s’adresse en chan­son à Manu le cui­si­nier, Marine Ber­cot (Ottilie[B]) chante, elle, sous un ceri­sier en fleurs, dans le jar­din de ses voi­sins, Jéré­mie Bos­sone sort de sa retraite pour enton­ner la chan­son en vieux napo­li­tain, Paese Mio, de Roc­co et ses frères (Nino Rota), et Toma Sidi­bé crée une petite chan­son pour le Prin­ti­val. La vidéo s’achève sur une image d’archives de l’incontournable B.I.B.L.E (Bri­gade d’Intervention Boby Lapointe Ephé­mère) dans l’une de ses inter­ven­tions, au coin d’une rue de Péze­nas, menées par Her­vé Lapa­lud et Jona­than Mathis.

Grâce à Jean-Claude Barens, redou­table pas­seur de cultures, bous­cu­lant les codes et les cases avec sa série Rug­by sur l’ongle, confions les mots de la conclu­sion à un chan­teur inat­ten­du, Omar Hasan, redou­table pilier droit au rug­by, recy­clé dans le chant lyrique : « J’aime l’idée de pro­cu­rer des émo­tions aux autres. C’est un moteur, chez moi. Et je n’ai pas trou­vé dans ma vie de meilleure solu­tion pour y arri­ver, que de por­ter des cram­pons ou de chan­ter des chansons. »

Ces mesures de confi­ne­ment ne feront pas taire les chan­teurs, les musi­ciens, n’empêcheront pas le lan­gage des corps… Les artistes conti­nue­ront de nous pro­cu­rer des émo­tions et nous, de leur faire la courte échelle.