Zob’ – 1er festival Lève ton vers (© Marylène Eytier)
7 avril 2017 – 4 ème journée du Festival Lève ton vers
avec Erwan Pinard (solo guitare, voix) & Zob /Benoît Bastide (voix) Jérôme Bresset (beat box, percussions et sons inattendus), Benoît Rapetti (contrebasse, basse)
Le Bijou (Toulouse)
A vrai dire, on ne sait trop comment rendre compte d’une telle soirée ! Un vent de folie souffle sur le Bijou. Une soirée qui s’achève à une heure du matin avec Erwan Pinard courant sur le trottoir pour accompagner le fourgon emportant Zob’ et ses deux complices … Des bras s’agitent à la portière… Comme des mômes qui ne parviendraient pas à se quitter après leur séjour en colo. Voilà. On voudrait surtout parler de ces rencontres là, de ces partages inattendus… Une fois encore les deux artistes ne se connaissaient pas avant cette soirée.
A l’évocation de cette « scène d’adieux », on se laisse aller à des élucubrations teintées de nostalgie. A l’heure où l’on fête les quarante ans de la disparition de Jacques Prévert, son parcours hors des sentiers battus, poètes des petites gens, des sans grade, poète de oiseaux, amis des surréalistes, peintres et écrivains, scénariste-dialoguiste, on se souvient qu’il fut aussi membre de la troupe de théâtre militant, le groupe Octobre des années 30… Et soudain, en mal d’espérance, en soif d’idéal, on se prend à rêver que ce festival « Lève ton vers », premier du nom, pourrait être l’initiateur d’un mouvement un tantinet libertaire, où s’échangeraient les mots, les idées, les chansons, pour que la vie d’artistes ne se vive plus à l’aune de sa seule subsistance et de son seul domaine artistique. Pour que les modes d’expression, les modes d’action culturelle se croisent, s’enrichissent mutuellement.
Après cette digression, venons-en à cette soirée, à ces deux concerts. C’était une vraie jubilation de retrouver Erwan Pinard, sa démesure vocale, son rapport au public dont il fait constamment son partenaire, ses textes désopilants qui prennent le contre-pied des idées, des images reçues. Un vrai camouflage de tendresse avec ces « chansons d’amour un peu penchées » dit-il, un amour obsédant qui s’en vient sans cesse tambouriner ses coups de blues, ses coups de « je t’aime moi non plus »… Car on sait tous qu’il suffirait de s’élancer, de dire « je t’aime » pour que tout s’éveille. Oui, mais voilà, c’est quoi « aimer » ? On a beau le disséquer cet amour- même en labo, comme les grenouilles ! – on n’y comprend pas grand-chose… sauf peut-être qu’il faudrait parvenir à « entonner un autre refrain »que celui de la peur… « Si l’on s’étonnait au quotidien ? ».
Voilà pour l’amour. Mais Erwan Pinard nous régale aussi de ses chansons qui interrogent sur notre monde, sur le langage, sur nos euphémismes envahissants. Et l’on rit encore beaucoup. On rit souvent de ses interventions dans le public, de ses anecdotes comme celle qui nous raconte qu’il peut lui arriver de confondre ses deux vies : celle de professeur de musique en collège et celle d’artiste en scène !
Quant à Zob’, c’est en trio qu’il est venu, encadré de deux musiciens assez antithétiques. A sa droite, Jérôme Bresset, au physique de lutteur, ou de rugbyman – écossais si l’on se fie au kilt, mais cévenol en fait ! – qui peut bondir comme une gazelle. Percussionniste, véritable jongleur, inventeur de sons. A sa gauche, dans une tenue stylée, Benoît Rapetti à la basse, contrebasse, qui, à sa façon, jongle pareillement avec les rythmes et les sons… Élégance, sobriété, efficacité. Nous avons pris un grand plaisir à suivre son jeu.
Zob’, lui, affiche la gestuelle, les déplacements du rappeur, dans son bermuda et son tee-shirt où s’inscrivent les mots : « Zob’ c’était mieux avant ». Lui aussi prend le parti de ne pas avoir l’air de se prendre au sérieux, d’être resté dans l’enfance, du côté de l’authenticité et du jeu. Partager avec le public, le bousculer aussi mais sans malice. Un enfant, vous dis-je, qui joue sur le décalage entre le contenu de ses textes et le jeu scénique. D’ailleurs c’est l’objet d’une chanson qui rend hommage au cévenol de service : « Laissez moi laissez moi la respiration/laissez moi je viens du vert le rural jardin maison/j’ai une histoire je vis spécial /au village on dit de moi : l’original… »
On découvre au fil des chansons un univers assez éloigné de l’innocence et de la joie qui commence d’ailleurs par cette question : « C’est quoi au juste un homme… ? » Zob’ égratigne par exemple notre habitude des bisous, de l’entre soi, assez égoïste au fond « Tu le connais, je le connais, je m’en délecte/l’ai croisé, lui ai écrit, c’est un ami/Ami : personne sur laquelle pour le commerce on peut compter » ; il rend hommage à 1936, à l’Éducation Populaire que l’on oublie trop souvent, à Léo Lagrange : « Je respire mieux Léo /quand j’vois les gens qui soufflent /sens tu ce grand souffle ? ». Il dévoile aussi sa fragilité, sa tendresse dans sa chanson pour leur ami Hervé, musicien disparu, ou pour ce « Petit Bonhomme » à qui il adresse une lettre bouleversante : « Je sais c’est dur petit bonhomme /D’apprendre si vite à tout multiplier par deux /Je sais c’est dur petit bonhomme /De diviser sa vie en deux… »
C’est en offrant une chanson à Erwan Pinard dont il insère le nom dans le refrain qu’il achève son concert : « C’est ça la vie, C’est Erwan Pinard… » Erwan Pinard jubile parmi les spectateurs et nous aussi.
Chacun à sa façon a apporté ce soir sa justification au nom du festival, « Lève ton vers »…
L’un et l’autre ont mis notre langue debout.