Magyd Cherfi – Un tour de magie (© Droits Réservés )

Magyd Cher­fi – Un tour de magie (©Droits Réservés)

24 septembre 2017 – 9ème Festival Un bol d’Air S - Magyd Cherfi

en concert « Un tour de magie »

Avec

Magyd Cher­fi (voix) avec son quar­tet nord tou­lou­sain : Samir Laroche (cla­viers), Sébas­tien Rideau (gui­tares), Pas­cal Cel­ma (basse), Fré­dé­ric Petit­prez (bat­te­rie)


Salle des Fêtes – Puygouzon (Tarn)

Que jus­tice soit ren­due à un fes­ti­val, à côté d’Albi, petit frère de Pause Gui­tare. Ils ont en effet les mêmes parents, géné­reux et rigou­reux, qui veillent : Annie et Alain Navar­ro de l’association Arpèges et Tré­mo­los. La petite ville de Puy­gou­zon, 3000 habi­tants, peut s’enorgueillir d’abriter un bel évè­ne­ment, le bien nom­mé Bol d’AirS. Une salle des fêtes qu’une équipe de sala­riés et béné­voles trans­forment en salle de concert, et en petites alcôves cos­sues pour l’accueil des artistes. Un par­king sou­dai­ne­ment trans­for­mé en guin­guette et en face, une média­thèque superbe agré­men­tée d’espaces verts qui se parent de teintes autom­nales. Du jaune, du roux et du soleil par-des­sus pour cette 9ème édition.

Voi­là pour le décor. On oublie très vite l’accès par une zone com­mer­ciale sans âme comme notre monde d’aujourd’hui sait les plan­ter aux portes des villes. L’évènement éclec­tique à sou­hait offre trois jours de spec­tacles : six gra­tuits sur huit. Un ciné –concert avec Le car­na­val de la petite taupe. Le trio Yélé et sa « musique sang mêlé ». Shan­tel avec son Buco­vi­na Club Orches­tar, une pop qui se moque des fron­tières. Il était un pia­no noir, temps de lec­ture musi­cale avec les der­niers mots de Bar­ba­ra, une bulle d’émotions. En paral­lèle, une clow­ne­rie de Jean Pichon où les objets auraient sou­dain un goût d’indépendance. Pas vu Pas Pris, le trio d’Yvette et son esprit guin­guette, tein­té d’humour. Enfin les deux vedettes : Cali en solo et Magyd Cher­fi.

Magyd Cher­fi à Tou­louse c’est une valeur, un repère. C’est celui qui a un appé­tit, une soif de mots tel­le­ment forte qu’il a vain­cu mille et un obs­tacles pour se retrou­ver il y a un an aux portes de l’un des prix les plus pres­ti­gieux de la lit­té­ra­ture fran­çaise : le prix Gon­court. Depuis, il court de librai­ries en média­thèques pour dire haut et fort [sa] Part de Gau­lois.

Magyd Cher­fi c’est aus­si une voix, celle des Zeb­da… Une voix grave et un accent qui dénoncent sa petite patrie, Tou­louse, et sa « toute petite Ama­zo­nie » : le quar­tier des Izards, quar­tier Nord. C’est avec cette voix, avec cet enra­ci­ne­ment là, avec toute cette his­toire, cette enfance et cette ado­les­cence de gamin qui cherche dou­lou­reu­se­ment sa place qu’il crée aujourd’hui. Et qu’il monte en scène, puis­sant et géné­reux. « A Puy­gou­zon, comme à la mai­son » ! D’ailleurs sur la scène trône une petite table ronde habillée de rouge et noir, éclai­rée d’une toute petite lampe et des textes qu’il va feuille­ter. Comme à la mai­son. Les chan­sons sou­lignent des pas­sages du livre, mettent l’accent fes­tif, joyeux par­fois, tendre aus­si sur quelques réa­li­tés plus ou moins déses­pé­rantes, il faut le dire. Sou­li­gnons tout de suite la pré­sence de ses musi­ciens qui le suivent « au cor­deau ». Une for­ma­tion qui s’amuse avec lui, qu’il salue constam­ment. Ses par­te­naires, ses amis. On le voit on le sent. Et la musique donne à dan­ser sou­vent ; ça rock, ça reg­gae, ça valse, ça swing… ça vous emmène du Nord au Sud.

Les chan­sons de son der­nier album Caté­go­rie Reine, sont comme la bande ori­gi­nale de son récit. L’homme qui dévide son his­toire. Il le fait avec beau­coup de déri­sion même s’il ne nous cache rien. On sent que le dis­cours est vrai. Sous les mots tru­cu­lents, d’une saveur sin­gu­lière avec son accent, suinte beau­coup de vio­lence et ce n’est pas en vain que Magyd adopte sou­vent l’attitude du boxeur, les poings devant. Un petit quelque chose de Claude Nou­ga­ro dans la pré­sence scé­nique qui sans aucun doute n’aurait pas renié une phrase comme celle-ci : « La Terre est un tata­mis mais qui est l’arbitre ? »

Peu à peu, au fil des chan­sons, se des­sinent les contours d’une vie pas vrai­ment facile quand on est /​on naît un peu « des deux côtés de la mer », quand on vit dans la cité, « rue du kiki cir­con­cis ». La cité, « un zoo puisque l’on se don­nait des noms d’oiseaux », où les coups pleuvent, faute d’avoir les mots pour se par­ler, où « la poli­tesse est une défaite ». Quand on doit bien s‘avouer « éter­nel­le­ment déçu » des pro­messes poli­tiques mal et non tenues. Quand l’espoir se réduit à jouer au loto ou à l’un de ces jeux de hasard pour Les gens tristes. Quand on en a assez de « res­ter au rez-de-chaus­sée »… Avec par­fois jusqu’à l’envie de « reprendre le sein qu’on a bu ». 

Un auto­por­trait se des­sine ain­si. Celui d’un enfant dif­fé­rent. Un enfant qui a soif et faim de mots. Ces mots étran­gers aux autres de la cité, ces mots qui l’isolent et le condamnent. Un ado­les­cent qui gran­dit dans la peur [des] filles d’en face qu’une armée de fran­gins, cou­sins, voi­sins pro­tègent de l’on ne sait quoi, qui « pré­fèrent une tarte dans la gueule à un poème d’Eluard » qui « subissent le tri­bu­nal des cour­sives »… Magyd leur consacre une chan­son réso­lu­ment fémi­niste, Ayo, trans­crip­tion de leur cri lorsqu’elles reçoivent une claque. Car il reste réso­lu­ment rebelle et debout avec ses convic­tions che­villées à l’âme, comme lorsqu’il chante à nou­veau Le pont du Car­rou­sel, en hom­mage à Bra­him Boua­ram, vic­time d’« un coup d’épaule de trop ».

Enfin on gar­de­ra pour la fin le por­trait des parents. La mère, figure tuté­laire, une « mama », une vraie, puis­sante et déter­mi­née. Celle qui pro­tège et condamne. Magyd l’évoque en termes superbes, tendres et amu­sés. Celle qui parle un « fran­çais à la scie sau­teuse », celle qui répond inévi­ta­ble­ment Inch ‘Allah peut-être mais qui signi­fie « non »… « Allez croire en Dieu après ça » ! Celle qui montre la voie : « Arrête avec ce bal­lon. Va faire tes devoirs ! » Et qui rap­pelle la loi à coups de pim, pam…

Puis le père qui nous vaut l’un des titres les plus puis­sants de l’album, Tu, ce « pro­nom pas sin­gu­lier », ces deux lettres qui résument tout : « Jamais tu as eu droit à un vous, à un Mon­sieur »… Et ce « petit qui veut qu’on dise vous »…

Ce concert est un étrange phé­no­mène en somme : une conju­gai­son de joies ins­tru­men­tales, d’une pré­sence scé­nique entière, cha­leu­reuse, d’une réflexion pro­fonde sur le poids et la saveur des mots, sur les bar­rières men­tales qui se dressent entre les êtres pour peu qu’ils ne vivent pas dans le même quar­tier. Mais c’est sur­tout un fabu­leux mes­sage d’espoir.

Un vrai bol d’air !