Barjac, Mehdi Krüger (© Julien Petit)
3 août 2016 – Barjac m’en Chante, Mehdi Krüger
avec Mehdi Krüger (voix) accompagné par Ostax, guitare électrique
Chapiteau – Barjac (Gard)
Imaginer qu’un texte peut changer le monde tout en sachant que ça ne sera pas le cas. Mais si on n’en ressent pas l’intime conviction, juste l’espace d’une seconde, autant reposer tout de suite son stylo et ne pas gaspiller de papier inutilement.
Voici Medhi Krüger, la découverte majeure de cette édition attendue d’un festival qui joue la carte du métissage… Enfin, aimerons-nous souligner !
Aux premières minutes de ce concert, dans la fournaise du chapiteau, quand les éventails blancs s’y agitent en cadence comme autant de papillons, on sait que l’on vit un moment d’exception.
Tant il est vrai qu’il faut peu de temps pour se laisser conquérir… C’est la dure loi du spectacle vivant !
Mehdi Krüger, un nom qui sonne comme un défi, qui dit la rencontre improbable des peuples nomades. De leur plein gré ou non. Depuis la nuit des temps les hommes vont au-devant les uns des autres, au mépris des frontières. On n’arrêtera jamais ce flot, quoi que prétendent certains.
Medhi Krüger … Alger – Lyon – Paris – Berlin… Les premiers mots, les premières notes de la guitare électrique d’Ostax sont les prémices d’un voyage, « naufragé volontaire sous cette grande gueule d’atmosphère ». Destination inconnue. « Assis sur les toits, suspendu au-dessus du vide /Au-dessus des lois /Au dessus de la ville »… Comme un cerf – volant. Les bras de Mehdi s’écartent. Il le faut bien car il faut faire face aux vents contraires. Ils dessinent des arabesques, des vagues incessantes… L’homme danse, l’homme rêve même quand il est au ras de l’asphalte, au ras des rencontres pathétiques d’un matin sur la ville… « Un beau jour pour s’ouvrir /C’est maintenant demain ».
Très vite on se dit que l’on ne lâchera pas cette main qu’il tend en venant en bord de scène. Quand il dit « Alors viens », on largue ses amarres, on se laisse emporter dans sa longue mélopée que la guitare escorte. On le suit dans ses méandres amoureux, quand il appelle « Elle me manque tant, Elle me manque tant /Quel manque de veine, Vivement qu’elle vienne », quand il voit que l’« on se tue à se taire », que « certains deuils ont lieu avant les funérailles ».
On le suit dans la zone de transit à Sétif, quand partagé entre deux mondes, il se sent « Arabstrait », le berbère, le kabyle… ce « gosse de banlieue qui fantasme sur la rose et le sabre… une race, un peuple à lui tout seul. » On le suit Une seconde avant l’impact. Cette seconde d’éternité, comme un arrêt sur image de vies parallèles… « Tragédie du hasard … juste avant les sirènes, les gyrophares, les psychodrames, le sang, les larmes… »…. Et face à ce monde là pas d’autre alternative. Il est urgent d’écrire, écrire encore, dire, chanter…
« Ouvre ma main /Voici une gomme pour tes erreurs d’hier / Un stylo pour celles de demain »
Déserteurs toujours. Libertaires encore … « Nous abolirons la mort et la peine /Et à jamais notre ombre s’étendra sur l’infini des plaines ». Ces mots, à l’instant de les entendre, sous ce chapiteau à Barjac, en ce jour d’août 2016, ne seraient donc pas tout à fait morts.
Le public fait une ovation à cette utopie dessinée. Nous serons « désertaires »…
Mehdi Krüger est-il chanteur ? A plusieurs reprises il prononce le mot « chanson » et revendique ainsi son appartenance à cette famille qui lui inspire ce titre, Saint-Germain d’Après…
Est-il poète ? Sans l’ombre d’un doute. Il s’en vient rejoindre la longue cohorte des aèdes, troubadours, ménestrels et bardes qui portent le Verbe à sa dimension de parole inspirée. Celle qui nous relie par delà les espaces et les temps.