Michèle Bernard & Monique Brun (©Jeanne Garraud)

Michèle Ber­nard & Monique Brun (© Jeanne Garraud)

24 novembre 2017 – Michèle Ber­nard & Monique Brun

Un p’tit rêve très court 

Avec

Michèle Ber­nard (accor­déon, voix), Monique Brun (voix)


Le Bijou (Tou­louse)

Cette pièce de Liou­bo­mir Simo­vitch raconte les péri­pé­ties d’une troupe de théâtre qui tente, au milieu des guerres et des remous de l’histoire, de sur­vivre en conti­nuant de jouer son rôle, offrir les armes de l’imaginaire pour affron­ter la vio­lence du réel, et pour­quoi pas, aider à le trans­for­mer, même avec une épée en bois.

Un p’tit rêve très court se veut une modeste épée en bois poétique…

Un p’tit rêve très court 

Que pou­vons-nous faire, pauvres humains, pour sur­vivre au dégoût, à la nau­sée que génèrent la vio­lence et la haine ?

Michèle Ber­nard et Monique Brun sont de ceux et celles qui luttent avec des armes impro­bables – armes de bois – celles de l’imaginaire. Et nous ne les remer­cie­rons jamais assez d’être faites tout entières de ce bois là, de cette veine, de cette tex­ture qui résiste à la déses­pé­rance. C’est dans la salle du Bijou que ce soir leur souffle de vie va s’immiscer sous nos épais vête­ments d’hiver et atteindre notre cœur.

Nous entrons dans la salle, et là – sur­prise ! – nous les décou­vrons déjà ins­tal­lées en scène. Michèle a replié ses bras sur son accor­déon rouge, à sa gauche sur un sem­blable tabou­ret haut, Monique a posé ses mains sur ses genoux. Elles échangent quelques regards com­plices, quelques mots. Elles attendent l’heure du spec­tacle… Elles ont le temps de nous aper­ce­voir dans la salle éclai­rée et sans doute nous appri­voisent-elles déjà, à la façon du renard s’adressant au Petit Prince… « Tu t’as­soi­ras d’a­bord un peu loin de moi, comme ça, dans l’herbe. Je te regar­de­rai du coin de l’œil et tu ne diras rien…»

Quand le spec­tacle com­mence, en un rien de temps – rien qu’un tout petit ins­tant – les mots chan­tés de Michèle, les mots dits de Monique nous arrachent à notre siège, à notre réa­li­té. La chan­son Nomade nous emmène dans une terre loin­taine. Nous sommes sou­dai­ne­ment « petit enfant du désert [qui] vogue, vogue sur sa mère »… Et cet enfant là pour­rait bien croi­ser L’Antilope de Jules Super­vielle celle qui « emporte du ciel à ses cornes » celle devant laquelle fuient tous les autres ani­maux, même le lion.

C’en est fait, vous le com­pre­nez, l’imaginaire a pris le pou­voir. Le voyage a com­men­cé, Un p’tit rêve très court…qui s’en va cou­rir, léger, galo­per à l’assaut de nos émo­tions. Et le monde pour­rait s’arrêter là, « à un tro­gnon de pomme qui roule sur une nappe en papier »…

L’accordéon se fait doux, très doux. Les voix s’assemblent, se séparent. L’une chante, l’autre dit mais l’inverse est vrai aus­si. Elles semblent avoir com­plè­te­ment mêlé leurs uni­vers, depuis long­temps, chan­sons pour l’une, poèmes, textes de toutes sortes pour l’autre. On en aura la liste exhaus­tive à la sortie.

Elles par­tagent leurs mondes inté­rieurs où l’humain trace sa route de l’enfance à la vieillesse, empor­tant son pays avec lui Où qu’on aille… On remarque un sin­gu­lier pen­chant pour l’enfance des petites filles avec des textes de chan­son comme autant de por­traits à l’empreinte indé­lé­bile. On les emporte avec soi, celle qui « ne veut plus mar­cher… Elle voit dans un éclair toute sa vie qui l’attend… (Por­tez- la la petite ), l’inoubliable Maria-Suzan­na, « une môme fago­tée comme l’orage » et même La Dame pipi, celle qui « chante le blues comme une négresse » et qui garde « un monde englou­ti qui n’a jamais ser­vi »… Sûr que l’enfance y est enfouie !

Même quand le texte approche la misère (le cœur en des­sous de zéro) l’injustice, même quand il évoque Le mau­vais Lar­ron, « celui des trois qui a le moins de chance », le regard est celui d’un être ten­dre­ment naïf. Alors pas éton­nant que la nature s’invite sou­vent dans ce spec­tacle et montre la voie comme les « Quatre-vingts beaux che­vaux d’avant la vapeur » ou ce texte de Louise Michel rap­pe­lant que les ani­maux, eux, s’unissent contre le dan­ger… Ou bien encore quand le petit asti­cot dévore L’éducation sen­ti­men­tale sur l’étagère de la biblio­thèque et finit dans le gosier d’une grosse perche anal­pha­bète : « C’est à vous dégoû­ter de la lec­ture ! » Et que dire des baleines qui partent dans la lune … « Y a Pier­rot c’est étrange… Exi­lé volon­taire » ?

Ce spec­tacle invite à s’aimer coûte que coûte, à se le dire « Demain on s’ra vieux, demain on s’ra mort, Serre-moi plus fort » à « pen­ser aux per­sonnes qui [nous] émer­veillent la vie ». Ne pas perdre de temps surtout…

« Ain­si, par­fois, est-il néces­saire d’empoigner réso­lu­ment la brouette verte, la char­ger à ras bord d’énormes blocs de pierre, puis pous­ser, comme ça, sans but des heures durant autour de la mai­son, jusqu’à se per­sua­der enfin que, lour­de­ment, le monde quand même existe. (Pierre Autin-Gre­nier, Le Radis Bleu) »