Barjac m’en Chante 2018 @Luc Allegier

Bar­jac men Chante 2018 (© Luc Allegier )

du 28 juillet au 2 août 2018 – Bar­jac m’en Chante

Au bon­heur des Dames

Avec par ordre d’apparition dans le programme
Flo Zink et son para­pluie Juke­box, Garance, Pau­line Dupuy /​Contre­bras­sens, Marie Bobin(des­sin en live), Marie dEpi­zon, Marion Cou­si­neau, Marie-Paule Belle, Leï­la Huis­soud, Emi­lie Cadiou, Vic­to­ria Dela­ro­zière, Amé­lie-les-Crayons, Léo­pol­dine HH, Géral­dine Torrès 


Salle du châ­teau, Espace Jean Fer­rat (cour du châ­teau), Salle Trin­ti­gnant, Cha­pi­teau du Pra­det, Le jar­din des papo­tages – Bar­jac (Gard)

L’année 2018 res­te­ra pour long­temps une année sin­gu­lière. Quoi qu’on dise, quoi qu’on pense et jusque dans les sphères d’or et de paillettes du fes­ti­val de Cannes, cette année reste mar­quée par le mou­ve­ment Mee too … Qui sau­rait aujourd’hui en mesu­rer l’onde de choc ?

Alors, quand on s’en vient de Bar­jac, de ce fes­ti­val de carac­tère – quel tem­pé­ra­ment en effet ! – que l’on essaie de ras­sem­bler ses sou­ve­nirs où s’échangent pêle-mêle tant d’émotions, de décou­vertes, de retrou­vailles, on s’arrête un ins­tant sur la place des femmes dans cette pro­gram­ma­tion. Il semble qu’elles méritent ample­ment cette mise en lumière le temps d’une chro­nique. Elles ? Celles que même le monde de la culture traite encore avec mépris.

Depuis tou­jours la Chan­son hume l’air du temps et nous le res­ti­tue avec le talent qu’on lui connaît… Alors… Mee too à Barjac ?

Révé­rence oblige, com­men­çons par rap­pe­ler la voix de Marie-Paule Belle, celle qui garde intacts sa verve et son dyna­misme, sa joie de chan­ter… Que nous dit-elle de nos com­bats de femmes cette chan­teuse que d’aucuns pour­raient un peu vite clas­ser dans la chan­son de varié­tés, avec un zeste de condes­cen­dance dans la voix… ? Écou­tons-la chan­ter « Assez, Assez ! Assez ! De tous ceux qui lèvent la main », évo­quer le sort de Celles qui aiment-elles… Et même, même ses suc­cès incon­tour­nables La Pari­sienne ou Wolf­gang et moi… Voi­là une chan­teuse qui ne baisse pas la garde, qui nous montre encore la voie.

La jeune géné­ra­tion quant à elle, aime en découdre avec les thèmes fémi­nins /​fémi­nistes. A la manière de Garance qui a rap­pe­lé en début de concert la parole de Benoîte Groult, « de la caté­go­rie des emmer­deuses qui ne méritent même pas la cour­toi­sie » quand, en 1975, elle s’attelle à son livre majeur Ain­si soit-elle. Plus tard elle cite­ra les mots de Racine, ceux de Béré­nice à Titus : « Que ne me disiez-vous : « Prin­cesse infor­tu­née /​Où vas-tu t’engager, et quel est ton espoir /​Ne donne point un cœur qu’on ne peut rece­voir. » Parole de reine, parole de femme amou­reuse digne et forte. Et l’on aime­ra réen­tendre une fois encore Un jour de poisse et cette colère contre celui qui nous suit dans rue, nous dévi­sage, nous siffle… Chan­son écrite il y a cinq ans et qui résonne étran­ge­ment aujourd’hui. La colère poing levé, c’est avec Géral­dine Tor­rès que nous la retrou­vons, avec cette verve et cette soif d’en découdre qu’il est bon de voir et d’entendre quand tout semble se noyer dans des relents nau­séa­bonds de droite extrême. Quand elle choi­sit de rap­pe­ler Ata­hual­pa Yupan­qui ou d’évoquer un 11 sep­tembre… Elle opte alors pour celui où la dic­ta­ture mili­taire chi­lienne étouf­fa le rêve de Sal­va­dor Allende en son palais de La Mone­da. Le texte est d’Allain Leprest dont elle garde l’empreinte. Mais c’est Vic­to­ria Dela­ro­zière, qui, avec sa dédi­cace aux mes­sieurs enrage tout à fait … Elle s’en prend à leurs « œillades impu­diques sur les ron­deurs de nos fesses », elle menace, « C’est nous qui pour­rions nous las­ser ». Elle ose, cou­teau en main : « Tout est bon dans le cochon ! » Pas­sio­na­ria ? Vic­to­ria, chan­teuse aguer­rie à la dure loi du spec­tacle de rue, s’encanaille volon­tiers. On la ramè­ne­rait aux années folles, à l’entre deux guerres du siècle pas­sé. Peut-être, tout comme Colette, aurait-elle fait scan­dale ? Sa petite coupe de che­veux au car­ré, sa frange, ses œillades, son port de tête fier, ses textes entre ima­gi­naire et réa­li­té, la musique, de rock en valse, de tan­go en java, incitent à ne rien prendre au sérieux. Un appel à vivre inten­sé­ment, comme pour se pré­mu­nir de temps sombres à venir…

Que dire, sous ce registre, de l’étrange mélange de dou­ceur faus­se­ment enfan­tine et d’audace inso­lente de Leï­la Huis­soud ? Il fait mouche, il n’y a aucun doute même si main­te­nant, on est un peu las­sée des astuces chaque fois répé­tées. Que dire aus­si de la folie débri­dée de Léo­pol­dine HH et de ses deux aco­lytes ? Au-delà de la joie d’être en scène, de la fête qu’ils pro­posent de par­ta­ger, de l’appel à la déme­sure, quel mes­sage faut-il aller cher­cher ? Cette femme qui aime les fleurs en pot, que nous dit-elle ?

Bien enten­du, dans cette pro­gram­ma­tion de Bar­jac, on res­te­ra émue par la superbe méta­mor­phose des chan­sons de Georges Bras­sens par Pau­line Dupuy. Elle leur donne du temps, sur­tout du temps… On savoure les mots, on s’abreuve de leurs alliances… Élé­gance, cadence, charme des mots sur­an­nés… Car la femme c’est aus­si la grâce, la sen­sua­li­té, comme elles appa­raissent dans l’ouverture de ce concert avec Un petit coin de para­pluie… Ce petit coin de para­pluie, de para­dis, celui qu’ont offert toute une jour­née Flo Zink et son para­pluie juke­box aux cou­leurs d’arc-en-ciel. Sur les places, dans la salle du châ­teau, devant le cha­pi­teau, dans les gra­dins. Cette grâce, cette dou­ceur c’est aus­si celle de Marie d’Epizon qui égraine textes de lettres et chan­sons d’amour… Mus­set, Sand, Apol­li­naire, Hige­lin, Colette, Camus, Maria Casa­rès, Simone de Beau­voir… Ce spec­tacle est un modèle d’élégance et de beau­té… L’élégance, une ver­tu hau­te­ment féminine ?

On la retrouve sûre­ment cette élé­gance, cette légè­re­té, dans ces ins­tants de tendre conni­vence offerts par le « Jar­din des papo­tages » – quelle déli­cieuse inno­va­tion ! – ses concerts en totale acous­tique nous réunis­sant sous le feuillage géné­reux d’un charme véné­rable. On y retrou­ve­ra le concert des­si­né de Fran­çois Gaillard où la sou­riante Marie Bobin trace, des­sine, peint un beau voyage… puis – par deux fois parce que c’est trop bon !- le duo d’Emi­lie Cadiou et Aude Bout­tard, qui d’accordéon en contre­basse pro­mènent leurs chan­sons douces… De la fan­tai­sie, de la ten­dresse pour la vie, pour l’arbre qui les abrite alors. A lui seul il sym­bo­lise nos quêtes : « Com­ment s’envoler sans déta­cher nos racines ? »

Enfin, dans ce Bar­jac m’en Chante 2018, on s’arrête inévi­ta­ble­ment sur Marion Cou­si­neau. N’y allons pas par quatre che­mins, ce sera notre coup de cœur, lar­ge­ment par­ta­gé si l’on en croit l’accueil du public debout. Peut-être pou­vons-nous résu­mer notre res­sen­ti en nous sou­ve­nant de ces mots « un cœur de géant et un pied d’argile »… ? Peut-être tout est-il là dans cette géné­ro­si­té, ce cœur immense, cette soif d’amour et cette fra­gi­li­té… ? Ce concert c’est comme une déam­bu­la­tion dans les méandres d’un cœur qui ques­tionne, hésite… « De vous à moi, je ne sais pas quelle est la dis­tance requise… » Par­fois Marion s’abrite sous les ailes des grands, Bar­ba­ra, Anne Syl­vestre, Allain Leprest… et même Rai­ner Maria Rilke… Et c’est très beau ! Elle sou­rit en scène Marion, tou­jours, tout le temps… Et nous sou­rions avec elle. A cette Chan­son qui ne cesse de nous surprendre.

Enfin et ce sera notre conclu­sion, on reste atta­chée à l’univers d’Amélie-les- Crayons qui dans une scé­no­gra­phie très ori­gi­nale, dans un réper­toire qui résonne comme un cœur qui bat, nous emporte du côté de l’intemporel, de l’immensité des liens à tis­ser par delà l’espace et le temps, qui en appelle aux forces cos­miques. Sans doute la femme a‑t-elle un rôle sin­gu­lier à jouer dans cette trans­mis­sion de l’éner­gie vitale ? Amé­lie-les- Crayons nous fait entre­voir cette femme là. Un peu cha­mane, un peu fée, un peu sirène, un peu sor­cière… ? Celle que des mil­lé­naires ont cher­ché à sou­mettre, muse­ler, bâillonner.