Barjac m’en Chante,Wally, Projet Derli–2022 (©Bruno Kreitz)

Bar­jac m’en Chante,Wal­ly, Pro­jet Der­li2022 (©Bru­no Kreitz)

1er & 02 août 2022, Jours 3 & 4 de Bar­jac m’en Chante 

Vivre et revivre Bar­jac m’en Chante 2022

Avec

Lula Heldt, Bain de lunesRemise du Prix Jacques Douai – Lila Tama­zit Trio chante Colette Magny – Nour – Hélène Piris, Non, mais on va s’en sor­tir – Nar­cisse, Toi tu te taisMarie Nor­mand & Simon Nwan­be­ben, Coco­roo le jour se lève – Nata­cha Bez­riche, C’est une fille - Her­vé Lapa­lud & Dra­mane Dem­bé­lé, Kora­fo­land- Luciole, Un cri ‑Patrice Mer­cier & Mis­sone, Mélo­dies chro­niques – Wal­ly, Le pro­jet Derli


Espace Jean Fer­rat – Cha­pi­teau du Pra­det – Cour haute de l’école – Salle Trin­ti­gnant – Biblio­thèque – Jar­din des papotages

Bar­jac (Gard)

En guise de pré­am­bule : Ces lignes ont été écrites et publiées sur ma page per­son­nelle du réseau Face­Book au fil des heures et des jours. Je leur donne un des­tin moins fugace en publiant ici mon jour­nal de bord du Fes­ti­val m’en Chante 2022 avec par­fois quelques ajouts. 

11h00 Ce matin je vous emmène dans un espace en plein air, tout en haut à droite de la grande espla­nade de pla­tanes où quelques sculp­tures de Pierre Brun expo­sées en per­ma­nence nous rap­pelle à la beau­té fémi­nine. Là m’attend l’un de ces ren­dez-vous qui me relient au réseau d’engagement pour cette chan­son que ce fes­ti­val défend depuis 30 ans. Puis ce sera à Lula Heldt d’en illus­trer la force et l’originalité en nous dis­til­lant, sur le tem­po des cordes de son vio­lon­celle dont elle joue debout comme d’une contre­basse, des textes tra­ver­sés d’images inso­lites. « Boum, bada­boum, que nos cœurs résonnent ! » Elle nous ins­talle d’abord à la ter­rasse d’un café en Avi­gnon quand la foule ignore qu’elle est tout un orchestre de voix, de pas… et qu’il faut abso­lu­ment s’arracher de là, par­tir pour ne plus entendre cra­quer la terre… Il y a comme une urgence dans ce que chante Lula… Vivre est une épreuve et la voix seule en modu­le­rait les aspé­ri­tés, les manques… La mère que je suis garde de cette courte séance le sou­ve­nir vibrant d’un texte char­nel sur l’accouchement.

12H30 Dans cette édi­tion du fes­ti­val, tout juste com­men­cé, les femmes sortent de la réserve où des siècles les ont par­quées. D’ailleurs la remise du prix Jacques Douai orches­trée par Jacques Ber­tin ne s’y est pas trom­pée. Les lau­réates sont Monique Brun et le groupe Eva­sion, autre­ment dit six femmes d’un coup !… Et dans la cha­leur dont cha­cun se pro­tège comme il peut, on enten­dra fort à pro­pos s’élever en chœur la chan­son d’Anne Syl­vestre – Anne encore là, tou­jours là… Une sor­cière comme les autres. C’est sur ce texte majeur « S’il vous plaît, s’il vous plaît faites vous léger » que je m’éloigne… 

17 h retour au cha­pi­teau, à sa four­naise… J’attends avec impa­tience Lila Tama­zit trio dont l’album de reprises de Colette Magny m’a tel­le­ment séduite. Les pre­mières minutes dif­fi­ciles – hélas, on perd le sens du texte dit au départ – l’inquiétude devant la bat­te­rie qui couvre la voix, devant ce pro­jec­teur qui aveugle seront vite oubliées… Lila Tama­zit, sa voix, sa pré­sence et ses deux musi­ciens de jazz (pia­no, bat­te­rie, per­cus­sions) nous rap­pellent la voix/​voie de l’engagement – ô com­bien ! – nous res­ti­tue toute une époque au poing levé contre la police, la guerre, l’exil qui fait raser les murs… Et ce silence de ces « mes­sieurs de la moyenne » ! Il y a de la rage et de la ten­dresse mêlées. Un concert à sou­le­ver des mon­tagnes ! Oui, en ce temps là, on y croyait… Est-de donc si loin ? « Frappe ton cœur c’est là qu’est le génie… Aime ton pro­chain comme toi-même ! » Est-ce donc si loin ce Melo­co­ton que la salle reprend en chœur ? « Viens donne –moi la main… » J’avoue, à ce moment pré­cis, je vou­drais m’accorder un temps de pause soli­taire… Tel­le­ment, tel­le­ment d’émotion à revoir, dans mon sou­ve­nir, la sil­houette de Colette Magny, arri­vant sur scène appuyée sur une cane, s’emparant du micro pour dire un texte d’une force qui m’a clouée sur place…

18h30 C’est au tour du groupe Nour avec un superbe trio de cordes (contre­basse, vio­lon­celle, vio­lon)… Encore une femme au tem­pé­ra­ment de feu ! « Tel­le­ment impul­sive » chante-t-elle dès le début au point même de s’en prendre au pia­no dans sa colère !!… Une femme qui vou­drait bien repeindre en bleu notre monde, pour les rêveurs, les sal­tim­banques. Elle aus­si se bat à sa façon … « Pour­quoi comme ci et pas comme ça » disait Jacques Pré­vert. Pour­quoi pas « Pou­pée de plomb, sol­dat de por­ce­laine ? » Etran­ge­ment c’est avec l’amour par­ta­gé et la ten­dresse en duo avec son com­pa­gnon Erwan Pinard que je l’ai pré­fé­rée, ce moment où elle renonce à la démons­tra­tion, à l’hyperbole des gestes, des atti­tudes, de la voix.

21h30 Les concerts du soir com­mencent avec le trio d’Hélène Piris. Hélène a tout mis cul par-des­sus tête ces der­niers mois… Elle est bran­chée sur cent mille volts ! Jamais je n’ai vu ain­si un ou une artiste chan­ger de ton avec cette force. Tout nous y a pré­pa­rés, nou­velles chan­sons, nou­veaux clips, nou­veau visuel où elle appa­raît en fille mal éle­vée. Ce per­son­nage, elle le cultive avec déter­mi­na­tion, entrant dans le vif du sujet et en scène en fan­fare, accom­pa­gnée par la bat­te­rie et le saxo­phone bary­ton. Le ton est don­né, elle n’ira pas par quatre che­mins pour démon­ter notre édi­fice social… nos com­por­te­ments aus­si. Elle manie l’attaque fron­tale, l’ironie aus­si… « Ah qu’il est doux d’être une femme ! » N’est-ce pas ? Elle convoque à plu­sieurs reprises un cer­tain Michel vic­time de tous les maux de notre admi­nis­tra­tion, de nos ins­ti­tu­tions. Comme une cer­taine Mar­tine, on ver­ra Michel à Pôle Emploi, à la banque, à l’hôpital… Pour­tant, je dépo­se­rai mes rires francs – car ce concert est fran­che­ment revi­go­rant ! – quand elle chan­te­ra, en fille et petite-fille d’exilés, les mon­tagnes de l’Atlas et sur­tout sa lettre adres­sée à l’amie par­tie bien trop tôt alors que tant de génies mal­fai­sants res­tent en vie…

Vient l’exception de ma jour­née… Quoique… Vient un homme, Nar­cisse, dans un pro­jet tota­le­ment fas­ci­nant qui néces­site une ins­tal­la­tion sur­pre­nante, un tra­vail noc­turne la veille pour les réglages lumières. Ima­gi­nez… A jar­din, un musi­cien, un gui­ta­riste dont les riffs sont envoû­tants, et sur scène neuf écrans de télé­vi­sion qui sont en per­ma­nence dépla­cés. Nar­cisse est un magi­cien – d’ailleurs il en a quelque peu la ges­tuelle, le dépla­ce­ment – à l’origine de tout, musique, vidéos, et textes sur­tout ! Le pro­pos ? La dénon­cia­tion de tous nos maux, de ceux de notre socié­té, de notre sys­tème éco­no­mique, des trois reli­gions mono­théistes… Tout est fait pour nous faire taire, annonce le titre même du spec­tacle : Toi tu te tais ! Et spec­ta­teurs sou­mis, c’est pré­ci­sé­ment ce que nous allons faire. Magni­fique mise en abyme ! 

Le sort de la femme, de son corps, par­ti­cu­liè­re­ment de ces seins que l’on ne sau­rait voir, n’est pas oublié ! Dans l’une de ces pubs qui agré­mentent le pro­pos, « la femme méca­nique » méta­mor­phose – enfin ! – les rela­tions des femmes avec le sexe oppo­sé. Je vous laisse rêver à cette perspective…

Pour refer­mer cette page de mon jour­nal de bord j’en reviens à la poé­sie – il faut tou­jours y reve­nir ! – avec ces mots de Nar­cisse : « L’univers est moins grand qu’un poème même d’un seul vers »

***

11 h Ce matin ma jour­née com­mence avec des enfants du Centre de Loi­sirs de Bar­jac atten­dant sage­ment dans la cour de l’école l’arrivée de deux musi­ciens chan­teurs qui vont voir se lever le jour dans leur spec­tacle Coco­roo le jour se lève et débu­ter une jour­née bien ordi­naire dans leur vil­lage res­pec­tif, Marie en France et Simon au Came­roun. C’est plein de dou­ceur, de clins d’œil à la vie des petits qui, par­tout dans le monde, sont escor­tés par des chan­sons, sur­tout quand sur­vient un cha­grin. Je ne peux m’empêcher de son­ger à ma grand-mère qui cares­sait alors le creux de ma main en fre­don­nant une drôle de comp­tine qui avait la ver­tu de me gué­rir : « Une vache, bonne à lait, bonne à tout de mon­sieur, tur­lu­tu­tu cha­peau poin­tu… » Ce moment où s’insinuaient des mélo­dies et des mots d’ailleurs me pré­pa­raient ten­dre­ment à la suite de ma jour­née comme vous allez le voir…

C’est à 14h30 que je retourne au châ­teau, me repro­chant de n’avoir pu arri­ver à temps pour assis­ter à la ren­contre d’Audrey Cou­de­vylle sur la chan­son réa­liste… Mais je peux me glis­ser dans la petite salle de pro­jec­tion en haut et regar­der une nou­velle « brève ren­contre » signée Wal­ly… Ce sera avec Tho­mas Pitiot

A 15h en salle de ciné­ma, nom­mée Salle Trin­ti­gnant, j’ai ren­dez-vous avec le réper­toire choi­si par Nata­sha Bez­riche pour évo­quer le sort des filles, des femmes, avec Sébas­tien Jau­don, un pia­niste qui lui fait tout un orchestre… « C’est une fille ! » dit le titre élo­quent du spec­tacle « Encore une pis­seuse » avait dit mon grand-père saluant ain­si mon arri­vée trop pré­coce, un an seule­ment après ma sœur… Nata­sha, sa mince sil­houette, ses longs che­veux noirs, ce noir et cette touche de rouge dont elle s’est revê­tue, ont d’emblée quelque chose de noble, puis­sant. De toute évi­dence, pour elle, chan­ter s’apparente à un rite et je l’en remer­cie. Sa voix dont elle module à pro­pos la puis­sance sait tout dire de cette condi­tion des femmes dans des chan­sons qu’elle emprunte à Bri­gitte Fon­taine, Bar­ba­ra, Allain Leprest, Juliette, Michèle Ber­nard, Anne Syl­vestre, Nou­ga­ro ou Fer­ré… Et quand elle dit des textes dont elle est l’auteure c’est sans conces­sion, sans faux-sem­blant. Nata­sha, femme puis­sante !… Comme vous le voyez, nous n’en avons pas fini avec cette défer­lante de la parole des femmes. 

17h au cha­pi­teau c’est Kora­fo­land qui m’attend… Un ren­dez-vous ami­cal, en quelque sorte. J’ai sui­vi cette créa­tion qui émer­gea pré­ci­sé­ment lors d’un Prin­temps des poètes où je conviais Her­vé Lapa­lud et Davy Kilem­bé à évo­quer à mes côtés le thème de l’édition 2017, Afrique[S]… Voi­ci que ces deux là se retrouvent sur cette scène de Bar­jac autour de Dra­mane Dem­bele, son chant dans sa langue ori­gi­nelle – comme Simon Nwam­be­ben ce matin et son dia­lecte came­rou­nais – ses ins­tru­ments qui parlent cha­cun leur langue, la flûte peule, les koras bien sûr et le « kora­fo­la », ce tout petit tam­bour jus­te­ment nom­mé « Tal­king drum » qu’il coince sous son ais­selle gauche et frappe d’un maillet. Her­vé ajoute à ses chan­sons des lettres adres­sées à Bar­jac, Oua­ga­dou­gou… à Anne… Si j’ajoute que pour ce ren­dez-vous ils ont convié une vio­lon­cel­liste, celle qui pré­ci­sé­ment sera aux côtés de Wal­ly ce soir, vous aurez com­pris que le voyage ne man­quait pas d’agréments… 

A 18h30 c’est le trio Luciole qui leur suc­cède, une réelle décou­verte pour moi cette fois. Le pro­gramme annonce « Un cri », « une musique brute, fron­tale »… Or, j’avoue ne pas les avoir vrai­ment enten­dus… Luciole mêle textes dits et chan­tés, ce qui est aujourd’hui de plus en plus la norme, mais tout m’a paru man­qué d’ardeur véri­table… Comme quoi, il ne suf­fit pas de dire que son chant res­semble à un cri pour qu’il le soit. Et pour­tant cette jeune chan­teuse ne manque pas de piquant. J’ai aimé sa pré­sence, sa façon de s’emparer de la scène en par­ta­geant de sa ges­tuelle l’accompagnement du pia­niste – gui­ta­riste et de la bat­te­rie. Et puis, disons-le, le spec­tacle vivant a sa part de mys­tère col­lec­tif… Je sen­tais que le public n’était plus vrai­ment là. Rap­pe­lons pour­tant que le public de Bar­jac, tant redou­té, est par­ti­cu­liè­re­ment géné­reux et bien­veillant. Il s’enthousiasme très vite et Luciole a béné­fi­cié de beaux applaudissements.

21h30 Me voi­ci donc arri­vée à la soi­rée… une soi­rée dont je ne doute pas une seconde connais­sant très bien l’un et l’autre concert. D’abord Patrice Mer­cier et l’infaillible Mis­sone, dont les notes du pia­no sont le pro­lon­ge­ment de ses doigts. Patrice a du chan­son­nier de nos jeunes années, il est capable de rebon­dir dans l’instant sur un thème d’actualité. Mais c’est aus­si un fin connais­seur de ce monde poli­tique, éco­no­mique et social qui nous entoure et qui sou­vent nous déses­père, dou­blé d’un auteur incroya­ble­ment rigou­reux et inven­tif, sans par­ler de son talent de comé­dien. Tout cela vous donne un spec­tacle hila­rant, per­cu­tant, joyeux… et ter­ri­ble­ment per­ti­nent ! Ne man­quez sur­tout pas d’aller à la ren­contre de ses goguettes.

Quant au concert de Lilian Der­ruau alias Wal­ly… entou­ré de son quin­tet, de mer­veilleux musi­ciens qui font de son « Der­li » une fête, fête pour les yeux, les oreilles… et pour le cœur car ce que chante Wal­ly s’en va atteindre cha­cun de nous… Bien sûr, nous y trou­vons, retrou­vons, le Wal­ly tou­jours prêt à jouer l’amuseur de ser­vice, mais cette fois il aborde les ques­tions qui nous appar­tiennent dès que « ça se pré­cise », comme il le chante en com­men­çant… « La fuite du temps, tu ne la répares pas avec la clef de 12 »… Enfin, en un mot, ce concert fut un moment de grâce comme cette scène de Bar­jac sait nous en dis­til­ler… Je rever­rai encore long­temps ce groupe ins­tru­men­tal mer­veilleux, Wal­ly, Mis­sone et Patrice Mer­cier chan­ter pour clore la soi­rée L’orage de Georges Brassens.

C’est donc ça le bonheur ?

PS : Sur mon site Chan­ter C’est Lan­cer des Balles vous pou­vez pro­lon­ger cette lec­ture en retrou­vant les chro­niques que j’ai pré­cé­dem­ment écrites sur : « C’est une fille ! » de Nata­sha Bez­riche – l’album Lila Tama­zit trio Ras la trompe –  l’album Kora­fo­land de Her­vé Lapa­lud et Dra­mane Dem­bé­lé – Le concert Mélo­dies Chro­niques de Patrice Mer­cier et Mis­sone sur la scène de Troyes Chante – La pre­mière de Wal­ly Der­li au Bijou