Fred Nevché – Valdevaqueros, 2018 (© Les Cauboyz)
21 septembre 2018 – Valdevaqueros
Sortie de son 4e album
Avec
Fred Nevché/Frédéric Nevchehirlian (voix, guitare électrique…) aux « arrangements synthétiques et minimaux » – Simon Henner /French 79 (basse, synthés, guitare électrique, batterie acoustique et électronique…) - Martin Mey (chœurs, piano, synthétiseurs…)
Et la participation de Babx, Emma Broughton, Bastien Burger, Valentine Carette, Raphaëlle Lanadère (chœurs) – Anne Gouverneur (violon, chœurs) – Maëva Le Berre (violoncelle) – Julien Lefèvre (violoncelle, chœurs)
« Si vous saviez comme le désir est grand, chez Fred Nevché, d’honorer le rêve de gamin du quartier des Olives, de devenir poète. C’est bercé par l’Inter et la Culture de la Maison de la Radio que Fred, entendant ces personnages lointains parler un français parfait, fumait en cachette ses premières cigarettes et ourdissait ses premiers mots. Si Marseille est une somme de villages, Nevché est un agrégat d’influences contradictoires et pourtant cohérentes, entre terreau populaire familial et fantasme des plus grandes plumes, qui font désormais de l’artisan du verbe un façonneur de poèmes. »
Il y a quelques mois déjà que Fred Nevché est immergé dans tout ce bleu qui s’étale sur la pochette de son nouvel album. Un bleu où l’on se perd… « Est-ce la lune et le ciel tout autour de la terre, ou le ciel à l’inverse qui renverse l’océan ? » questionne la chanson titrée L’Océan. Avec Valdevaqueros il est question d’une plage, dans la province de Cadix, où le vent incessant attire les sportifs accrochés à leur voile comme à un cerf-volant. Élégante métaphore de la lutte contre les éléments.
Il y a quelques semaines que des clips viennent se joindre à la promesse des chansons après que Décibel, un poème de trente minutes, a tracé dès le mois de janvier, les contours et les couleurs de paysages intérieurs. S’y bousculent les échos d’une époque où « la peur a pris le dessus » face « aux menaces d’un monde qui va finir », la tentation des paradis artificiels – « une injection de foutre dans le sang » – puis soudain la secousse : se ressaisir, prendre les devants « pour s’écouter, se révéler…dégommer le matin pour voir venir le jour, le courage intact… » Et enfin l’étendue, là devant soi – l’étendue bleue ? – celle des rêves… Et de la poésie. « Je naviguais vers mon rêve » dit la chanson courte de l’album, assez irréelle avec ses voix d’outre-tombe … « Je disais des poèmes, j’étais bien »…
Et Johnny ? Et pourquoi pas Johnny ? Le narrateur martèle son rêve : « C’est vrai… Je vais le chercher à la sortie des concerts… On est proches dans mon rêve… » La dernière chanson de l’album, celle qui porte le titre Moi je rêve de Johnny souvent, pourrait bien être la chanson phare, comme le soulignent les interludes, comme le conforte déjà la sélection RFI de ce mois-ci. Chanson refuge « quand l’horreur nous rattrape au plein cœur de novembre ».
Décibel est le préambule des chansons. Il éclaire, prolonge, devance, on ne sait trop, mais on comprend qu’un fil invisible les lie. C’est une même voix, cette voix venue du slam, que nous avions découverte avec les textes de Jacques Prévert. C’est toujours cet univers de l’album Rétroviseur, fait de campagnes mornes « où rien n’est plus dense que l’ennui », de routes avalées, dévalées, de macadam, de « lumières froides des néons ». C’est toujours cette écriture qui mêle métaphores lyriques et réalisme trivial… Tout comme l’électronique s’assemble aux cordes, tout comme les voix masculines et féminines se mêlent, se confondent. Fred Neché bouleverse les codes.
C’est une écriture en quête d’Ailleurs, d’un monde où se réfugier quand tout devient vraiment trop obscur. La chanson, assez énigmatique, évoquant le mieux cet état de bien-être, de chaleur, de douceur quasi maternelle, c’est Si tu vas : « Rien ne sera aussi doux qu’un souffle de toi ». Mais le plus souvent l’écriture se heurte cruellement à l’amour, à sa fragilité, à ses incohérences (Je ne te quitte pas, Si tu crois). Le premier titre très cinématographique nous entraîne à la suite d’une couple arrêté sur une aire d’autoroute… « On se serre, on se serre à mort …On se fait des promesses qu’on ne tiendra jamais » … Quand soudain les phares d’un poids lourd interrompent brutalement le duo amoureux, cet instant d’oubli du « froid, de l’odeur d’essence »… Tout est dit dans la première chanson.
C’est si fragile, l’amour.
D’ailleurs on ne sait pas bien qui il est, ni où il nous mène, nous entraîne… La chanson éponyme Valdevaqueros, dans la douceur infinie de la voix, du piano, dans la longue fin instrumentale, évoque les interrogations d’un jeune homme de 16 ans sur la plage : « Je me demandais de quel bord de la mer un jour j’accosterais »… L’amour, on s’y noie comme dans une danse frénétique, une transe, où les sons et les cœurs battent à l’unisson… Pulsions, pulsations des rythmes électro dans le titre Avec le besoin de la nuit. Et quand « l’amour est allé voir ailleurs comme un oiseau sans branche où se poser » inévitablement on tangue. C’est la dérive. Sans gouvernail, sans voile « J’fais du vent dans tes artères, je tourbillonne, je sonne creux »… L’amour, on croit le fuir, mais il revient…
Parfois ne reste plus qu’à crier, hurler au vent, au bleu du ciel, comme dans le clip de L’océan… « Alma, je t’aime ! »
Car c’est bien face à cette immensité, à l’infini sableux, au ciel et à l’eau confondus que l’homme mis à nu trouve sa dimension, ses questionnements les plus vrais, comme le fit Ulysse, prisonnier de Calypso, s’interrogeant sur son retour… Même si Pénélope d’aujourd’hui clope, même s’ « il n’y a qu’un répondeur au bout du fil, un profil au bout du compte… Quand reviendrai-je au port ? » La question est identique.
« Inspire, expire ce ne sont que tes émotions… »