Détours de Chant 2019 – Yves Jamait (© Claude Fèvre)

Détours de Chant 2019 – Yves Jamait (© Claude Fèvre) 

22 jan­vier 2019 – Détours de chant, ouver­ture de l’édition 2019

Opus 18 – Pre­mière par­tie Govrache – Concert d’Yves Jamait en quar­tet
Mon Totem

Avec
Govrache (gui­tare, voix) – Yves Jamait (gui­tare, chant), Samuel Gar­cia (accor­déon, ban­do­néon, pia­no, chœurs), Mario Cimen­ti (per­cus­sions, chœurs), Jérôme Boyer (gui­tares, basse, chœurs).


Casi­no Bar­rière (Tou­louse)

Un fes­ti­val… Des chan­sons du 22 jan­vier au 2 février 2019

« Détours de Chant a 18 ans. L’espièglerie a tou­jours cours et l’âge adulte ne nous fait pas peur.
Curio­si­té et goût de la décou­verte sont les meilleurs véhi­cules pour gui­der vos pas vers les artistes et les lieux qui vous attendent. La langue fran­çaise chan­tée sur tous les rythmes, por­tée par tous les styles musi­caux : voi­là la marque de fabrique de ce fes­ti­val hiver­nal qui fait chaud aux chœurs ! »

Détours de Chant

« La vie passe si vite /​On oublie par­fois qu’à preuve du contraire /​Elle n’arrive qu’une fois »

Tout pour­rait être dit avec ces trois vers d’Yves Jamait. La soi­rée inau­gu­rale de cette 18 ème édi­tion de Détours de chant, à Tou­louse, était une invi­ta­tion à se délec­ter de l’instant pré­sent, à rendre hom­mage à la vie…

C’est le jeune Govrache, seul avec sa gui­tare, face à la salle allu­mée, qui avait à charge d’ouvrir la soi­rée. Il a rele­vé brillam­ment le défi. Celui de cap­ter l’attention de spec­ta­teurs encore en train de s’installer, dis­po­sés sur­tout à bavar­der… Très vite il est par­ve­nu à rete­nir leur atten­tion et bien davan­tage… Com­ment résis­ter en effet à son slam, l’homme trot­toir, com­ment ne pas écou­ter son inter­pel­la­tion : « Y a des gens qui meurent qua­si à nos pieds et ça ne nous choque même plus… » ? Com­ment res­ter indifférent‑e à sa chan­son de l’homme en retraite, dans le petit café de la gare, vêtu de son bleu de tra­vail pour cacher son sen­ti­ment d’exclusion, de relé­ga­tion, avant que la venue au monde d’un p’tit gars ne lui redonne vie… Com­ment ne pas s’amuser de sa vision de la vie de prof ? De son récit de l’élève au tableau ten­tant de réci­ter le Dor­meur du Val de Rim­baud… ce qui a bien failli lui ôter à jamais le goût de la poé­sie… Et sur­tout, sur­tout com­ment ne pas écou­ter son slam titré Au bout de la table… ? Un texte d’une puis­sance inouïe sur le temps qui passe. Cette poé­sie vous fait pas­ser du regard d’un petit enfant sur son grand-père jusqu’à ce qu’un jour, au bout de toute une vie, il ne soit à sa place… Au bout de la table… 

C’est donc après cette déli­cate pre­mière par­tie, sin­gu­liè­re­ment en har­mo­nie avec son uni­vers qu’Yves Jamait a pris d’assaut la grande scène, por­tés par ses trois musi­ciens, des jeux de lumières épou­sant super­be­ment l’atmosphère des chan­sons. Impos­sible de résis­ter à un tel déploie­ment d’énergies. Celles des musi­ciens, joyeux, par­fai­te­ment en osmose, celle d’Yves Jamait arpen­tant la scène, sau­tant, dan­sant, jouant sur tous les tons de sa voix, comme éra­flée aux aspé­ri­tés de l’existence, du pied de son micro, de la chaise où il vient de temps en temps s’assoir comme au coin d’une salle de bar. En début de concert, il affiche une sil­houette d’adolescent dans son jean mou­lant, sa veste à car­reaux avant de revê­tir un smo­king agré­men­té d’un gilet cha­toyant en deuxième par­tie, à la grande joie du public qui l’ovationne… C’est une évi­dence que tout est par­fai­te­ment orches­tré dans ce nou­veau concert où il alterne, à un rythme effré­né, nou­velles chan­sons de l’album Mon Totem, et anciennes que le public reprend avec enthou­siasme. Yves Jamait ne cache d’ailleurs pas son émo­tion et l’on per­çoit clai­re­ment qu’il a du mal à quit­ter la scène quand en arrive l’heure.

Nous res­tons incon­tes­ta­ble­ment sous le charme des musiques, tan­gos, valses… des riffs de la gui­tare, des lamen­tos de l’accordéon, pris d’une envie de dan­ser, d’accompagner le rythme don­né par la bat­te­rie… Sous le charme des textes et l’intensité de leur inter­pré­ta­tion. Car Yves Jamait prend à bras le corps ses chan­sons, il nous les offre comme si cha­cune lui était vitale, essen­tielle. Son inter­pré­ta­tion tient du com­bat et de la danse… Elle a quelque chose d’ensorcelant, une puis­sance à laquelle on suc­combe. Cette éner­gie là est sen­sible à la seule écoute du der­nier album… Alors sur scène, ima­gi­nez un peu ! 

Quant aux textes, on peut les résu­mer en par­lant d’ode à la vie, à l’amour… et sans doute aus­si à la scène… car ce « Totem » n’est autre que la ren­contre avec le public, quel qu’ait été « le che­min tor­tueux » pour y par­ve­nir. Yves Jamait ne cesse de dire sa sou­mis­sion aux aléas de la vie, aux bleus et aux bosses… « Il faut savoir prendre la route coûte que coûte »… tant qu’on peut se sen­tir libre comme le vent, prêt à tout goû­ter. Il prend tout, garde tout… Et son cre­do demeure : croire en la vie avant la mort et non l’inverse ! Il le crie, le hurle, le braille… « J’en veux encore ! » Res­ter vivant, « ne jamais ces­ser de sen­tir dans [ses] veines cette vie pal­pi­ter aus­si belle que vaine… »

Mais on aime aus­si quand ses chan­sons évoquent la dou­leur, le cha­grin… Ce sont des ins­tants par­ti­cu­liè­re­ment émou­vants, des textes pal­pi­tants d’authenticité, comme dans « Qu’est ce qui t’a pris »… Cette inter­pel­la­tion bou­le­ver­sante, « ce cri qui hurle au fond de nos entrailles », cette voix qui s’est tue et qui résonne encore… On pense alors étran­ge­ment à Allain Leprest… On aime cet ins­tant où assis à la petite table de bar, il lit Demain dès l’aube de Vic­tor Hugo et s’en vient chan­ter côté cour, dans cet espace dédié à l’intimité… Une valse lente des­sine la sil­houette d’une femme qui « n’a plus d’horizon… Elle pren­dra le che­min /​le dos comme une voûte /​Et rejoin­dra la route pour la fleu­rir un brin… » 

Enfin on ne sau­rait ter­mi­ner sans s’arrêter un ins­tant à la force d’aimer, source de vie. Au besoin d’être aimé sur­tout quand « la vie [nous] rétame »… On retient cette trou­blante chan­son Insom­nie, adres­sée à Maman… Un retour au sen­ti­ment de sécu­ri­té ori­gi­nel, celui de l’enfance : « C’est au creux de toi que je viens me blot­tir »…  Alors, dans la lumière rouge, on l’entend encore chan­ter Vivre avec toi ou Caresse-moi ou bien encore  Amor Fati… Ou l’aveu superbe, cet émer­veille­ment qui vaut toutes les beau­tés que recèle le monde « Si tu pou­vais voir ce que je vois quand je te vois, si tu pou­vais voir ça … Si seule­ment tu savais ce que ça fait… » On le regarde se mêler aux spec­ta­teurs, en fin de concert, pour par­ta­ger, « le sou­rire plein les dents », cette confi­dence : « 0n se dit pas les mots, on se com­prend quand même »… L’amour, comme source de confiance, « Avec l’amour on avance, on avance, mais ça fait jamais peur… » Peut-on offrir plus belle déclaration… ?

On gar­de­ra pour ultime cita­tion les mots- hom­mage, les mots-révé­rence pour toutes les femmes, d’abord , dans les Mains des Femmes, puis pour leurs injus­tices et leurs souf­frances, dans la chan­son Celles, inter­pré­tée dans la cou­leur ambre joli­ment choi­sie… « C’est la mère, la sœur, la fille d’un homme comme toi… comme moi… »

Recon­nais­sons que les pro­gram­ma­teurs de Détours de Chant ont été sin­gu­liè­re­ment ins­pi­rés d’avoir offert l’intensité d’une telle soi­rée pour ouver­ture. Sûr que bon nombre de spec­ta­teurs gar­de­ront au cœur cette invi­ta­tion – du moins nous vou­lons y croire : puisque « le temps emporte tout /​Toutes les envo­lées lyriques /​Les pro­messes inutiles… », pas d’autre alter­na­tive que cette injonction :

« Alors la vie c’est main­te­nant
Ici
Et tant pis pour le temps
 »