Simon Chouf & Le Hardcordes Trio – festival Fous d’archet - 2019  (© Claude Fèvre)

Simon Chouf & Le Hard­cordes Trio – Fes­ti­val Fous d’archet, 2019 (© Claude Fèvre)

10 avril 2019 – Simon Chouf & Le Hard­cordes Trio

Concert de sor­tie de son nou­vel album épo­nyme au fes­ti­val Fous d’archet
orga­ni­sé par l’association Arpalhands

Avec

Luna­cel­lo avec Eugé­nie Ursch (vio­lon­celle, chant) & Min­go Jos­se­rand (pia­no, cla­vier) en pre­mière partie 

Simon Chouf (gui­tare, chant), Tho­mas Kretz­sch­mar (vio­lon), Oli­vier Samouillan (alto, man­do­line), Eugé­nie Ursch (vio­lon­celle, arran­ge­ments cordes)


Espace JOB (Tou­louse)

Cette sor­tie d’album de Simon Chouf fera date, à n’en pas dou­ter. On se dit que par­fois tout concourt à la beau­té et à l’intensité des émo­tions. D’abord les lieux, au cœur de l’Espace Job à Tou­louse, un lieu que Simon Chouf fré­quente d’atelier d’écriture en for­ma­tion vocale à l’école des musiques vivaces de Tou­louse, Music’Halle… Bien sûr, nul n’est cen­sé le savoir au moment où il appa­raît en scène, mais nous croyons aux échanges d’énergies qui favo­risent le spec­tacle, comme de bons génies pen­chés sur le ber­ceau d’une créa­tion. Ensuite la salle de dimen­sions inti­mistes offre une confor­table dis­po­si­tion en amphi­théâtre, un son et des lumières au dia­pa­son du pro­jet. Enfin son concert fut pré­cé­dé d’une pre­mière par­tie, un petit miracle auquel nous ne nous atten­dions pas vrai­ment : le nou­veau pro­jet de Luna­cel­lo un duo qui avaient évi­dem­ment toute sa place dans ce fes­ti­val Fous d’archet. Le pia­no et le cla­vier de Min­go Jos­se­rand accom­pagnent la voix par­lée – poèmes de Gar­cia Lor­ca, Mal­lar­mé, Mae­ter­linck – la voix chan­tée et le vio­lon­celle d’Eugé­nie Ursch dans des terres proches et loin­taines… Vibra­tion qua­si spi­ri­tuelle, « une réso­nance inté­rieure », un voyage musi­cal et sonore au charme puis­sant. Il faut du temps pour s’en arra­cher. Aus­si res­te­rons-nous dans la salle, pen­dant le chan­ge­ment de pla­teau, pour que sen­sa­tions et émo­tions ne s’évaporent pas trop vite.

Com­ment donc s’accomplira le pas­sage entre l’univers de Luna­cel­lo et la nou­velle pro­po­si­tion de Simon Chouf dont nous connais­sons déjà le réper­toire, enten­du sou­vent, sous des formes musi­cales dif­fé­rentes ? Nous gar­dons en mémoire, outre le solo, le duo gui­tare – accor­déon avec Simon Barbe mais aus­si la for­ma­tion rock où les chan­sons de Simon nous parais­saient avoir trou­vé leur plein accom­plis­se­ment dans les albums L’Hôtel des fous, puis Vola­tils. Ce nou­veau pro­jet ne nous est pas incon­nu, nous en avions vu l’émergence sur la scène du Bijou. Voi­ci que paraît aujourd’hui un nou­vel album qui sou­ligne l’accomplissement d’une étape de créa­tion. Les mêmes titres sont habillés des arran­ge­ments sub­tils, vibra­toires des cordes, signés Eugé­nie Ursch… Ingé­nieuse Eugénie !

Ce soir le trio des cordes, vio­lon, alto, vio­lon­celle ins­talle lon­gue­ment l’atmosphère avant que n’arrivent Simon Chouf et sa gui­tare pour inter­pré­ter Magie noire. On se dit que l’album pour­rait en por­ter le nom avec ce visuel d’encre noire, signé Chris­tian Durante qui l’illustre. Le texte de cette chan­son résume assez bien un uni­vers qui oscille entre la dou­lou­reuse réa­li­té d’une huma­ni­té noire et l’aspiration vers un idéal de beau­té fra­gile. Un monde bau­de­lai­rien en somme. Pas ques­tion chez lui de s’enfermer dans une écri­ture au pre­mier degré, même s’il s’agit là de l’impensable tra­gé­die d’une tour dans les flammes et de corps qui s’élancent dans le vide. On pré­fère s’attacher à l’image que des­sine le refrain, « D’une manche s’envolent /​Des colombes aux ailes cas­sées /​Poudre aux yeux, un fou­lard doré /​Tour­billonne, tour­billonne. » Ima­gi­nez seule­ment l’accompagnement des cordes sur ces mots là. On en frissonne.

C’est bien là ce qui se pro­duit tout au long du concert. Cette sen­sa­tion d’être porté‑e entre espé­rance et souf­france dans le tour­billon ins­tru­men­tal des cordes où se détachent la voix, des mots étranges, sur­réels… Revient cette sen­sa­tion de chute ver­ti­gi­neuse… « Comme avec nos ailes /​On croyait s’envoler /​Sans retom­ber d’en haut du ciel /​A plat comme un bai­ser volé… » Par­fois c’est un des­tin bien ordi­naire comme dans Se quit­ter mais qui nous vaut pour­tant des mots d’envol « Je tra­ce­rai ma route /​Dans des déserts de sable /​Dans l’infinie pous­sière /​Je m’abandonnerai à toi » et sur­tout un moment sus­pen­du d’échange ins­tru­men­tal – mais pas seule­ment – entre le vio­lo­niste et l’altiste. Superbe ! C’est la man­do­line qui s’invitera sur le Cime­tière des oiseaux, comme pour accom­pa­gner ces nau­fra­gés des eaux médi­ter­ra­néennes et « leurs rêves /​Tom­bés du ciel /​sur le miroir de l’eau »… Encore et tou­jours cette sen­sa­tion de chute vertigineuse.

Dans les appa­ri­tions de Simon Chouf en concert, il nous est arri­vé sou­vent de regret­ter ses prises de parole entre les chan­sons. Elles nous parais­saient nous ôter notre part d’oubli de la trop bru­tale réa­li­té, nous arra­cher au pou­voir poé­tique des mots de ses chan­sons. Alors ce soir avec ce magni­fique trio, ô com­bien raf­fi­né et aérien, nous guet­tions ses inter­mèdes. Mais ce soir, déci­dé­ment, tout est à l’unisson pour nous lais­ser nous perdre en terres de beau­té, sen­si­bi­li­té. Quelle émou­vante intro­duc­tion à Nuit de silences ce bel hom­mage à cette grand-mère qui finit par s’égarer dans sa mémoire, mais lais­sa à son petit-fils un héri­tage pré­cieux : le goût des his­toires. Cette fois on s’est amu­sé à l’écouter racon­ter ces anec­dotes qui ont fait naître des chansons.

La soi­rée s’est ache­vée en rap­pel avec la reprise superbe de Cham­pagne de Jacques Hige­lin qui figure éga­le­ment dans l’album. Il nous a sou­dain paru évident qu’il y avait là une filia­tion. Une écri­ture qui emprunte au fan­tas­tique, au mer­veilleux, un monde où Luci­fer en per­sonne s’invite. Mais le poète, le chan­teur por­té par ses musi­ciens croit qu’il vole. Ses rêves ont tous les pou­voirs… Et nous, pour un soir et autant de fois que nous le vou­drons avec l’album, nous les sui­vons à l’Hôtel des fous, en sus­pen­sion entre rêve et réalité…