Yves Marie Bellot, album Grand Plongeoir, 2020 (© Victor Moury)

Yves Marie Bel­loT, album Grand Plon­geoir, 2020 (© Vic­tor Moury)

26 mars 2021, De clip en clip

« Bien­tôt, c’est sûr, on ver­ra des sémaphores… »

Avec

Yves Marie Bel­loT, Les Séma­phores, album Grand Plon­geoir, 2020, réa­li­sa­tion Alexandre Cas­tillon

Thi­baud Defe­ver, Des oiseaux, album Le temps qu’il faut 2021, réa­li­sa­tion Mar­lène Ciam­pos­sin, des­sin Maï­wenn Le Guhennec

Jehan Cay­re­cas­tel, Garde moi la mer, paroles Allain Leprest, musique Yves Duteil, album Le disque en vers, nou­vel enre­gis­tre­ment 2019 avec Chris­tophe Aubert, scé­na­rio, images, mon­tage, réa­li­sa­tion Léa Bou­cher

Chris­to­pher Mur­ray, Haut les cœurs, album Ton cam­pe­ment dans ma tête, 2017. Pho­tos Niko Roda­mel, images vidéo, mon­tage, réa­li­sa­tion Tom Mur­ray


L’Océan, la mer exercent sur nous tous leur fas­ci­na­tion. Et à l’instar d’Ulysse, pri­son­nier de Calyp­so, assis seul sur les pierres des grèves, pleu­rant, le regard per­du dans la contem­pla­tion du large, les poètes s’en emparent, en font une inépui­sable source d’images des tour­ments de leur vie intérieure.

« Bien­tôt, c’est sûr, on se réveille­ra plus forts, bien­tôt c’est sûr, on ver­ra les séma­phores briller au loin, éra­di­quer nos doutes… »

Ces mots de Yves Marie Bel­loT extraits de sa chan­son Les séma­phores, résonnent étran­ge­ment dans ces temps de doute, de peur aus­si, d’incertitude face à un hori­zon sans contours.

Quand on en vient à ces « jours sans », où l’on se sent « enfer­mé, dans un car­can » quand on en vient à se dire « Je n’arrive plus à faire sem­blant sans cesse…Je sors des rangs, je range les gants… C’est juste un jour sans, sans l’élan, sans l’ardeur… », il est bon de regar­der le large, d’imaginer que des points lumi­neux vont appa­raître et gui­der notre navi­ga­tion, dans la nuit, dans la brume.

C’est ain­si que nous décou­vrons la vidéo de cette chan­son qui s’en vient mettre un point d’orgue à trois pré­cé­dents clips de l’album Grand Plon­geoir, paru en novembre der­nier. Certes, ici, il ne s’agit pas à pro­pre­ment par­ler d’un clip puisque nous voyons les quatre musi­ciens (gui­tares, basse, bat­te­rie) accom­pa­gnés de trois cho­ristes s’installer dans la cha­leur d’un appar­te­ment. D’ailleurs n’est-ce pas tout sim­ple­ment là le mes­sage : ce tra­vail en équipe, soli­daire, unie ? Le texte nous ramène indu­bi­ta­ble­ment au visuel de l’album, à cet homme pied nu sur le sable, un petit saut rouge à la main, habillé d’un ber­mu­da de plage, d’une veste de cos­tume et d’une cra­vate, au judi­cieux scé­na­rio des trois autres chan­sons, en trois épi­sodes : Rêve d’enfant, Aérien, De la place du conduc­teur. Ce rêve de gosse, ce châ­teau de sable auquel on croit fermement…Suffirait d’avoir le plan ! « Mais le temps passe »… Vient l’amour qui met sa poé­sie dans le quo­ti­dien et rend tout plus léger, « aérien »…On se dit que « tout ira bien ». Et vient le temps où l’on regarde dans le rétro­vi­seur, où com­mence le bilan miti­gé, où pointe la nos­tal­gie d’une enfance jamais vrai­ment enfuie, où l’on en revient au châ­teau en Espagne… « Et si on visait juste le bon­heur, celui qui est beau et qu’on par­tage… ? » Guet­tons les signaux des séma­phores au loin…

Thi­baud Defe­ver s’inspire aus­si beau­coup du large dans son récent album Le temps qu’il faut. Son der­nier clip, celui Des Oiseaux a la grâce et la légè­re­té de l’épure, du lavis, ceux des encres et des aqua­relles de Maï­wenn Le Guhen­nec. L’animation de Mar­lène Ciam­pos­sin nous montre la sil­houette lon­gi­ligne d’un homme qui marche – sous ses pas déferle la vague – un homme qui fuit son pays, nous dit le texte, qui trouve un refuge et revient à la vie dans la cha­leur d’une chambre d’enfant…« Dehors, dans la ville qui tremble, des oiseaux se ras­semblent et espèrent… » Tous ces rêves de départ, de navi­ga­tion, comme autant d’ailes dans le ciel… Au loin le bal­let des car­gos laisse espé­rer l’envol, un jour, comme celui des per­son­nages de Jean-Michel Folon dans le ciel ou comme le rêve d’Ulysse, le héros d’endurance qui, pour rejoindre Ithaque, endu­re­ra mille maux. A tra­vers les siècles, ce sont même rêve, même espé­rance, même com­bat et même dan­gers face à la mer.

Sans que les auteurs, les chan­teurs et les plas­ti­ciens le sachent, un lien invi­sible – la mer – les relie. Ain­si, réduit au silence comme nombre d’artistes, Jehan Cay­re­cas­tel revient à son « essen­tiel », à son guide : Allain Leprest. Il publie un clip de sa chan­son Garde-moi la mer, accom­pa­gné à la gui­tare élec­trique par Chris­tophe Aubert (extrait de l’album Le disque en vers). Dans un style éton­nam­ment proche de celui du clip de Thi­baud Defe­ver, dans des des­sins de Léa Bou­cher, le texte d’Allain Leprest prend des formes et des teintes nou­velles. Une nou­velle fois, une sil­houette fait face à la mer. Dans le ciel, les oiseaux au vol libre. L’homme se lève et marche. Au large le phare et les rochers de la côte. S’élève alors la voix par­lée, cette voix pro­fonde et grave de Jehan, une prière : « Garde-moi, la mer, garde-moi /​Contre la grippe des fri­mas /​Contre l’âge et contre moi-même /​Contre les enne­mis qui m’aiment. » Tous ces maux, ces fléaux prennent la forme d’ailes d’oiseaux, obsé­dantes et noires. On pense aux cor­beaux d’Alfred Hit­ch­cock. « Garde-moi contre ceux qui rient /​Qui comptent, qui gestent, qui prient /​Contre le ver­tige qui ment /​Et l’as­sas­si­nat des ser­ments /​Contre tout et tout contre toi /Garde-moi… » Lhomme échappe alors à son cau­che­mar, et le voi­ci qui nage au milieu des bancs de pois­sons aux cou­leurs vives. L’image offre un bleu outre-mer, une palette proche de celle d’Hen­ri Matisse. Et le voi­ci qui caram­bole, danse sur les vagues, bleues, vertes et que se des­sinent des images ani­mées où tout devient possible.

La mer comme ultime refuge.

C’est aus­si le mes­sage des images fil­mées par Tom Mur­ray pour accom­pa­gner le mon­tage des pho­to­gra­phies noir et blanc de Niko Roda­mel sur la chan­son de Chris­to­pher Mur­ray, Haut les cœurs (texte de Jean Anders­son auquel le chan­teur rend ain­si hom­mage) der­nier titre de son album de 2018, Ton cam­pe­ment dans ma tête. A sa sor­tie, nous disions « Voi­là chan­sons à rêver, à se lais­ser aller à un zeste de mélan­co­lie, au suave, au pai­sible. À la beau­té de l’éphémère. » Et plus par­ti­cu­liè­re­ment de cette ultime chan­son : « Elle donne en point d’orgue un sens à ces ren­contres avec la fra­gi­li­té, l’éphémère. Pas d’autre alter­na­tive que de gar­der la cadence… » Pas éton­nant donc que l’auteur ait eu le désir de don­ner une nou­velle actua­li­té à ces mots : « Repar­tir à zéro sans la dou­leur au ventre /​La bles­sure refer­mée et le sou­rire fra­gile /​Repar­tir à zéro et dis­per­ser les cendres / D’un ami dis­pa­ru quelque part dans les Iles… On a tous en mémoire de ces odeurs marines qui portent le regard vers un oiseau qui chante ». Sou­dai­ne­ment, alors que se suc­cèdent les pho­to­gra­phies d’hommes, femmes, enfants dans la ville, les rues, les gares, les trains, les rails, la forêt de caté­naires, appa­raît la sil­houette d’un homme mar­chant seul dans la nature, une route déserte, un homme assis face à la mer : « Repar­tir à zéro vers de vertes col­lines /​Le cœur plus apai­sé et la marche plus lente ». Une image vidéo cou­leurs fait irrup­tion à chaque refrain « Et j’entends un mur­mure » : la feuille morte d’un chêne pal­pi­tant sur l’herbe verte, les herbes fré­mis­sant au vent léger, les feuilles s’agitant sur fond de ciel clair. De la mort en effet vien­dra une vie nou­velle, une renais­sance…« Repar­tir à zéro c’est sur­vivre et renaître /​Haut les cœurs navi­guons pour atteindre la cible ». C’est alors que se sub­sti­tuent aux images fixes, les vidéos d’une plage océane. Une petite sil­houette avance à pas mesu­rés vers la défer­lante, un homme s’apprête à jouer avec elle…

« On a tous des rai­sons de rêver l’impossible ». C’est la mer qui nous le murmure.

Ce clip est réa­li­sé à la mémoire d’Anne Syl­vestre.