Valentin Vander & Lise Martin – Le Bijou – 2021 (©Claude Fèvre)

Valen­tin Van­der & Lise Mar­tin, Le Bijou 2021 (© Claude Fèvre)

28 & 29 sep­tembre 2021 – C’est peut-être l’écho du bon­heur [2]

Deux concerts avec Valen­tin Vander

Avec

Valen­tin Van­der (textes et musiques, gui­tare, chant) en solo
Presque un cri avec Lise Mar­tin (uku­lé­lé, chant), Valen­tin Van­der (gui­tare, chant), Yéshé Hen­ne­guelle (mise en scène)
Chan­sons de Vla­di­mir Vis­sots­ky adap­tées par Lise Mar­tin et Valen­tin Van­der, tra­duites par Anne-Péné­lope Duss 


Le Bijou (Tou­louse)

Certes, on n’ira pas jusqu’à dire que Valen­tin Van­der a créé l’émeute devant Le Bijou à Tou­louse… Certes, le public a répon­du pré­sent mais, de toute évi­dence, un public de fidèles déjà conquis.

Pour­tant, il est l’un de ceux que nos hauts et bas de la crise sani­taire encore pré­sente a mis incon­tes­ta­ble­ment en lumière. Il est vrai qu’il nous a tous bou­le­ver­sés avec la Sym­pho­nie confi­née réunis­sant qua­rante-cinq chan­teurs et musi­ciens autour de la Ten­dresse immor­ta­li­sée par Bour­vil. Nous avions conclu notre chro­nique cette semaine-là – la troi­sième du confi­ne­ment du prin­temps 2020 – par ces mots : « C’est beau et fort ! Et cer­tai­ne­ment inoubliable ! »

Et incon­tes­ta­ble­ment, ce le fut comme en attestent les plus de cinq mil­lions de vues sur You­Tube. D’ailleurs, Valen­tin est ému quand il évoque cet inat­ten­du avant de par­ta­ger avec le public cette immense chan­son… On n’oubliera pas non plus de men­tion­ner qu’il est aus­si auteur, chan­teur et musi­cien du groupe qui s’est sin­gu­liè­re­ment amu­sé et dis­tin­gué pen­dant cette crise : Les goguettes en trio… mais à quatre.

Or, quand cette crise sani­taire s’est abat­tue sur nous tous, il venait de sor­tir son album qu’il défend seul en scène ici, main­te­nant au Bijou. Et nous avions déjà titré notre chro­nique, C’est peut-être l’écho du bon­heur, nous avions même par­lé d’une « pul­sion de vie. » Alors bien enten­du nous nous devions d’être là pour ce ren­dez-vous à mul­tiples reprises repous­sé pour les rai­sons que l’on sait.

Valen­tin s’empare de la scène sim­ple­ment. Ses che­veux mi-longs flot­tant dans son cou, sa barbe de quelques jours allant à sa guise, la gui­tare en ban­dou­lière, son arri­vée, ses inter­pel­la­tions du public invitent à un échange sim­ple­ment ami­cal. Il est joyeux, heu­reux d’être là. Nous n’en dou­tons pas un ins­tant et nous nous lais­sons empor­ter quand il chante l’envie de par­tir, d’aimer, « sac bou­clé, par­tir n’importe où »…. Les applau­dis­se­ments, l’enthousiasme du public sont immé­diats. On l’écoute nous dire que ses chan­sons d’amour finissent mal et même com­mencent mal, mais pas une seconde, nous n’en sommes assom­bris sur­tout lorsqu’il entonne « la femme de ma vie n’est peut-être pas faite pour moi… ». Elle est tel­le­ment bien fice­lée cette chan­son !… On ne cache­ra pas qu’on l’attendait de même que Mon étran­gère (titre épo­nyme de l’album) ou les vieux qui s’aiment encore … « Et l’on se sent si seul quand on les regarde pas­ser… » Ou bien encore cette invi­ta­tion à s’aimer même si la fin du monde était déjà là… « L’écho du bon­heur… » Oui, on l’avoue, les chan­sons de Valen­tin Van­der nous sont déjà fami­lières, elles ont ce goût recon­nais­sable entre tout, de ces airs, de ces paroles que l’on aime fre­don­ner, sur­tout quand on avance à pas de loup, comme lui, « sur la pointe du cœur », quand on se sent par­fois, comme dans sa toute nou­velle chan­son, « le cœur à l’envers »…

Valen­tin Van­der nous quitte non sans avoir fait écho à ses autres spec­tacles, à ce que nous ver­rons le len­de­main, son duo avec Lise Mar­tin, autour des chan­sons de Vla­di­mir Vis­sots­ky, avec la poi­gnante lettre bleue, aux goguettes bien sûr avec « Elle est végane » (sur l’air de Elle est d’ailleurs de Pierre Bache­let). C’est avec Paul Ver­laine, dans Il pleure dans mon cœur, qu’il quitte la scène. Déci­dé­ment cet artiste a plus d’un tour dans sa besace de trou­ba­dour pour nous convaincre de le suivre… ailleurs, n’importe où…

Et voi­là, nous sommes là, le len­de­main. Même lieu, même heure. Même scène, cette fois sans aucune ampli­fi­ca­tion, en totale acoustique .

Valen­tin Van­der est déjà là sur la scène, égre­nant quelques notes sur sa gui­tare lorsque nous entrons. Chan­ge­ment de style. Il a ramas­sé ses che­veux dans un petit chi­gnon au som­met de sa tête, sa tenue est souple, légère, il est pieds nus, assis près d’un gué­ri­don où sont posés, des verres, une bou­teille… Des bou­gies éclairent en plu­sieurs points la scène.

Nous avions vu ce duo à la Cave Poé­sie au prin­temps 2019. C’était puis­sant, tel­le­ment émou­vant de voir ces deux artistes s’emparer ain­si d’une parole poé­tique qui eut tant de mal à se faire entendre, celle de Vla­di­mir Vis­sots­ky, poète mau­dit s’il en est, poète inter­dit, muse­lé et pour­tant si célèbre en Rus­sie. Le spec­tacle avait com­men­cé comme dans cette nou­velle ver­sion : « Dès la pre­mière chan­son au souffle épique, quand s’élève d’abord la voix forte, enga­gée de Valen­tin, rapi­de­ment rejointe par celle de Lise, dont on connaît le grain si sin­gu­lier, on devine que la parole du poète sera tout, sauf léni­fiante […] il ne sera pas ques­tion d’oublier à quelle des­ti­née notre huma­ni­té est sou­mise depuis la nuit des temps, depuis ces temps enfuis qui nous laissent mythes et légendes, comme celle de la ville de Troie. Et cette parole qui frappe dure­ment, défi­ni­ti­ve­ment… « Les vision­naires, les ins­pi­rés ont en remer­cie­ment fini sur le bûcher…. Face à eux, face à Cas­sandre, « la foule inculte… »…

Vision­naire, ins­pi­ré, Vis­sots­ky l’est à coup sûr. La langue – même en tra­duc­tion – est nour­rie d’images, de méta­phores pré­gnantes pour dire les dou­leurs et la soif d’aimer, de vivre – et c’est tout comme ! « Je res­pire, ça veut dire que j’aime /​J’aime ça veut dire que je vis ». Lise et Valen­tin enchaînent une ving­taine de chan­sons sans temps mort, dans une mise en scène sen­sible et effi­cace où chaque chan­son a trou­vé sa dra­ma­tur­gie grâce à leur rési­dence de créa­tion par­ta­gée avec Yéshé Hen­ne­guelle, met­teur en scène des Goguettes. On ver­ra tour à tour Lise, sa longue che­ve­lure glis­sée sur un côté de sa tête, pan­ta­lon et che­mi­siers souples, pieds nus, dans une pos­ture atten­drie, douce, age­nouillée, figure de madone, de l’une de ces icônes chères aux ortho­doxes, puis débout, dans la colère, la dou­leur … Car le mal rôde, sou­vent incar­né dans la guerre qui dévaste tout, l’homme et tous les êtres vivants sur cette terre : « Cette année les cigognes ne vien­dront pas ».

Mais il ne fau­drait pas s’y trom­per ce spec­tacle, ces chan­sons ne sont pas une dys­to­pie. En 2019 nous écri­vions : « Mal­gré les ren­contres inop­por­tunes de ces vieilles hideuses, Mal­chance, Impos­ture, il chante la renais­sance, la déli­vrance, le prix de l’amitié et de l’amour, ce sen­ti­ment capable de nous faire croire que l’on peut bâtir « un palais de cris­tal », que « tout l’or du monde fleu­ri­ra sur [nos] terres »… Et l’amour de la vie est si fort que mal­gré les cha­grins, les révoltes et les doutes la prière finale reste celle-ci :

« Ralen­tis­sez un peu le pas des che­vaux, rien qu’un peu je vous en prie, comme si vous n’entendiez pas cla­quer le fouet… »

Il ne fau­drait sur­tout pas man­quer l’écho du bonheur…