Marin, emporté par la houle (Ⓒ Morgan Eloy)

Marin Bonaz­zi (Marin) (Ⓒ Mor­gan Eloy)

9 décembre 2014 – Concert de Marin

Avec Marin Bonaz­zi (accor­déon, pia­no, voix), Guillaume Via­la (vibra­phone, marim­ba et autres per­cus­sions), Yous­sef Ghaz­zal (contre­basse)


Le Bijou (Tou­louse)

C’est fête aujourd’hui au Bijou. Une pre­mière : la soi­rée « Le bijou de ta mère » ! Enten­dez par là que le café asso­cia­tif « Chez ta Mère » prend ses quar­tiers pour un soir chez Pas­cal et Emma Chau­vet. Si l’on ajoute que le pro­gram­ma­teur dudit café fête ses trente ans ce soir, vous aurez une petite idée de l’ambiance. La jeune chan­son tou­lou­saine est réunie pour applau­dir l’un des siens, le trio Marin. La scène est presque trop petite pour accueillir l’installation : pia­no, vibra­phone, accor­déon, per­cus­sions, contre­basse, pia­no toy…

Vous dire ce qu’est ce concert « Chan­son » relève du défi tant il s’écarte de toute réfé­rence et vous prive de repères. C’est un monde en soi qui vous ouvre grand les portes de l’évasion poé­tique et musi­cale. Ce vibra­phone, ces per­cus­sions, sont à eux seuls des trans­met­teurs de rêves que scande, maî­tresse du tem­po, la noble contre­basse de Yous­sef. Marin assure la mélo­die au pia­no ou à l’accordéon, par­fois au chant seulement.

Après un texte de Jean Frois­sart, On doit le temps ain­si prendre qu’il vient, c’est sur un texte du poète belge fran­co­phone Norge (Mes sta­tues) que s’ouvre le set. Le signal vous est alors don­né : lar­guez les amarres, dépouillez-vous de vos ori­peaux de rai­son, lais­sez vous embar­quer pour un éton­nant voyage. Sans gou­ver­nail et sans bous­sole, vous voi­là par­tis pour une heure d’une folle tra­ver­sée que Marin lui-même ponc­tue de tran­si­tions sur­réa­listes. Il tutoie les poètes et ne compte pas des­cendre de sa pla­nète de sitôt, dans le sillage de Norge lui-même qui disait : « J’ai beau­coup mili­té pour que la poé­sie sorte sou­vent de ses châ­teaux de papier, vienne res­pi­rer le « plein air » et vive davan­tage par­mi les hommes ».

Alors, voi­là, vous n’y com­pre­nez pas grand-chose par­fois et c’est beau !

Marin a signé un seul et superbe texte, La der­nière Hor­loge, qu’il a écrit dit-il « par acci­dent, en tom­bant de sa chaise. » Cette chan­son ne dépare pour­tant pas dans son flo­ri­lège où l’on fré­quente les « amis de si près tenus », Manu Galure dans La Baleine qui s‘achève ain­si : « T’en fais pas, ma petite baleine, recrache-moi… », et Émi­lie Cadiou (L’Oie, celle qui vole à contre-cou­rant, qui vole à l’envers), où l’on redé­couvre avec délec­ta­tion Que­neau (les Pis­so­tières, Encore l’art po), Vian (Je veux une vie en forme d’arête) ou Apol­li­naire (pathé­tique poème à Lou, Si je mou­rais là-bas) aux côtés de Gains­bourg (Les femmes c’est du chi­nois), Nou­ga­ro (Les jolies fesses) ; on s’élève à la poé­sie la plus exi­geante, celle de Fede­ri­co Gar­cia Lor­ca (Casi­da des pleurs) ou de Théo­phile Gau­tier (Far­niente) : « Quand je n’ai rien à faire et qu’à peine un nuage /​Dans les champs bleus du ciel, flo­con de laine, nage /​J’aime à m’écouter vivre… »

Est-ce assez dire que le trio Marin offre un écrin musi­cal et une voix à la poé­sie, rap­pe­lant avec Norge que sœur de la musique, [elle] est née de la voix haute et cette « voix haute » lui confère sa per­pé­tuelle renais­sance et son sacre.

Article initialement publié sur le site Nos Enchanteurs :
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