Corentin Grellier en sept têtes, Café Plùm 2022 (©Claude Fèvre)
28 mai 2022, Corentin Grellier : Chanson de Plumes et d’Os en « sept-têtes »
Plutôt la plume que l’os
Avec
Corentin Grellier (chant, guitare), Claude Delrieu (accordéon), Mathieu Cesari (guitares), Alexandre Lantieri (saxophones, clarinettes), Sylvain Avazeri (trompette, trombone), Flore Galais (contrebasse, basse), Julien Heurtel (batterie)
Café Plùm – Lautrec (Tarn)
Il était une fois Corentin Grellier, un croque-notes, sur un trottoir, dans les rues de Toulouse… Une femme s’arrête –disons tout net que ce n’était autre que la présidente du festival Détours de Chant ! – elle s’étonne devant ce qu’elle entend… Elle engage la conversation, lui indique un lieu, un café associatif dans le quartier Arnaud Bernard. Il viendra y chanter trois chansons avec sa guitare, grimpé sur un tabouret haut. Ce soir là, nous étions parmi les spectateurs… Ces mots déjà, surprenants dans la voix d’un si jeune homme ! De cette émotion ressentie, nous n’avons rien oubliée.
Quelques mois plus tard, d’autres fées – au fait, comment dit-on fée au masculin ? – étaient venues sur sa route et nous le retrouvions, le 31 janvier 2015 exactement, parmi les « Coups de pousse » du festival Détours de Chant, en trio (déjà !) baptisé Camu, avec accordéon et contrebasse. Nous parlions alors d’une « présence toute en douceur, souriante, suave – osons le mot ! ». Un an après, dans ce même festival, nous les retrouvions programmés dans une salle au Nord de Toulouse. Après son concert nous l’interrogions : « Dis, Corentin, pourquoi tu chantes ? » Il nous déroulait alors son histoire, son admiration à 13 ans pour Bob Marley, son premier groupe de reggae – un groupe de huit ! – en anglais, avec la certitude que c’était ce qu’il ferait de sa vie : parler aux autres avec ses textes en chantant… A 18 ans, quand il découvre Brassens, Brel, presque « par accident » dit-il, c’est un choc frontal qui décide de la suite…
Pour lui, écrire, c’est comme une évidence : ce qu’il ne sait pas, ne peut pas dire, il l’écrit… Une écriture abondante, libératrice, où les mots se font écho, les phonèmes s’entrechoquent, les néologismes ne font pas peur, pas plus que les mots crus… Et c’est là ce que l’on peut nommer, sans outrecuidance, son « style » que nous avons tant aimé retrouver au fil des ans, des concerts, dans l’album Camu puis dans son album solo, Une saison en hiver, dans les premières parties que lui offraient, en fil rouge, la salle du Bijou au cours de cette saison qui s’achève. Car on ne saurait passer à côté de Corentin Grellier… La Région, les acteurs du Réseau Chanson Occitanie ne s’y sont pas trompés.
Venons-en à ce soir, à ce concert au café Plùm, à Lautrec dans le Tarn. Autant dire qu’il joue à domicile tant ce lieu lui a été protecteur, familier, partageant ses bonheurs, ses joies et ses épreuves… C’est tout naturellement qu’après des temps de résidence de création ici, mais aussi à Langogne, au Bijou, il vient y offrir ce concert à « sept têtes ». Et quel concert !
Un mot nous vient : époustouflant !
Le groupe est entré par la salle au son de la trompette et de la clarinette dans un hymne à la vie… Corentin s’exprimera peu entre les chansons mais nous avons retenu ces mots d’accueil : « On va essayer de s’envoler ensemble sans tomber… » Et d’ailleurs on le verra ouvrir grand les bras, tourner sur lui-même, danser…
Hé bien, sachez –le, avec lui nous nous sommes envolés. Sur le tapis volant de ses mots, sur l’accompagnement musical savamment orchestré, nous sommes, comme lui, restés funambules de nos vies, un peu vagabonds aussi parfois, perdus dans l’univers mais profondément liés à ceux qui luttent… « Camarades » nous chantent Corentin… Ce mot là pourrait-il retrouver sa saveur initiale quand on entend : « Camarade hirondelle, t’as la gueule du printemps et le sourire au bec… Camarade ritournelle rejoue nous la Commune… » ? Et l’on pense à Hugo, Victor de son prénom : « Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent… »
Avec Corentin on joue avec le vent et la trompette bouchée alors l’accompagne… La basse électrique… Ecoutez… « Le vent joue sa musique pour que nous « cervolions »… Si le concert a commencé façon Ogres de Barback, festif, il a poursuivi dans la douceur et la mélancolie souvent. Et pour nous escorter dans ces paysages intérieurs, ce sont souvent des trios… Par exemple trombone et clarinette klezmer pour cette superbe chanson où la Provence ‑d’où il vient, précisons-le – devient un pays inaccessible puisqu’il n’en parle pas la langue… « Si j’étais né dans ce pays où les moutons sont transhumants… j’aurais pu chanter en cigale » … » Lenteur et profondeur des guitares et de clarinette basse pour chanter l’amour pour sa « petite maman » et ce temps qui passe, inexorablement… Car, vous aurez vite compris que le beau temps alterne avec la pluie, et bien pire… Alors « on essaie qu’il fasse beau sous les chapeaux »… Corentin le sait bien, lui qui a croisé tant de bons génies, « y en a qui font des éclaircies au milieu du grand infini… » Tantôt il embrasse tout l’univers, des décennies, des grands mouvements de notre histoire humaine où la tempête gronde, pleuvent des bombes, où l’humanité est immonde, et tantôt, il s’en revient, quelqu’un de « tout banal », traîner au coin d’un bar… « Traîner devant une gare imaginaire … devant le feu jusqu’à la cendre » dans le son de cuivres glorieux…
Au rappel, quand il revient seul, vous aimez chanter en chœur avec lui « Où ça s’en va l’amour, quand ça s’en va… » Puis, avec tout le groupe, faire la fête à la chanson, à ce concert qui tant éblouit : « Tu verras comme c’est beau barrit, barrit l’éléphant sur la barricade du côté des enfants… »
Au moment de refermer ce temps suspendu, avec l’accordéon, retenons cette invitation : « Deviens oiseau toi aussi si tu n’es pas de taille à faire la guerre à la beauté de la vie… »
Plutôt la plume que l’os…