Barbara Weldens, Le Bijou (© René Pagès)

Bar­ba­ra Wel­dens, Le Bijou (© René Pagès)

18 octobre 2016 – Concert de Barbara Weldens en trio

avec Bar­ba­ra Wel­dens (chant), Bar­ba­ra Ham­ma­di (pia­no- chant), Marion Diaques (vio­lon alto, voix)

Le Bijou (Toulouse)

Nous sommes des êtres d’é­mo­tions, par chance elles sont uni­ver­selles. Nous sommes aus­si doués de rai­son, cette der­nière nous est propre et com­pose nos dif­fé­rences, nos affi­ni­tés et par­fois nos griefs.
J’é­cris avec ces deux ins­tru­ments, la tête et le cœur. J’i­gnore tout du monde. J’ai le désir entê­té de par­ta­ger cela. Sans doute pour me libé­rer de ce thème qui m’ob­sède, la dua­li­té des genres, leur com­plé­men­ta­ri­té, s’il en est… Homme, Femme J’au­rais vou­lu racon­ter une vie, c’en est fina­le­ment une mul­ti­tude qui s’en­tre­choquent ! La musique est l’es­pace où se jouent mes drames fan­tasques, mon théâtre c’est le chant, mon style, c’est tous les styles, je suis tout le monde, je suis un slam qui pal­pite, un tan­go en colère, un rock qui se brise, une valse qui s’é­panche, une can­tate à bout de souffle… Je suis n’im­porte qui, un ventre, un pou­mon, une gorge, un outil de chair abri­tant nos bru­tales émotions.

Le grand H de L’homme – Bar­ba­ra Weldens

Bar­ba­ra Wel­dens nous emporte, nous trans­porte, nous bous­cule, nous laisse KO debout… Les mots qui viennent sous la plume sont tous hyper­bo­liques. Ils se pressent pour dire l’extravagance, l’emphase, l’outrance, la déme­sure, la démence… Regar­dez son dos­sier de presse.

Dé-mente, Bar­ba­ra Wel­dens ?… Pri­vée de rai­son, de cette rai­son rai­son­nante qui gou­verne nos vies ? Plus sûre­ment quelque chose de cette Alice qu’elle chante aus­si, celle de Lewis Car­roll qui nous emmène de l’autre côté du miroir, où plus rien ne res­semble à rien de ce que nos codes nous imposent. Mais nous le savons bien, Alice gran­di­ra, vieillira…

On s’interroge à chaque appa­ri­tion en scène tant les mots, la musique et l’interprétation nous agitent d’émotions aux­quelles il est dif­fi­cile de s’arracher. En trio, entou­rée de sa fidèle pia­niste, Bar­ba­ra Ham­ma­di, et de la vio­lo­niste Marion Diaques – capable d’imiter le chant d’un oiseau ou de « beat­boxer »– elle offre une pano­plie d’expressions, de jeux qui s’ajoutent à son corps sans cesse en mou­ve­ment. Bien enten­du c’est d’abord là que tout se passe, dans « l’organique vibra­tion », avec lui que tout se passe, ce corps dont elle a appris le lan­gage dans son approche circassienne.

Barbara Weldens, Le Bijou (© René Pagès)Le numé­ro d’équilibre, cou­teau entre les dents, écha­fau­dage de verres sur la lame, n’est-il qu’un clin d’œil appuyé à son his­toire ? N’est-il pas plu­tôt la méta­phore d’une vie en équi­libre instable, tou­jours guet­tée par la seconde d’inattention qui pro­vo­que­rait la chute ?

D’abord peut-on regar­der, entendre cette artiste sans faire fi de son iden­ti­té d’homme ou de femme ? Elle nous fas­cine, tous, hommes et femmes, c’est une évi­dence. Mais nous, n’entendons-nous pas, le com­bat, la dou­leur, la déchi­rure d’être née femme ? Quand elle évoque la mise au monde d’une fille, quand elle cherche en vain ses « nichons », quand elle nous entraîne dans la chambre mauve de l’adolescente qui devra coûte que coûte « Res­ter debout /​Gran­dir /​Avan­cer », quand elle chante la sou­mis­sion à l’amour « Je ne suis qu’un chien qu’on aban­donne », ou qu’elle sup­plie, « Puisque tu m’aimes, fais-toi la malle » quand elle ôte en scène ses sou­liers rouges à talons hauts, quand elle arrache sa longue robe – ses ori­peaux de femme fatale ? – pour mieux dire ce qui s’impose à ses flancs fémi­nins. Ne voyons-nous pas la vio­lente cari­ca­ture – jusqu’à la pos­ture simiesque – de celle qui décide de lais­ser place à l’homme qui l’habite ? C’est comme une conquête sur laquelle s’achève d’ailleurs le concert dans une sor­tie du trio sur une parade qua­si mili­taire. La vio­lo­niste a tra­cé une mous­tache au-des­sus de ses lèvres et tro­qué son vio­lon contre un tambour…

Bar­ba­ra Wel­dens s’avoue séduite par les chan­teuses expres­sion­nistes du siècle écou­lé et l’on sai­sit bien cette conni­vence avec une esthé­tique artis­tique très char­nelle, au paroxysme du res­sen­ti. D’ailleurs ce soir, on avait le sen­ti­ment que la chan­teuse elle-même en per­dait le contrôle.

Barbara Weldens, Le Bijou (© René Pagès)On se sent sou­la­gée quand, à la fin, elle avoue « C’est pas pour de vrai que je suis folle » et qu’elle appelle : « Viens, il faut tout inven­ter ! » Y aurait-il donc une porte de sortie ?

On retien­dra cette image émou­vante de la chan­teuse avec son petit chien dans les bras à qui elle confie : « La vie, c’est mal fou­tu des fois »… Le petit ani­mal, cho­riste inat­ten­du, hurle alors son déses­poir… Ou bien ce sou­rire presque gêné de sa propre impu­deur, ce haus­se­ment d’épaules enfan­tin, fugi­tifs ins­tants à la fin de quelques chan­sons. Ils pour­raient faire contre­point aux nom­breux cli­chés de la chan­teuse délirante.

Alice, reviens au Pays des Merveilles !