Et si l’espoir reve­nait – B. Lavilliers, avril 2020 (© Céline Lajeunie)

du 20 avril au 27 avril – épi­sode 7 du confi­ne­ment contre le COVID-19

Comme des fenêtres – épi­sode 7

Avec
musi­ciens, auteurs, chan­teurs, en gras dans le texte


En ces temps de misères omni­pré­sentes, de vio­lences aveugles, de catas­trophes natu­relles ou éco­lo­giques, par­ler de la beau­té pour­ra paraître incon­gru, incon­ve­nant, voire pro­vo­ca­teur. Presque un scan­dale. Mais en rai­son de cela même, on voit qu’à l’op­po­sé du mal, la beau­té se situe bien à l’autre bout d’une réa­li­té à laquelle nous avons à faire face. Je suis per­sua­dé que nous avons pour tâche urgente, et per­ma­nente, de dévi­sa­ger ces deux mys­tères qui consti­tuent les extré­mi­tés de l’u­ni­vers vivant : d’un côté, le mal ; de l’autre, la beauté.

Cinq médi­ta­tions sur la beau­té (Albin Michel, 2006)

Fran­çois Cheng

Cinq médi­ta­tions sur la beau­té , (Albin Michel, 2006)

« Ces deux mys­tères qui consti­tuent les extré­mi­tés de l’u­ni­vers vivant : d’un côté, le mal ; de l’autre, la beau­té » avait écrit Fran­çois Cheng, nous invi­tant à ne pas oublier notre part de Beau­té. « Soyons beaux, soyons fiers »… nous invite à son tour le chan­teur Guillo en publiant une ver­sion sobre (Benoît Cra­bos au pia­no… à dis­tance bien sûr) de la chan­son, Pont d’Arc, extraite de son der­nier album. Un temps sus­pen­du pour s’arracher à la noir­ceur de notre condi­tion ani­male, pour plon­ger nus dans la beauté…

Quand la scène leur est confis­quée, quand ils ne peuvent plus aller vivre la ren­contre pour laquelle ils se sentent nés, que peuvent bien inven­ter les artistes du spec­tacle vivant pour ne pas se sen­tir mou­rir ? Ils s’emparent de ce qui est à leur por­tée pour aller, coûte que coûte, presque fré­né­ti­que­ment, à la ren­contre des autres, fussent-ils sépa­rés d’eux par un mur infran­chis­sable. Ils ont faim, soif de ces sou­rires, de ces souffles, ces mains qui se tendent et applau­dissent. Et c’est ain­si que déferle sur nos écrans, un flot inter­mi­nable de vidéos, de chan­sons en direct ou dif­fé­rées, de say­nètes, de lec­tures, d’images où se confondent ama­teurs, pro­fes­sion­nels, célèbres, débu­tants, « stars », incon­nus… Chaque inter­naute peut s’y créer son programme.

Voi­là donc que s’invente une culture vir­tuelle qui se déploie, et sauve de la peur, de l’angoisse, du spleen. Elle pro­pose de la beau­té pour éloi­gner la pen­sée de « la fin /​qui grouille et qui s’amène /​Avec sa gueule moche ». Jamais le cri de Boris Vian « Je vou­drais pas cre­ver » n’aura reten­ti avec autant de force.

Peut-être, en ouver­ture de cette quête de Beau­té, peut-on écou­ter Char­lé­lie Cou­ture et Yamée dans une chan­son inédite chan­tant « Quand revien­dras-tu ma liber­té ché­rie ? » ou bien Mat­thieu Che­did- M répon­dant aux ques­tions des inter­nautes ? Entou­ré des livres de sa biblio­thèque – il s’empare un ins­tant d’un titre de Spi­no­za – il se confie sur son goût de la pho­to­gra­phie, du jar­di­nage, de la fabri­ca­tion du pain, sa nou­velle pas­sion. Il délivre son mode d’écriture, de créa­tion, nour­rie par la phi­lo­so­phie, la spi­ri­tua­li­té, le mes­sage d’amour uni­ver­sel lais­sé par sa grand-mère Andrée. Il nous montre à son poi­gnet les bra­ce­lets offerts par Amma, figure de l’Inde contem­po­raine, fon­da­trice de l’ONG « Embra­cing the word » à voca­tion huma­ni­taire et éco­lo­gique. Le retour à la scène se fera avec un nou­veau rêve, un opé­ra… Pour l’heure, il chante son mes­sage d’espérance pour le Secours Popu­laire « Crois au prin­temps ».

Alors que les corps et les cœurs souffrent de la durée de ce confi­ne­ment sani­taire, les chan­sons d’espérance sont de pré­cieuses alliées… On écoute ain­si Ber­nard Lavilliers chan­ter la sienne, chez lui, seul avec sa gui­tare « Pour voir ce sou­rire d’en­fant, pour ses cahiers déchi­rés /​Pour enfin que les amants n’aient plus peur de s’en­la­cer /​Le soleil se lève aus­si… Et si l’espoir reve­nait » (L’Espoir). On s’attarde volon­tiers au concert de Ben Her­bert Larue, dans son camion garé près de l’antenne 4G, un moment de dou­ceur avec ce vœu essen­tiel « On va essayer de le recons­truire le chan­tier de la beau­té »… On ira, c’est sûr, se lover dans l’Île, « un coin au sec, un genre de toit » des­si­né par Thi­baud Defe­ver, en com­pa­gnie des musi­ciennes du Well Quar­tet « un bout de terre comme un radeau… Il va fal­loir qu’on soit patient, qu’on reste zen, on n’y peut rien quand les élé­ments se déchaînent… » On regar­de­ra le tout nou­veau clip de Fran­çois Puyal­to chan­tant Bar­ba­ra « Dis, quand revien­dras-tu » – chan­son essen­tielle – avec le seul accom­pa­gne­ment de sa basse, des images prises pen­dant l’enregistrement de son album paru début mars. Et pour lui faire écho on aime­ra qu’Her­vé Suhu­biette nous rap­pelle Un jour, tu ver­ras une chan­son signée Mar­cel Mou­loud­ji et Georges Van Parys, une chan­son d’amoureux qui vont par les rues… Elle résonne juste comme une pro­messe de ciel bleu comme toutes celles que Lise Mar­tin, d’une fidé­li­té exem­plaire à son thème, chante chaque jour avec son sou­rire, comme une caresse… Citons Ta p’tite flamme d’Amé­lie-Les-Crayons, L’Oiseau et l’enfant inter­pré­tée par Marie Myriam, J’ai ren­dez-vous avec vous de Georges Bras­sens, Le Tour­billon de Serge Rez­va­ni où défilent en nos mémoires les images de la radieuse Jeanne Moreau dans Jules & Jim de Fran­çois Truf­faut, Le temps de l’amour inter­pré­tée par Jacques Dutronc, La Fleur Rouge… Cette chan­son est un pré­cieux rap­pel du poète René-Guy Cadou et de l’un de ses inter­prètes dis­pa­rus trop tôt, Marc Robine.

On croi­se­ra sans doute aus­si David Sire, ce « clan­des­tin », ce « malan­drin », dans un lieu impro­bable de ver­dure et de rochers. On le ver­ra s’éloigner, chan­tant avec sa gui­tare « Je marche pour ne pas deve­nir fou et pour ne pas cour­ber l’échine. » On se sent sœur de cet homme libre. Et quand s’élève Bel­la Ciao qu’ont enton­né nos voi­sins ita­liens à leurs fenêtres, chan­té en six langues par le sex­tet tou­lou­sain Swing Van­dals, on se sent l’âme fra­ter­nelle à jamais… Fra­ter­ni­té, c’est bien là ce qu’illustre le chœur d’une cen­taine de par­ti­ci­pants réunis par Domi­nique Babi­lotte, épau­lé par Marie et Eric Pel­le­rin, créa­teurs du fes­ti­val Les Ori­gi­nales de Mor­laix, pour L’âge d’or de Léo Fer­ré. Et c’est aus­si « un moment qua­si sur­réa­liste… un ins­tant pré­cieux, incroyable d’humanité » expri­mé par Toma Sidi­bé, invi­té à chan­ter dans le jar­din d’un Ehpad à Poi­tiers, applau­di depuis les fenêtres, les bal­cons par ceux qui ont tant à souf­frir de cette épreuve du confinement.

Sur nos écrans l’espoir et la beau­té sont donc en per­ma­nence dif­fu­sés par quan­ti­té d’artistes décla­rés ou non. Les pho­to­graphes, ceux d’un jour ou de tou­jours, le prin­temps, sa nature luxu­riante, ses cou­leurs, leur don­nant à voir et à par­ta­ger. Les clowns aus­si, je pense à Pec­ca­dille /​Syl­vie Kout­si­ki­dès (Théâtre de la Terre) qui en une minute chaque jour, dans la nature géné­reuse de son coin d’Ariège, pointe son nez rouge, et son bon­net orange aux pom­pons roses assor­tis à ses bottes de caou­tchouc, pour se rire mali­cieu­se­ment de notre actua­li­té. Les chan­teurs, musi­ciens qui sont aus­si des auteurs… Her­vé Lapa­lud nous le démontre, s’il était besoin, chaque mar­di et ven­dre­di à 17h47, avec sa lettre dédiée à « la nuit », à « l’instant pré­sent », à « son enfant » de dix-huit mois, à « Jacques (Hige­lin) » livrant ain­si la source de sa pas­sion… « Je ne savais pas qu’un concert c’était de la folie, de la transe, de l’incantation… Je pre­nais le nord sur ta boussole… »

Oui, un concert c’est de la folie et de la beau­té mais c’est un monde deve­nu momen­ta­né­ment inac­ces­sible. Et même si aujourd’hui on essaie de nous faire croire qu’un fes­ti­val comme celui de Bourges peut quand même exis­ter… Durant six jours le Prin­temps Ima­gi­naire « inves­ti­ra tous les champs du digi­tal », où se mêle­ront “Créa­tions, reprises, textes, fan­tai­sies” pro­met Boris Vedel, direc­teur du fes­ti­val “C’est une réac­tion à une édi­tion qui nous a été volée… » Nul n’est dupe et cha­cun de nous guette le moment qui nous déli­vre­ra de ce « temps mort, temps per­du, temps tué à tue-tête » chante Pha­nee de Pool dans un clip mai­son à ne pas man­quer, plein d’inventivité, déjà dif­fu­sé sur la RTS.

Nos artistes ont déci­dé­ment bien des res­sources pour nous faire patien­ter, comme le prouve à nou­veau Valen­tin Van­der, accom­pa­gné par sa com­plice Clé­mence Mon­nier (Les goguettes en trio mais à quatre) au pia­no dans une goguette déjà pro­mise à un bel ave­nir T’as vou­lu voir le salon (sur l’air de Vesoul de Jacques Brel). Il a réa­li­sé un rêve… Non, non, ce n’est pas le jour­nal télé­vi­sé de Jean-Pierre Per­nault, ce ne sont pas les trois mil­lions de vues sur You Tube, c’est l’article paru dans Le Réveil Nor­mand, le quo­ti­dien de sa terre d’origine, une recon­nais­sance long­temps rêvée.