Que vienne la rosée… – C.Mokaiesh, mai 2020 (© Céline Lajeunie)

du 27 avril au 4 mai – épi­sode 8 du confi­ne­ment contre le COVID-19

Comme des fenêtres – épi­sode 8

Avec
musi­ciens, auteurs, chan­teurs, en gras dans le texte


« Si j’avais su /​Si j’avais su /​Qu’il me man­que­rait /​Beau comme il est /​Le jour d’après », chan­tait Cyril Mokaiesh le 30 mars, en com­pa­gnie de son fils Jules, déli­cieux petit cho­riste. Et voi­là qu’un mois plus tard, il pro­pose un nou­vel inédit avec Calo­ge­ro pour l’accompagner à la gui­tare et au chant, une chan­son en forme de prière « Que vienne la rosée /​Un grand bain de jou­vence /​pour décu­pler nos sens /​Sur nos pâles pen­sées en mal d’humanité… » Il est vrai qu’en ce 48ème jour de cette sus­pen­sion de tous nos gestes, nos actes de vivants, amou­reux du bien vivre, nous man­quons d’air, d’oxygène, quand la nature, elle, s’épanouit dans une débauche de verts… On serait presque ten­té de lui repro­cher d’en faire un peu trop…

Alors, chaque jour, il nous semble devoir nous arra­cher à cet inévi­table spleen que nous par­ta­geons avec des artistes. Nous avons cette chance là… Les petits pois­sons pilotes dont par­laient Waj­di Moua­wad n’ont pas déses­pé­ré. Ils habillent notre blues de leur ten­dresse, de leur malice, de la force et la saveur de leurs mots ou /​et de leur mélodie.

Com­ment ne pas par­ta­ger ce court dia­logue publié par Grand Corps Malade, lui qui, chaque jour en quelques lignes pleines d’humour, par­tage son vécu auprès de ses deux enfants, de sa com­pagne en télé­tra­vail, aux prises avec le lave-vais­selle, ses che­veux, sa free box, la langue alle­mande, le pro­gramme de CP et de CM1… Mais ce jour 42 :

  • Mais papa, toi t’as pas besoin de tra­vailler en ce moment. 
  • Bah non… Enfin si, mais y a des choses que je peux pas faire en confinement. 
  • Ah oui, comme faire tes concerts, enre­gis­trer ton nou­veau disque, tour­ner ta série ? 
  • Papa, tu pleures ? 

En ce même jour, une lettre d’intérieur de Gaël Faye, lue par Augus­tin Tra­pe­nard sur France Inter, trois minutes adres­sées à un ami d’enfance, nous rap­pelle la réa­li­té tra­gique de cette pan­dé­mie… D’abord le risque d’être malade – Gaël Faye a contrac­té le virus au début de l’épidémie – mais sur­tout celui de perdre un être cher et de ne pas pou­voir lui faire un ultime adieu. Il évoque avec ten­dresse ses « larmes séques­trées », il attend, il espère comme nous : « Après tout ça, j’ai hâte de te retrou­ver, que nous pour­sui­vions la vie, cette valse du temps, ce manège étour­dis­sant, comme autre­fois autour de la petite mai­son verte de ma grand-mère. »

A l’heure où nous com­men­çons à entre­voir un peu de lumière au bout de ce tun­nel, écou­tons aus­si le « bidu­lo­sophe » David Sire. Dans sa petite serre où poussent ses salades, il s’interroge sur demain « Faut y aller, ima­gi­ner, faut faire avec un tout petit mot, « avec », après tant de jours, « sans »… On va pas lais­ser la peur nous racon­ter des salades… » Pour conclure : « Je te sou­haite de ne pas faire la course et pour­tant de vivre au grand galop… » Écou­tons la chan­son de Jofroi, Si ce n’était manque d’amour, entre par­lé et chan­té, un rap­pel néces­saire « On s’rait bien mieux en ces beaux jours » dans un puzzle d’images où l’accompagnent musi­ciens, amis, spec­ta­teurs de France, Bel­gique, Qué­bec, La Réunion… pour finir avec le chœur d’une équipe soignante…

On peut tout aus­si bien écou­ter sur Arte Radio le 72ème « post­cast » de la savou­reuse série #Dépêche signé du repor­ter Oli­vier Minot et titré Confi­ne­ment Blues ou bien les 11 min du mon­tage de Mathilde Guer­mon­prez C’est confi­né, des mes­sages vocaux où l’on découvre une véri­table « cap­sule his­to­rique » de cet évé­ne­ment hors normes, notre « comé­die humaine » dans toute sa diver­si­té et sa com­plexi­té. Com­ment alors ne pas être émus des paroles de la chan­son qu’Eric Fra­siak et Fré­dé­ric Bobin ont vou­lu par­ta­ger, main­te­nant, en plein mois d’avril. Novembre, ce « cra­chin gris de l’Est » quand « Sur les fils élec­triques, les der­nières hiron­delles, ont des envies d’Afrique, de soleil sur les ailes… » ? Oui, nous avons des envies de soleil sur les ailes, et nous cher­chons nos réponses dans le vent… C’est alors que nous décou­vrons la Sym­pho­nie confi­née n°2 de Valen­tin & Julia Van­der qui réci­divent avec Blowin’in the wind de Bob Dylan, abo­lis­sant cette fois les fron­tières… Un spec­ta­cu­laire mon­tage auquel par­ti­cipent 70 musi­ciens et chan­teurs, tous « confi­nés », par­tout sur cette Terre, au quatre coins de France, en Europe du Nord, du Sud , de l’Est, en Afrique, en Amé­rique du Nord, au Moyen-Orient, en Aus­tra­lie… A l’amitié et à l’amour, chantent aus­si les musi­ciens et chan­teurs qui ont rejoint Rober­dam, dans des images de France, Alle­magne, Bel­gique, Suisse, Royaume Uni, Bul­ga­rie, Côte d’Ivoire, Liban, Qua­tar, où enfants, per­son­nels soi­gnants, pom­piers nous rap­pellent à notre réa­li­té. C’est dire si nos chan­teurs ont soif d’es­pace, de pays sans frontières.

Par­fois même, c’est du cha­grin qui vous sai­sit un matin en écou­tant une voix qui s’est sou­dai­ne­ment tue, celle du chan­teur kabyle Hamid Che­riet qui s’était choi­si un bien joli nom de scène : Idir, « celui qui sur­vit ». Il chante encore et pour long­temps « Pour­quoi cette pluie /​Pour­quoi ? /​Est-ce un mes­sage, un cri du cœur /​J’ai froid mon pays, j’ai froid… » Et l’on est bou­le­ver­sé en écou­tant Céline Caus­si­mon dans l’adaptation de sa chan­son Abb­he­ri Tme­dit /​Vent du soir, « Je vous quitte, adieu, et n’ayez pas de peine, car ce soir je dors avec le vent »… 

On se res­sai­si­ra en regar­dant une nou­velle fois les « vidéo-puzzle confi­nées » joli­ment orches­trées par Frais­si­net. D’abord celle avec Aliose (Ali­zé et Xavier), Il pleut, tout en dou­ceur, lyrique à sou­hait puis Quelque part avec Car­rou­sel (Sophie et Léo­nard) et leur accom­pa­gne­ment déli­cieu­se­ment enfan­tin où tout peut faire son… « Tout n’est pas per­du ce soir, on se regarde sans trop y croire… »

Car, on l’avoue, il est de plus en plus dif­fi­cile de gar­der le cap. Il ne sera pas vain d’écouter alors ces mots de Claude Nou­ga­ro « Bien­tôt, bien­tôt /​On pour­ra s’embrasser cama­rade /​Bien­tôt, bien­tôt /​Les oiseaux, les jar­dins, les cas­cades… », grâce à l’interprétation de Bidon­ville par Alsi­na avec – à dis­tance bien sûr – le gui­ta­riste Serge Lopez. Il ne sera pas vain de pen­ser à ceux qui, sans faillir, font chaque soir, de l’hommage des 20 h, un moment de fra­ter­ni­té… Cha­peau bas au quar­tier de la Guillo­tière à Lyon où ce ren­dez-vous a pris d’incroyables pro­por­tions autour de Vincent Epar­vier. Quelque cent per­sonnes reçoivent chaque jour titre, paroles, cho­ré­gra­phie, un code ves­ti­men­taire et par­ti­cipent à l’interprétation d’une chan­son popu­laire à leur fenêtre, au bal­con, en bas de l’immeuble pour les musi­ciens, sur un muret de béton pour les dan­seurs… Une aven­ture qui pren­dra fin dimanche pro­chain. Contre la mélan­co­lie, contre cette pri­va­tion des gestes essen­tiels, bai­sers, acco­lades, par­tages, on fini­ra peut-être par aller voir du côté de l’humour noir des courtes séquences réa­li­sées par Jean-Marie Périer, avec un Jacques Dutronc comé­dien au mieux de sa forme, dans des textes déso­pi­lants de Domi­nique Noguez : Com­ment rater com­plè­te­ment sa vie… En voi­là un programme !