Olivier Daguerre, la nuit traversée, livre – disque (© LamaO Editions)

Oli­vier Daguerre, La nuit tra­ver­sée, livre-disque  (© LamaO Éditions)

2 janvier 2017 – Olivier Daguerre, La nuit traversée
livre-disque, LamaO Éditions
Sortie officielle le 10 février

avec

Oli­vier Daguerre (paroles et musiques, chant, gui­tares), Mickaël Bentz (arran­ge­ments, vio­lon, pia­no, orgue, gui­tare élec­trique, pro­gram­ma­tion, chœurs), Michel Mous­sel (basse), David Mou­lié (cor, trom­pette, bugle)
par­ti­ci­pa­tion de l’ate­lier d’écriture « Les capes en couettes » (texte Tu dis de moi & chœurs) – textes de Michel Fran­çoise Si vous saviez et Cédric Roux Au diable – chan­son basque de Xavier Lete en hom­mage au poète Xalbador.

Récit de Mély Vin­til­hac

Des­sins de Sarane Mathis

C’est un livre. Ce sont des des­sins. Ce sont neuf nou­velles chan­sons. Et c’est, disons-le sans hési­ta­tion, une ouver­ture symphonique.

Un ravis­se­ment.

Oui, nous sommes « ravis », c’est à‑dire enle­vés à notre réa­li­té, notre quo­ti­dien par la ren­contre, le va-et-vient sen­sible, le croi­se­ment sub­til, l’enchevêtrement de trois uni­vers : le des­sin de Sarane Mathis, le récit de Mély Vin­til­hac, créa­tions satel­lites des chan­sons d’Oli­vier Daguerre. Trois genres, trois artistes et pour être juste il convien­drait d’y adjoindre un qua­trième. Car ce livre ne serait pas, sans une pas­sion­née de mots, de musiques et de chan­sons : Fany Sou­ville et ses LamaO Edi­tions.

Par­ta­geons avec nos mots cette décou­verte et cette sen­sa­tion d’émerveillement. Ten­tons d’en faire jaillir la source. Len­te­ment. Page après page. On a le droit de rêver

C’est un livre blanc. Une cou­ver­ture lisse où le titre, La nuit Tra­ver­sée, fait un léger grain sous la caresse de la main. Un visage d’encre noire dont les rides pro­fondes des­sinent le palimp­seste d’une his­toire d’homme au long cours. La tête est pen­chée, les yeux bais­sés. De qui, de quoi se détournent-ils ? Vers quel « pro­fond sen­ti­ment inté­rieur » s’inclinent-ils ?

Ouvrons. Une dédi­cace en bas de page, en vis-à-vis du titre. Deux mots : « Aux nau­fra­gés ». Jaillissent alors de la mémoire, tableaux, images sur écran géant, tra­gé­dies sur petit écran. Lec­tures depuis long­temps déglu­ties. Des radeaux, des noyades, des aven­tures, des quêtes, des plages et des îles. Ulysse en prise à la ven­geance de Poséi­don, écharpe magique de la nymphe Ino, dou­ceur de la belle Nau­si­caa sur le rivage…On a le droit de rêver… Même si cha­cun de nous sait qu’il est d’autres nau­frages. Sans départ, sans bateau et sans lame de fond.

On tourne la page. On entre en lec­ture avant que ne vienne le temps de la musique, de la voix qui chante.

Pre­miers mots : « Des pans entiers de ma vie se sont effon­drés.. » C’est un récit au fémi­nin impri­mé dans une police en ita­liques, fine, légère, presque aérienne. Des para­graphes courts. Par­fois deux mots. Un seul. C’est une pen­sée qui dévide ses ara­besques, ses sou­bre­sauts, ses haltes comme un long tra­vel­ling dans la ville. C’est une pen­sée qui titube. Les sou­ve­nirs viennent s’échouer bru­ta­le­ment, vio­lem­ment – on le devine déjà- sur un choc, un drame. Nous n’en décou­vri­rons la teneur que bien plus tard dans le livre. Ce sera bru­tal, violent. « Le cœur qui explose dans l’instant en plein vol ». On s’en dou­tait. C’est une lettre qui le dit. Comme un poème. Et cette injonc­tion der­nière : « N’oublie pas les mots, ils t’empêcheront de tom­ber /​N’oublie pas la musique elle te por­te­ra loin. »… On a le droit de rêver

Le pre­mier texte d’Olivier Daguerre, la pre­mière chan­son, dans une orches­tra­tion en ciné­ma­scope, a pour titre Oublier. Une mise en abyme de ce que, pré­ci­sé­ment, nous sommes en train de vivre en l’écoutant : « La cha­leur de l’orchestre me fait mon­ter des pleurs /​Réchauf­fés par les mots du chan­teur. » Tout se confond alors. L’histoire racon­tée par Mély, les mots d’Olivier qui lui font écho, les des­sins de Sarane et nous qui lisons, écou­tons. Est-ce Lui ? Elle ? Nous ?

La voix du chan­teur emporte, trans­porte. On la savait. Elle nous avait été dite en pré­am­bule dans le por­trait de cou­ver­ture. Une voix qui s’est grif­fée aux récifs, qui s’est bai­gnée aux lan­gueurs océanes, qui s’est pen­due au cou des sirènes. Page de gauche, un des­sin comme inter­rom­pu : un homme danse, superbe, bras écar­tés. Alba­tros, « voya­geur ailé », prêt à l’envol. On a le droit de rêver

C’est une his­toire, comme tant d’autres his­toires. Une vie sac­ca­gée, bri­sée. Alors vite envi­sa­geons les rêves comme autant de chances à sai­sir. Sen­tir enfin La nuit tra­ver­sée. Et c’est là qu’étrangement ou plu­tôt iné­luc­ta­ble­ment, – du moins pour nous – appa­raissent le nom, la sil­houette, La cou­leur de Bar­ba­ra. « Celle qui craint le soleil » dès qu’elle quitte la lumière de la scène. La chan­son s’accompagne du pia­no, des cordes, des chœurs pour ce sublime hom­mage. Bar­ba­ra « Elé­gance, pudeur » mal­gré l’offense faite à l’enfance, mal­gré la main estro­piée, « quatre doigts », la voix brisée…Barbara comme « Un appel à l’amour ». Coûte que coûte. On a le droit de rêver

Alors, en double page le des­sin : dehors, la rue, la foule en ter­rasse. Un homme au milieu. Étran­ge­ment nu.

Un texte de chan­son suit pour dire l’espoir. On veut bien essayer.

De cette chan­son, nous nous sen­tons prêts à reprendre le refrain, invi­tés par les gui­tares : « Mais qui es-tu, moi /​Et qui je suis, toi »… Nous sommes si sem­blables sous nos ori­peaux, face à notre fini­tude : « Mou­rir /​On va tous y arri­ver /​Déri­soire. »

Il est certes des voyages inté­rieurs dou­lou­reux, ris­qués, mor­ti­fères, mais pour le chan­teur ceux-là font écho à d’autres voyages. L’exil, la fuite. Et ces voyages là semblent ne devoir ces­ser jamais. Comme un flot humain à la bouche des Enfers. Dans la chan­son épo­nyme, La nuit tra­ver­sée, les mots de l’exilé s’adressent à nous, sans conces­sion aucune, sans ambigüi­té : « Il vous fau­dra prendre le risque d’affronter notre pré­sence /​Quelque part/​On a le droit de rêver

Cette part de rêve c’est bien enten­du dans l’amour qu’on peut la cher­cher, comme un peu d’oxygène. On a bien le droit de se mettre à chan­ter des mots légè­re­ment sur­an­nés, comme le retour d’un poème d’amour de la Pléiade. De vou­voyer la femme aimée, « Si vous saviez mon âme /​Si vous saviez mes yeux », de se mettre à genoux devant elle, de jouer pour un ins­tant l’amoureux tran­si, bles­sé. D’entonner une valse aus­si légère que celle d’A­mé­lie Pou­lain. Des plumes – feuilles – au – vent, ornent la page. « Et nous serions l’amour/ Et nous serions l’amour »…On a le droit de rêver

Le temps du rêve amou­reux sera de courte durée. L’homme nu réap­pa­raît pour­sui­vi, tra­qué par ses pairs. Ses doutes ?… Dans la chan­son qui suit ce des­sin écla­te­ront pour finir les cuivres au loin­tain, des sons élec­triques, dis­so­nants : Au diable. Pour fuir, « pour refer­mer nos bles­sures », l’alcool, « la biture », se croire dans l’ivresse capable un ins­tant de « refaire le monde, n’vous inquié­tez pas ça n’sera pas long ». Échap­per à l’angoisse de la mort. On a le droit de rêver… de se sen­tir exis­ter, libre enfin. Dans son récit, la nar­ra­trice jette alors son cri de femme conqué­rante, déli­vrée : Je suis Moi et seule­ment Moi !

Un des­sin s’étale alors pleine page : l’homme nu est debout seul, dans la rue. Comme dans le pire de nos cau­che­mars. A moins qu’il ne s’agisse au contraire d’une déli­vrance. Mystère.

Dans Les secrets on peut pen­ser que le chan­teur rejoint la femme qui raconte. Texte d’apaisement. L’esquisse d’un nu superbe de femme allon­gée, de dos, accom­pagne les mots de la chan­son. Mais seul le corps se dénude car pour le reste… « Secrets inavoués, silences, absences ». C’était hier. On n’y peut rien… Autant se taire. Alors, cet aveu d’amour déli­cat, ô com­bien : « … Tu peux tout me cacher /​Je serai fier, tou­jours de t’accompagner ». On a le droit de rêver

Et c’est un texte écrit à qua­torze mains, dans un ate­lier d’écriture, une chan­son où s’invite le chœur, « Les capes en couettes », qui dit au fémi­nin tous ces visages, ces para­doxes, ces masques et ces rôles que l’on endosse ensemble ou tour à tour. On se sent « Mante reli­gieuse, libel­lule, étoile éphé­mère, gra­cieuse, chieuse, punk à fleur ou pirate »… Et toi… tu dis de moi dit le titre de la chan­son… Allez savoir dans tout ça !

C’est alors que nous lisons la lettre, point de départ de la déam­bu­la­tion dans les pen­sées de la nar­ra­trice. Point d’arrivée du récit. C’est alors que s’étale en double page, un pano­ra­ma. L’homme est seul appuyé au bel­vé­dère, face à la nuit, face à de sombres nuées… C’est alors que s’élève le chant basque, der­nier mou­ve­ment de cet album sym­pho­nique. Hom­mage au poète dis­pa­ru celui qui cherche « avec ardeur la liber­té /​Au-delà des attaches et des limites du corps » dans une langue char­gée d’histoires, de mys­tères et de com­bats. Une langue por­tée par des siècles d’errances, de navigations.

« Prince des nuées /​Qui hante la tem­pête et se rit de l’ar­cher /​Exi­lé sur le sol au milieu des huées »… Mal­me­né par les hommes d’équipage, enfer­mé dans les limites ter­restres d’une vie qui ne sau­rait s’arracher au temps qui passe, comme le dit l’ultime image.

Quand bien même. On a le droit de rêver /​De la nuit traversée…