RomTom, Voyageur 2- 2022 (©Cédric Peltier)
27 mai 2022, De clip en clip # 17
Gare au mirage du parcours…
Avec
RomTom, Voyageur de l’onirique (Paroles et musique de RomTom) extrait de l’EP Voyageur Vol.1 paru en février 2022 réalisation Guillaume Thuillier – Vol.2 à paraître le 31 mai 2022
Julia Pertuy, Abyssal, extrait du premier EP, sortie prévue en octobre 2022, réalisation Matthias Orgeur
Julia Guez, Fixe (Paroles Julia Guez, musique François Bernheim) extrait du nouvel EP 2 days In Paris, réalisation Yann Orhan
Emmanuel Commenges, Parfois y a des anniversaires (Paroles et musique E. Commenges), album Maintenant = Poésie, galerie de portraits chantés, réalisation William Quoniou & Erika Laxun
Commençons par nous intéresser au projet original de RomTom, par ailleurs professeur de capoeira, amoureux des rythmes afro-brésiliens. Il dévoile les chansons de son futur album, Voyageur, en quatre épisodes de trois titres, étalés sur une année… Au fil des parutions, le dessin de Cédric Peltier s’enrichit de détails supplémentaires, comme autant de traversées d’univers différents qui s’en viennent émerger du cerveau de l’artiste… Tête dans les nuages, œil vert, barbe où poussent les sapins verts… Au fond, c’est un peu comme le firent en leur temps les romanciers du XIXème siècle dont les œuvres paraissaient d’abord en feuilleton, maintenant le lecteur en haleine. Cette fois, le projet ne manque pas de panache, avouons… Le mois de mai voit paraître le clip Margaret extrait du volume 2, une bien délicate chanson à l’érotisme subtil, – voyez un peu à droite du dessin « Et tes si jolies gambettes qui s’étirent et m’attirent un peu plus chaque fois que tu t’éloignes de moi… » – simplement mise en images au bord d’un petit bassin, où se reflètent les silhouettes du chanteur guitariste et du violoncelliste… Très vite on se prend à fredonner le refrain : « Margaret arrête-toi… ».
Mais nous voudrions aussi rappeler le clip du premier volume, Voyageur de l’onirique, cette fois un clip proche d’un court métrage où le personnage est pris entre rêve et réalité… Les premières images nous montrent un chanteur au travail cherchant ses accords, puis accomplissant les rites du coucher, pyjama, brosse à dents, extinction de la lampe de chevet… Soudain insert de son œil vert occupant tout l’écran, lever brutal, épouvante dans le miroir. Arrive alors le chant et l’immersion dans le rêve qui n’est pas sans allusion à Thésée dans le labyrinthe, suivant, pour en sortir, le fil rouge d’Ariane On vous laisse découvrir ce voyage qui peut offrir un bien joli mirage dans la lumière printanière d’un jardin fleuri… Mais « Gare au mirage du parcours /Capteur de l’utopie, Gare au voyage sans retour… »
« Rêve et réalité » c’est aussi le dilemme de Julia Pertuy dans son titre Abyssal extrait d’un premier EP qui paraîtra à l’automne. Premier clip, première fois… Premières notes, celles des cordes pincées d’un violoncelle. La caméra s’en vient chercher- elle bouge comme si elle hésitait – une main posée sur un genou, du velours côtelé, un visage aux paupières closes tout juste entrevu. Puis vient la lumière sur ce même visage chantant : « Cette nuit je rêvais de lui /Je voulais m’envoler comme lui/Ma plume effleurait ses ailes… » L’image se fait alors blanche et hivernale, un paysage où marche une silhouette soudainement inversé. Des mains sur le piano… « Le réveil un peu brutal » est perçu dans un corps, un visage qui souffrent dans le froid… Mais irruption soudaine de plans lumineux où règne une enfant qui joue… Gros plans sur le visage de la chanteuse. Tout cela alterne, se mélange très vite mais au refrain « C’est abyssal, tout ça est abyssal » le corps dans la neige se met à danser de façon chaotique… La violoncelliste et la chanteuse apparaissent dans le blanc, comme immergées dans les nuages, ceux du vide, de l’absence… « Au fur et à mesure /J’ai construit mon armure … »
Des plans très courts nous ramènent en intérieur, fenêtre, feu de bois, piano où les mains jouent passionnément, retour de l’enfant qui court…Vinyle sur la platine, gâteau d’anniversaire, bougies soufflées par l’enfant… Et surtout ce cri prolongé « Transcende ta colère … » cette danse guerrière dans le décor de neige qui se prolonge, joyeuse cette fois, au chaud de la maison avec l’enfant. Dernières images apaisées, visage appuyé contre une vitre de voiture. La musique se poursuit : violoncelle et piano se marient aux sons synthétiques sur la séquence finale. Marche dans la neige, un bouquet de fleurs sèches à la main…
A rebours de ce montage complexe de plans très courts, de cette sensation de chaos intérieur, vient le clip de Julia Guez du titre Fixe où tout n’est que dépouillement. « J’ai plus besoin de rien /Simplement d’un point /Fixe… » face à cette sensation que tout part en fumée, face à ce monde où « Rien ne reste au beau /Fixe… » Citons d’abord le choix du lieu de tournage : de grands murs vides peints en blanc. Ils feraient penser à une friche industrielle. Deux niveaux. A l’étage un lit cage garni seulement d’un matelas. La chanteuse y apparaît assise, vêtue sobrement d’un pantalon noir, d’un chemisier blanc sans manches et d’un gilet, ses longs cheveux encadrant son visage. Elle se lève, s’avance face à la caméra, légèrement souriante, elle s’appuie à la rambarde, puis elle descend lentement l’escalier. La caméra la suit et découvre le guitariste Brice Delage puis le pianiste Michel Ansellem à son piano droit. La chanteuse les rejoint successivement, leur adressant sa chanson. La caméra complice tourne autour d’eux. « Frisson de bonheur » … Instant éphémère car « tu peux écrire tout ce que tu vois /Tout ce que tu ressens tout bas /Mais ça ne revient pas… » La création serait-elle ce qui nous sauve de l’impermanence ?
Le clip d’Emmanuel Commenges, Parfois y a des anniversaires, vient comme un point d’orgue à ces réflexions sur le rêve et la réalité, sur le temps qui passe, inexorable, comme le paysage à la fenêtre d’un train. Ce sont les notes d’un piano qui vous cueillent aux premières images où le chanteur apparaît buste nu. Des images surannées viennent glisser sur lui, sur sa peau, en surimpression… Photos en noir et blanc, en couleurs jaunies… Le texte égrène ainsi des souvenirs, des « images mentales » mêlées aux sensations d’aujourd’hui… ça commence ainsi : « C’était mon copain à vélo, il est mort, ce con, y a deux ans, après une vie à se lever tôt… » Souvenir de tango… « Et maintenant ce putain d’genou, il n’ se plie plus du tout … » Le refrain nostalgique amène l’image des touches du piano, la silhouette du chanteur en ombre chinoise : « On mange, on boit, on passe le temps /Qu’est-ce que vous voulez faire /Parfois y a des anniversaires … » Toute une vie à repasser : le travail dans les engrais… « Mal au poumon » la jeunesse, « Les jolies femmes à regarder … Les copains « on s’aimait… » Et surtout cette conclusion : « Moi à part ça, ça va bien… » Combien de fois l’auteur a‑t-il entendu cette phrase dans l’EHPAD où il a rencontré résidents et travailleurs pour aboutir à son album de portraits chantés ?