Eric Frasiak – Mots de Chansons, 2021 (© Crocodile Productions)
15 avril 2021 – Intégrale des textes d’Eric Frasiak (2003 – 2019)
Mots de chansons
Avec
81 chansons des 6 albums d’Eric Frasiak de 2003 à 2019 – Flavie Girbal /Hexagone La Revue : conception graphique – David Desreumaux : préface – photos intérieures et couvertures – Photos additionnelles : Christine Pascal – Corinne Bougdal – Le Saouter – Eric Frasiak
Il n’y a pas à dire la Chanson reste un art dont on n’en finit pas d’illustrer la spécificité. Texte et musique, soit… Et chacun de privilégier l’un ou l’autre, ou bien, tantôt l’un, tantôt l’autre, le plus souvent les deux intimement mêlés. Et chaque auteur compositeur d’affiner son art, sa méthode, son savoir faire qui, le plus souvent, varie.
Voilà qu’Eric Frasiak, face au temps que lui laisse l’absence de rencontres avec son public, décide de publier ses chansons sans en avoir l’air, ses Mots de chansons, quand Thibaud Defever, par exemple, songe de son côté à faire un album de ses « chansons sans paroles »… Voici donc que ce deuxième printemps de privation de spectacles vivants voit paraître l’intégrale des chansons de ses six albums, de 2003 à 2019, une immersion dans une belle tranche de vie, dans un livre broché, 21X24 cm. On reconnaît d’emblée l’élégance de la revue Hexagone, celle de ses deux artisans, Flavie Girbal pour la maquette, le graphisme, David Desreumaux pour la préface et les photographies. Le papier souple, la couverture blanche, très douce au toucher, agrémentée du nom de l’artiste en lettres capitales teintées de gris bleu et de rouille… Comme un condensé de ce que dit ce vers emprunté à Je t’écris : « Je t’écris de tous mes regards /Du bleu, du gris, va-t-en savoir… », un va et vient entre douceur, tendresse et réalités qu’il faut affronter au cours d’une vie d’être humain. Le titre, Mots de Chansons, semble tracer de la main de l’artiste, surtout si on le rapproche de la dédicace qui nous a été faite. Une écriture élancée, confiante dans l’avenir.
Chaque chanson a trouvé son apparence graphique, jouant sur les pleins et les vides, sur le gris, le blanc, le noir, sur les polices de caractères, minuscules et majuscules, sur leur taille. Parfois s’insère en pleine page une photographie qui prolonge l’esthétique et la portée du texte en vis-à-vis.
Au long de ces 146 pages, c’est d’abord Eric que vous croisez. Pour ceux qui le connaissent en scène, vous n’éviterez pas, en lisant, le rapprochement avec son imposante carrure taillée dans le roc, sa charpente, dirions-nous, celle d’un homme bâti pour de durs travaux. A coup sûr, vous rencontrerez sa voix chaleureuse, et comme moi, peut-être vous vous direz, voilà un frère, un homme sur lequel je peux compter… Un frère de mots et de Grand Est. De Charleville à Bar-le-Duc, de la lorraine à la Meuse. Cette terre, ses saisons, celle des pluies, comme l’évoque la toute première chanson, a abrité les premiers rêves, les premiers baisers… Et le chanteur n’a rien oublié de ce qui l’a construit. Au cours des années d’écriture, il y revient. On le suit dans ses rêves made in US, dans les désillusions, celles de Cuba aussi, « un peu moins coloré, un peu moins racoleur /Que le papier glacé du tour opérateur » … On partage son fichu caractère, et on aime qu’il la ramène tout l’temps. On vibre de cet amour d’un père, chauffeur de poids lourds dont il exprime le vécu à la première personne. On le suit dans son jardin quelque peu délaissé, dans sa nostalgie, sa mélancolie face à l’absence…On s’arrête sur ses cinquante ans, sur sa quête d’amour parfois brisé mais toujours présent agrémenté d’un bel hommage à la femme aimée, sur ce fils qui décidément sera d’une autre époque que la sienne, la nôtre…Mais surtout, partout, tout le temps, le son, les musiques, les guitares… Alors on le suit sur sa route de chanteur, de blues, de rock, « p’tite graine d’ananar »inspiré par ses maîtres es chansons, Léo Ferré et François Béranger, pétri à son tour de leurs idéaux, celui d’un rêve assassiné, Le rêve de MLK, celui d’août 63.
Bien entendu, c’est dans ce domaine que nous avons fait connaissance et c’est de cet idéal, de l’amour du public, de cet amour de la chanson qu’Eric est bâti. Nombreuses sont les chansons qui empoignent les injustices, qui voudraient leur tordre le cou : le renseignement intérieur qui nous emprisonne et nous menace – la chanson EDVIGE de 2009 a aujourd’hui un goût amer – le rituel de Noël, la Jet-set, « la cuisine politique » dont il fait une satire sans concession, le danger de l’atome, les menaces que font peser les chefs d’état un peu partout, des USA, au Brésil, en passant par la Russie, Israël, la Corée, la Syrie…sans oublier, selon lui, la France !… Enfin, il tire à boulets rouges sur cette « espèce un peu à part » : les cons ! Il en est un dont il trace le portrait au vitriol dans l’album de 2019… En contre partie, on trouve la tendresse, la compassion pour les victimes des désordres de nos sociétés : les « marins en cale sèche » de l’Air Bleu, bar de St Nazaire, les perdants des fermetures des hauts-fourneaux et M.Boulot qu’a foutu l’camp et qui manque tellement, l’odieux féminicide de Ciudad Juarez, tous ceux que l’on montre du doigt à qui il donne la parole dans Simplement différent, les migrants, le prisonnier de Colonie 6, à deux mille bornes de Moscou, dont on oublie le triste sort…
Enfin, c’est parce que ses chansons touchent à notre part commune d’humanité que le répertoire d’Eric Frasiak nous touche tant. Nous sommes faits du même bois, du « même sang dans nos cœurs. » Un même besoin d’amour nous taraude, « besoin de bras qui se pendent à mon cou », quel qu’en soit le prix. La douleur, le chagrin, le manque ne sont jamais bien loin. Alors parfois une immense fatigue s’empare de nous car nous sommes pareillement fragiles « les p’tits, les grands, les imbéciles /Les durs, les forts, les pas faciles ». Nous nous interrogeons sur le sens de la vie, faite inévitablement d’ombres et de lumières, Moitié – moitié… Mais on a toujours tort d’attendre, de ne pas regarder devant « Plus loin, là où le monde avance… » Une seule solution : Parlons-nous, ainsi que le dit le titre éponyme de l’album de 2009, croyons en l’amour « même si tout tourne à l’envers », croyons en La poésie dont il donne une définition élargie à se répéter ad libitum :
Ces p’tits morceaux d’la vie, comme de la limonade
Qui moussent et qui pétillent, ça mérite La Pleiade »
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