Hervé Lapalud & Dramane Dembélé , Korafoland, 2021 (© Violaine Tatéossian)

Her­vé Lapa­lud & Dra­mane Dem­bé­lé , Kora­fo­land, 2021 (© Vio­laine Tatéossian)

19 Avril 2021, album d’Her­vé Lapa­lud & Dra­mane Dembélé

Kora­fo­land

Avec

Her­vé Lapa­lud (Kora et chant), Dra­mane Dem­bé­lé (Kora, donso’n’goni – harpe-luth afri­caine cou­sine de la kora – flûte peule, per­cus­sions et chant), Gil­bert Gan­dil (gui­tares), Jona­than Mathis (accor­déon, Fen­der Rhodes) 


« La Chan­son du Monde vient de s’en­ri­chir d’un opus pré­cieux comme la gemme la mieux taillée. Il va y avoir du groove et de l’a­mour uni­ver­sel dans les chaumières. 

Cares­sant, atta­chant, et pour tout dire, enthou­sias­mant, le duo a inven­té un pays où nous vou­lons habi­ter, dont tous les habi­tants sont amis. » (Publi­ca­tion Face­Book Gwel­tas kora- bree­der)

Met­tons immé­dia­te­ment nos mots dans l’empreinte de ceux de Gwel­tas, fac­teur de koras. Sui­vons-le. Décou­vrons ce monde, à rebours de toutes les dys­to­pies dont on nous menace sans cesse. Regar­dons ce des­sin de Vio­laine Tatéos­sian qui habille l’album d’Her­vé Lapa­lud et Dra­mane Dem­bé­lé. Bien sûr, il ne nous a pas échap­pé qu’un vola­tile orgueilleux et mena­çant se dresse sur les mon­tagnes en cou­ver­ture, qu’un hor­rible pois­son, gueule ouverte, émerge des flots et que la baleine au dos de la pochette n’a pas vrai­ment l’air sym­pa­thique, mais déplions vite le cof­fret. Décou­vrons cette petite mai­son au toit rouge, ces arbres verts, ce lapin échap­pé d’un pays des mer­veilles lisant le jour­nal et sur­tout, sur­tout ce soleil ardent qui émerge des flots… Vous l’aurez com­pris, les menaces ne sont pas oubliées mais voi­là, le monde de demain est entre nos mains si peu que nous vou­lions bien suivre cette invi­ta­tion au voyage. Car c’est bien d’une invi­ta­tion dont il s’agit : invi­ta­tion à chan­ter, com­po­ser, jouer, dan­ser comme l’ont fait les deux musi­ciens chan­teurs, Her­vé et Dra­mane dans cet album, fruit de leur rencontre.

Autre maître mot de ces chan­sons, corol­laire du voyage : la ren­contre, l’ouverture à l’autre, à l’ailleurs, à la différence.

Nous n’en sommes pas au pre­mier voyage avec Her­vé Lapa­lud. C’est d’ailleurs ain­si qu’il se pré­sente dans un texte par­lé, accom­pa­gné par la kora : « Je vais de ville en ville, de pays en pays, et je fais pro­vi­sions d’histoires, de mots de musiques, de visages, de pay­sages… » Nous le sui­vions déjà en « Enfan­cie » avec son com­pa­gnon de route Jona­than Mathis et son incroyable orgue méca­nique, avec déjà les sons de la kora, des kalim­bas. Nous mon­tions dans le taxi-brous­si de Mada­gas­car, nous allions à la ren­contre du ven­deur d’eau de Bobo-Dioulasso…

Voi­ci que cette fois, dans Kora­fo­land,  il laisse large place au chant, aux mots, aux musiques d’un griot, Dra­mane Dem­bé­lé. Nous sommes embar­qués dès la pre­mière chan­son en terre afri­caine où néces­sai­re­ment la musique se danse. Impos­sible d’y résister.

Sui­vons –les, à la condi­tion pre­mière d’être prêts à se défaire de nos liens « de ce que nous connais­sons /​Nos jar­dins, nos mai­sons. » Por­tés par la kora, très vite rejointe par les per­cus­sions et le chant loin­tain de Dra­mane, nous voi­ci en marche. Bien sûr, nous n’y sommes jamais seuls, si peu que l’on ait ce caillou dans [sa] chaus­sure, « si petit, à peine une bles­sure » com­pa­gnon de route qui s’est ins­tal­lé là sans qu’on y prenne garde… Cette chan­son, un soup­çon énig­ma­tique, pour­rait nous rap­pe­ler Le cueilleur de cailloux, ce « gen­til benêt » de Claude Nou­ga­ro… Quand s’élève le son envoû­tant de la flûte peule, nous sommes prêts à vivre cet ins­tant pré­cieux, insai­sis­sable de la ren­contre, « sur la pointe des mots où l’on s’apprivoise », ce verbe « appri­voi­ser » si cher au renard du Petit Prince de St Exu­pé­ry.

Où allons-nous ? « Où c’est Oua­ga­dou­gou ?… Chez les Mos­sis, les Oue­drao­go, les Zon­gos… » mais aus­si « chez Jac­que­line, chez Jean­nette … Quelque part sous la lune… » Plus loin, tou­jours plus loin… Sans sou­ci de pos­sé­der, de s’enivrer de biens accu­mu­lés, de prouesses tech­no­lo­giques comme le font les « Môs­sieurs », sim­ple­ment « sous l’arbre des jar­dins des amis ». Cette chan­son ne dépa­re­rait pas dans le der­nier album de Tho­mas Pitiot… Car, tout comme lui, Dra­mane et Her­vé célèbrent avant tout l’amitié, le par­tage, comme l’expriment leurs textes, leurs voix et leurs ins­tru­ments mêlés.

Cette invi­ta­tion au voyage s’accompagne d’autres invi­ta­tions. Invi­ta­tion à créer, à écrire, avec cette longue répé­ti­tion de l’injonction par­lée « Ecris » sur accom­pa­gne­ment de la kora et du chant de Dra­mane… « Ecris train ou truc ou muche / Mêche même moche mais qui fait mouche /​Ce qui te fâche, ce qui te touche… » Invi­ta­tion lan­cée à « tous les gars du monde », invi­ta­tion à chan­ter « Funam­bules intré­pides /​S’élançant presqu’à poil /​Au-des­sus du vide /​Tis­sant de leurs cordes vocales/​De nou­velles étoiles ». Un rêve pour sûr : « Si tous les gars du monde vou­laient s’donner la note »… Invi­ta­tion à la fra­ter­ni­té dont on ne sait ce qu’il advien­dra au fil des ans, au fil des géné­ra­tions. Quand on inter­ro­ge­ra notre « arrière petit gamin »… Qu’en sera-t-il du monde nous dit ce texte superbe Donne-moi des nou­velles de demain… Ce petit gamin, aura –t‑il tou­jours « le goût de l’eau, le goût du pain, /​Et la cabane dans le jar­din ? » met­tra –t‑il tou­jours « le soleil au coin du des­sin » ? Enfin, l’album s’achève sur l’invitation à célé­brer l’amour, sur le tendre accom­pa­gne­ment de la flûte et de la kora, sur l’émouvant hom­mage au corps de l’être aimé « Je veux… t’esquisser d’un seul trait /​Et en secret /​Mes doigts dans la pein­ture /​Sur toi, gran­deur nature ».

Alors, au bout de ce voyage dont on pour­rait faire un art de vivre, d’être au monde, on lais­se­ra volon­tiers place aux mots de Claude Lemesle : « Pas­ser à côté de Kora­fo­land, serait une gaffe que vous regret­te­riez. Réga­lez-vous de ce duo fran­co-bur­ki­na­bé qui nous prouve, plus que jamais, que l’avenir est métis. »