11 décembre 2015, duo Jur Domin­go – Julien Vit­te­cocq, Fes­ti­val Comme ça nous chante, café Plum, Lau­trec (Tarn)

Envol pour l’inconnu

Qui n’a pas vu le groupe Jur ne sait pas ce que la Chan­son peut inven­ter pour nous dépay­ser, nous faire perdre nos repères. Vous croyez être capable d’en faire le tour ? Hé bien, détrom­pez-vous car Jur – même et seule­ment en duo comme ce soir – ébranle nos cer­ti­tudes et nous offre le plus inat­ten­du des voyages inter­stel­laires. A une condi­tion cepen­dant, que nous ayons gar­dé bien au chaud notre âme de Petit prince tom­bé de sa planète.

Prêt pour le décollage ?

Jur débarque dans la salle et sur la scène déjà bien encom­brée un car­ton sous le bras. On la découvre dans sa longue robe fen­due sur ses jambes aus­si fines qu’interminables. Très près du corps, elle des­sine son petit ventre rond de future maman. Du car­ton elle extirpe un à un, les doigts dres­sés comme des antennes, des fla­cons de sham­poing douche qu’elle presse pour en extraire des sons, chaque fois dif­fé­rents, enre­gis­trés sur un sam­pler. La scène est déjà suf­fi­sam­ment inso­lite pour vous pré­pa­rer à notre envol dans l’inconnu. Les sons s’assemblent pour accueillir Julien à la gui­tare dans son élé­gante veste blanche. Jur alors s’assoit, ins­tal­lant ses longues jambes de part et d’autre de la grosse caisse et se met à chan­ter un chant très doux en cata­lan. Sa voix monte peu à peu, le rythme s’intensifie… cette fois-ci nous sommes en vol.

On découvre Jur en dés­équi­libre, instable sur son fil de funam­bule, elle qui nous a habi­tués aux plus impro­bables acro­ba­ties en chan­tant. Elle jette dans le public son gilet et dit « J’y arrive pas ». N’allez sur­tout pas croire que c’est une cri­tique, un reproche fait à l’artiste chan­teuse- acro­bate-musi­cienne car c’est la magie de ce spec­tacle là, ce soir, à Lau­trec. On la sent si fra­gile avec ses mains por­tées sur son ventre, remon­tant d’un geste répé­té, comme une enfant inquiète, sa robe paille­tée. Ce geste la rend fran­che­ment belle.

Un flot d’émotions

Émo­tion quand Jur évoque le car­na­val de Dun­kerque, Les hommes en femmes /​Les femmes en folles, quand elle esquisse la sil­houette d’une femme en exil, par­tie loin, toute seule sur l’autoroute. Émo­tion quand sa voix sup­plie « Fol­low me », quand sur un rythme et une danse qua­si tri­bale de Julien, on devine l’amour char­nel et qu’elle s’exclame à la fin : « ça veut rien dire ! ». Quand elle chante en espa­gnol un vil­lage empor­té par l’eau où seules les femmes sur­vivent, ou bien cet homme fou qui mar­chait nu ; il avait peur de vous, madame, de vous, mon­sieur, de nous, de lui… Émo­tion quand elle accom­pagne une bande enre­gis­trée de ses rires, de ses fous rires. Émo­tion quand elle caresse la scie musi­cale de son archet et que son visage alors s’éclaire d’un immense sourire.

Com­ment vous dire la force aus­si de cette chan­son enre­gis­trée sur les bords de la mer morte ? Chan­son comme une prière pour que les hommes puissent aller et venir libre­ment. Jur l’évoque enre­gis­trée avec des voix en arabe et en hébreux. Ici c’est la gui­tare élec­trique qui ampli­fie son lyrisme. C’est d’ailleurs avec Dimo­né, invi­té à les rejoindre en fin de concert que s’accomplit musi­ca­le­ment ce chant où « la terre est pure comme le ciel »…

Au salut final, Jur se laisse enva­hir par les ins­tru­ments entas­sés sur elle, comme elle le fait tou­jours… On entend son rire, juste un peu plus fra­gile. Émotion.