La Pietà, Bas les masques !

Fes­ti­val Détours de Chant 19e – La Pie­tà (© Eve­cab)

6 février 2020 – 19e Détours de Chant, concert en trio

La Pie­tà

Avec
La Pie­tà accom­pa­gnée ce soir par Clé­ment Buf­fiere (machines, pia­no) et Vir­gile Noua­li (gui­tare)


Centre cultu­rel Alban-Min­ville (Tou­louse)

La Pie­tà, c’est une boxeuse, une cat­cheuse, une hor­ri­pi­lante colé­reuse, une vilaine qui se per­met – du moins dans ses textes – tout ce que l’on inter­dit aux filles depuis des lustres…

Voi­là, direz-vous, qu’il pleut encore des hyper­boles pour évo­quer cette chan­teuse à laquelle on vous défie de résis­ter. La presse en abonde jugez un peu :

« Out­si­der, bru­tale, fatale, un cri pri­mal qui a bous­cu­lé et désta­bi­li­sé le public et les pro­fes­sion­nels. » Didier Varrod/​France Inter – « Une œuvre condam­née à régner. » Lon­gueur d’ondes – « Une punk-rap­peuse aux textes peu confor­mistes. » – Le Monde – « La Pie­tà croise la rage du punk et la verve du rap, c’est une boule d’énergie qui boxe avec les mots et les sons. » – Tsu­gi – « La Pie­tà griffe de sa plume acé­rée avec son rap mâti­né de punk qui ne mâche pas ses mots. » – Culture Box… Et nous aimons beau­coup cette pré­sen­ta­tion –ci qui pour­tant date un peu, du temps où elle s’expliquait sur son retour dans le monde de la musique, sur son masque blanc de chat pour échap­per au pas­sé d’une « jolie chan­teuse pop, signée sur une grosse mai­son de disque » :

« Rebelle et lucide, La Pie­tà n’est pas ici pour plaire mais pour vous remuer, au son de son élec­tro­punk addic­tif, orga­nique et bouillonnant »

Alors qu’écrire encore que l’on n’ait déjà dit ?

Aujourd’hui elle chante – on devrait plu­tôt écrire clame, rappe – au cœur du quar­tier Bel­le­fon­taine, au Mirail, au centre cultu­rel Alban-Min­ville. La scé­no­gra­phie mérite qu’on s’y arrête. La scène est habillée comme pour un rituel, une céré­mo­nie mys­tique, quelque part en Amé­rique du Sud… Des guir­landes de roses rouges habillent le bord de scène, les pieds des micros. Un cœur bri­sé lumi­neux à cour, le nom de La Pie­tà à jar­din, une madone trône sus­pen­due en fond de scène… Deux petites pou­pées – des dou­dous ?– se cachent à peine der­rière une enceinte… Le détail qui pour­rait bien en dire long… Et puis, bien sûr, l’installation ins­tru­men­tale qui ren­seigne d’emblée sur le choix de l’électro, de l’électrique, gui­tares, caisse élec­tro­nique, cla­viers… Une atmo­sphère élec­tro-punk-rock sans exclure l’accompagnement seul du piano.

Aujourd’hui l’apparition de La Pie­tà nous révèle une petite sil­houette brune, che­veux remon­tés en chi­gnon sur le som­met de la tête, jupette et col­lants noirs, bas­kets blanches, haut qui lui découvre élé­gam­ment la nais­sance des seins – presque une enfant – alors que nous l’avions vue en four­reau noir, très star, sur la scène du Pic d’or l’an passé…

Le pre­mier texte, un rap où elle se bat déjà, nous dit « Lève –toi… Main­te­nant ou jamais … parce que c’est pas vrai que quand le temps s’en va tout s’en va… » Très vite on com­prend qu’elle ne lâche rien de sa vie, de la nôtre, des mots qu’on nous assène, des faux-fuyants… Qu’elle veut expri­mer sans fard, sans pudeur ce qui l’habite… C’est d’ailleurs ce qui jus­ti­fie son pro­jet né d’un roman qu’elle pen­sait écrire pour elle seule en 2016. Alors, on entend, avec la force par­fois déli­rante des sons qui l’escortent, la pré­sence et la conni­vence scé­niques de ses deux musi­ciens, sa colère, sa rage même – « Si la rage est un moteur, alors je risque d’aller loin » - ses doutes, ses peurs – « J’ai peur alors je fonce et je m’enfonce dans le brouillard… » son attente – La salle d’attente, titre juste accom­pa­gné au cla­vier – mais aus­si son immense besoin d’amour. « Il y en a qui veulent l’impossible, tout l’amour, tout le ciel… Et moi, j’veux juste vieillir dans tes bras… » A se deman­der si ces bras –là ne sont pas ceux du public… On la devine par­fois fra­gile, par­fois enfant per­due « Je suis bri­sée, maman, je me suis trom­pée tout l’temps » mais bien consciente au fond d’être « comme tout le monde ». C’est sans sur­prise qu’on l’entend reprendre Si maman, si de France Gall.

On aime aus­si tous ses para­doxes, comme lorsqu’elle pré­tend être la moins fémi­niste de la Terre… On aime son ardent désir de liber­té, ses aveux de fai­blesse, de len­teur : « Je reven­dique le droit aux épaules usées, aux cernes, au vécu, aux regards fati­gués… Je reven­dique le droit aux éga­rés… » Et bien sûr on se laisse prendre au final au goût de l’apaisement : « Ma guerre est finie /​je déclare la paix avec moi aujourd’hui… » C’est alors que le public se lève, cer­tains iront même auprès d’elle sur la scène, cho­ristes impro­vi­sés de son titre emblé­ma­tique « La moyenne ». On la ver­ra se lais­ser prendre dans leurs bras…

Aujourd’hui plus besoin de masque car ce masque même qu’elle reven­di­quait en 2016 comme moyen d’être à pied d’égalité avec le public, finis­sait par avoir créé sa propre case : « une fille en colère, mas­quée, qui crache son venin, dans un monde en noir et blanc » disait-elle dans son appel au finan­ce­ment par­ti­ci­pa­tif pour son album titré La moyenne. Sa paru­tion le 27 mars 2020, après trois EP en forme de cha­pitres, ain­si que celle de son roman, ren­dront sûre­ment compte de sa vraie nature d’artiste qui l’emmène dans une créa­tion sans fron­tières où se ren­contrent, s’échangent et se répondent, les mots, la musique, l’image, la danse, la pein­ture, le chant signe… Comme l’expriment ses tenues de scène aus­si diverses qu’inattendues, la Pie­tà est là où on ne l’attend pas !