Histoires de Rugby, Jean-Pierre Carraro & Pascal Lamige, Le Grand Maul 2021 (©Claude Fèvre)
19 juin 2021, 1ère édition du Grand Maul J 3
Rugby, littérature et autres rebonds artistiques
Avec,
Jean-Claude Barens (direction artistique)
Espace Le Grand Maul
La librairie Le vent Délire et les éditions Passiflore : Librairie du rugby – Isabelle Picarel : photographies – Claudine Cop et Jean-Michel Lafon, peintures – Musée d’Aquitaine : prêt de l’exposition « Le rugby c’est un monde »
J3
Carte ovale aux éditions Passiflore et ses auteurs rugbyphiles (autour de Patricia Martinez, Michel Cazorla, Jean-Michel Cormary, Patrick Pralong, Jean-Michel Lafon, Francis Poustis)
Rencontre avec l’association Colosse aux pieds d’argile et son fondateur Sébastien Boueilh, Un ballon, deux générations : rencontre avec Abdelatif Benazzi (52 ans ancien capitaine de l’équipe de France) et Silvère Reteau (24 ans US Dax)
Animation : Benjamin Ferret, journaliste à Sud-Ouest
La jeune femme et le ballon ovale, documentaire de Christophe Vindis
Jean-Pierre Bertomère : installation sonore « Vestiaire »
Histoires de rugby, textes de Patrick Espagnet : lecture musicale par Jean-Pierre Carraro (lecture, harmonica) et Pascal Lamige (accordéon, lecture)
Espace Felix Arnaudin, St-Paul-lès-Dax (Landes)
Nous voici au troisième jour du Grand Maul, cette immersion en pays d’ovalie. L’évènement a pris sa vitesse de croisière et ce ne sont pas moins de huit heures de rencontres et de partages qui nous attendent aujourd’hui. Dans la grande salle de l’espace Felix Arnaudin de St Paul-Lès-Dax, nous sommes toujours entourés de peintures, dessins, photographies… et de livres ! Car le rugby est aussi un phénomène social, éducatif, sportif qui appelle les mots, qui encourage les témoignages, qui suscitent les belles plumes et devient donc objet de littérature.
L’après-midi s’ouvre sur une rencontre avec les auteurs « rugbyphiles » des éditions Passiflore, sises à Dax. C’est leur créatrice, Patricia Martinez qui réunit pour nous ces auteurs : Michel Cazorla, Jean-Michel Cormary, Patrick Pralong, le dessinateur Jean-Michel Lafon, Francis Poustis. Commençons par dire qu’il ne lui manque qu’un détail : avoir été elle-même sur le terrain car elle sait défendre chacune des publications de sa maison d’édition avec une authentique passion du rugby… et de l’écriture ! En l’absence de Serge Collinet, professeur d’EPS dans le 13ème arrondissement de Paris, auteur de Rugby au cœur, elle donne un avant goût de ce récit initiatique, nourri de passion et d’émotion, au sein d’un collège réputé difficile, un prolongement, en somme, du documentaire d’hier sur le rugby en Argentine.
Ecoutons d’abord Francis Poustis, auteur d’un ouvrage recensant tous les clubs des villages landais – comme le fera d’ailleurs peu ou prou chaque auteur en se reliant à son club, Béziers, Bergerac, Toulouse… – évoquer l’âme de son territoire, de ses hommes, de leurs activités, la spécificité de chaque pratique du rugby qui en découle. On se dit alors qu’il fait œuvre de sociologue, d’ethnologue, comme le fit celui qui est honoré par le nom de la salle où nous sommes, Félix Arnaudin. Et c’est aussi ce que soulignera un peu plus tard Abdelatif Benazzi venu confronter son expérience à celle du tout jeune demi de mêlée de l’US Dax, Silvère Reteau, par ailleurs élève ingénieur… Il soulignera en effet que le rugby s’inscrit dans une Histoire et qu’il est important de se souvenir de ce patrimoine, de l’illustrer, de le défendre. Car chacun des invités ne manquera pas de rappeler que si le rugby peut s’honorer de générer des passions, de procurer des instants de liesse, c’est qu’avant tout il forme des êtres humains responsables. Quand le rugby s’arrête, dit Abdelatif, – et il s’arrête vite, vu les performances physiques qu’il exige !- la vie d’homme continue… Pour chaque acteur de ces journées, il s’agit de rappeler les valeurs véhiculées par la pratique du rugby : faire abstraction de son ego, mener ensemble un projet dans la solidarité et le respect. C’est aussi et surtout de respect de l’autre qu’il est question dans l’intervention du rugbyman Sébastien Boueilh venu présenter son combat contre la pédo-criminalité dans le sport et bien au-delà, avec son association et son livre Le colosse aux pieds d’argile.
C’est bien aussi ce que l’on entend dans l’installation sonore Vestiaires, sur une idée de Jean-Claude Barens, conçue et réalisée avec Jean-Pierre Bertomère et Pascal Lamige. Un maelstrom de voix, des chansons, celle de Clarika, en fil rouge, Les garçons dans les vestiaires, Los de Nadau, Les Frères Jacques, mais aussi Verdi, Puccini… les voix des capitaines, Jacques Fouroux, Marie-Alice Yahé… du philosophe, Michel Serres, de l’entraîneur Jean-Paul Sarda, de l’inénarrable Roger Couderc, commentateur au temps des Boniface, Darrouy… Allez les petits !
Alors nécessairement, tout au long de cette journée, il sera aussi beaucoup question d’éducation, de formation, de transmission et de l’objectif final : être heureux ! Ce sont les derniers mots qu’Abdelatif glisse à l’oreille du jeune Silvère.
Et bien entendu, c’est aussi cette question essentielle de la quête du bonheur qui se trouve dans le superbe documentaire du jour, le troisième de Christophe Vindis à Madagascar, offre des images d’une grande beauté, paysages et visages. On y suit la découverte et l’épanouissement d’une très jeune femme, mère à treize ans, à travers la pratique du rugby, pieds nus et dans le sable ! On y découvre l’importance des mots, ceux des parents, ceux de la coach : « Dès qu’il y a un adversaire devant toi, tu ne dois pas rentrer dedans… Notre objectif, toujours avancer ! » On saisit cette phrase qui pourrait tout résumer de cette conquête de soi : « Chaque essai que je marque, me donne la force d’exister ! »
La journée s’achève en littérature et en musique. Une création. Sur l’invitation de Jean-Claude Barens, Jean-Pierre Carraro, dit aussi Cadijo dans sa vie de musicien et de chanteur, et Pascal Lamige, accordéoniste, se sont réunis pour lire des pages de XV Histoires de rugby de Patrick Espagnet. On voudrait pouvoir restituer la saveur de ce spectacle, la voix et la gestuelle du lecteur, ses intonations en patois, les émotions et la poésie véhiculées par le texte, l’accordéon qui tantôt s’abandonne à une rythmique, tantôt distille et soutient la tendresse… Quand le lecteur devient harmoniciste et laisse le récit à l’accordéoniste c’est pour nous transporter en Nouvelle-Zélande avec l’équipe de France… On ne vous dira rien de la rencontre improbable à laquelle on assiste alors : Il n’y a qu’au rugby qu’on peut voir ça ! Chaque texte est un portrait emprunté au petit peuple du rugby… Des êtres peu ordinaires auxquels on a vite fait de s’attacher.
Pour conclure cette journée, on ne résiste pas au plaisir d’emprunter à la quatrième de couverture du livre de Patrick Espagnet (Editions Culture Suds) : « D’évidence l’auteur a raclé les fonds de tiroir de sa jeunesse et de sa mémoire. Il l’a fait sans vraie nostalgie, mais avec ce plaisir subtil qu’on a lorsqu’on découvre au fond d’un buffet une photo d’équipe jaunie, un cahier d’écolier, une feuille de marronnier séchée, une licence de cadet… Le rugby a changé, dit-on. Mais l’Ovalie demeure. Elle reste ce pays sans réelles frontières. Un pays aux simples contours de l’amitié. »