B. comme Fontaine, un quartet vertigineux (© Hervé Suhubiette)

Lily Luca Lais­sez-moi pei­gner mon poney– 2019 (©Lily Luca)

26 Jan­vier 2020, nou­vel album de Lily Luca sor­ti le 14 décembre 2019 

Lais­sez-moi pei­gner mon poney

Avec

Lily Luca (paroles et musiques, sauf Open, musique de Ber­tille Fraisse & Lily Luca, voix) Fred Tho­mas (arran­ge­ments, gui­tares, per­cus­sions, cla­viers, pia­no, pia­no pré­pa­ré, contre­basse, viole de gambe, ban­jo) Céline Pru­vost, Garance, Ger­vaise, Katrin ‘Wald­teu­fel, Léo­nor Bol­cat­to, Liz Van Deuq, Nour, Rosie Marie (chœurs dans Fon­taine)


Après un album au titre impro­bable Le Charme Impé­né­trable Des Artistes Tor­tu­rés sor­ti au prin­temps 2016, voi­ci le tout nou­veau de Lily Luca. La cou­ver­ture de la pochette dont elle signe le gra­phisme, nous montre une figu­rine « mus­clor » qui lève un point rageur et crie Lais­sez-moi pei­gner mon poney… Un pied dans l’enfance, un pied dans la révolte contre tout ce qui fait mal ou va mal…

Le livret accom­pagne chaque chan­son d’une vignette avec un des­sin de jouet, une figu­rine. C’est le poney du titre – celui qu’un petit gar­çon a volé à sa sœur- qui accom­pagne « bra­vo » et « mer­ci » et ce sont les poils de sa cri­nière qui servent de toile de fond…

Voyez un peu : la pou­pée Bar­bie nue pour Open, chan­son si carac­té­ris­tique de l’écriture de Lily Luca, où elle nous invite à sou­rire d’une fille sou­mise pour finir dans l’effroi des pires vio­lences faites aux femmes… La voi­ture minia­ture pour le petit gar­çon de la chan­son titre qui réclame le droit d’« être /​faire/​aimer /​Comme on veut »… Le bras démon­té de « mus­clor », ce bout de jouet cas­sé pour Mat­thieu et ce beau néo­lo­gisme pour dire la dou­leur d’aimer « Je pleus des yeux ». Le car­net à secrets pour Tais-toi, pour don­ner du silence, parce que « les mots ça fait trop peur », les patins à rou­lettes pour Marianne, ce road movie des vingt ans, genre Thel­ma et Louise en net­te­ment moins spec­ta­cu­laire… Le couple de val­seurs enfer­mé dans une boule à paillettes pour Fon­taine, où s’invite le chœur de huit copines qui l’accompagnent pour dire déli­ca­te­ment le refus de cette gui­mauve : « de trop de joie sa coupe est pleine pour que j’apprenne sa chan­son ». Une figu­rine de faon pour Sur le banc, chan­son poi­gnante et déli­cate de celle qui sent que sa mémoire s’enfuit et qui attend… Mal­gré la dou­leur, un moment de pure poé­sie. Une bou­teille à la mer avec sa fré­gate enfer­mée dedans, pour Adieu aux âmes, chan­son dou­lou­reu­se­ment superbe, incon­tes­ta­ble­ment l’une des plus émou­vantes de l’album, avec ses mots feu­trés, ses mots de velours posés sur la vio­lence inouïe des atten­tats. Un hame­çon illustre Tou­ché-cou­lées qui tourne en déri­sion jusqu’à l’absurde un « besoin étrange et nou­veau » d’être émue aux larmes… Et que dire des grues en ori­ga­mi pour ce long texte qui vous prend à la gorge par sa puis­sance émo­tion­nelle, Tu sais ? Texte dit avec un court refrain chan­té : « Et puis tu sais, tu sais y a des bons côtés à ce qui nous arrive ? » Et ce qui nous arrive, c’est un som­meil au bois dor­mant sur un lit d’hôpital, sur les rives de la Grande Fau­cheuse… Alors on a bien besoin, pour finir, d’un temps d’humour pour nous aider à reprendre souffle, avec la figu­rine du cow-boy, bras bran­dis­sant son inévi­table colt, qui nous somme de la faire rire enfin, cette Lily… On ne dévoi­le­ra pas la chute pour ceux qui ne l’ont pas encore vue se jouer du public, ce qu’elle fait avec un indé­niable talent.

Quand vous la ren­con­trez Lily, elle vous donne envie d’aimer la vie… Et quand vous la décou­vrez en scène, vous com­pre­nez très vite que son humour et sa joie flirtent sans cesse avec la dou­leur, la colère… Sans doute, en nous livrant pas mal de ses démons, est-elle une artiste bien de son temps. On com­prend aisé­ment que sa per­son­na­li­té en scène, son écri­ture l’aient his­sée l’an pas­sé au rang de lau­réate du prix décer­né par Ini­tia­tives Chan­sons, dont le par­rain était Pierre Per­ret. Lui qui sait comme per­sonne user de son humour, de sa ten­dresse, et de son engagement.

Ce disque la repré­sente aus­si avec ce choix mini­ma­liste de l’accompagnement qui sou­ligne la force du texte, por­té par sa voix claire. Arran­ge­ments « sub­tils, ori­gi­naux » dit-elle sur sa page Face­Book pour rendre hom­mage à Fred Tho­mas remar­quable ins­tru­men­tiste. Sou­vent la légè­re­té ponc­tue un texte puis­sant, évi­tant ain­si la sur­en­chère. Par exemple, les notes de pia­no qui se glissent et dia­loguent avec la gui­tare, la ponc­tua­tion de la contre­basse dans Mat­thieu, le bruit de chaîne dans Tais-toi pour « bou­cler à qua­druple ver­rou tous ces beaux sen­ti­ments qui dégou­linent de par­tout », le pont ins­tru­men­tal de la gui­tare élec­trique, pour sug­gé­rer le temps qui passe, avant que n’apparaisse un p’tit gars, le pouce ten­du… Et enfin ce tan­go déglin­gué de la der­nière chan­son, Faites-moi rire.