Murielle Holtz & Marion Cousineau (©David Desreumaux – e‑freget)
31 janvier 2020, 19ème Détours de Chant
Seules en scène
Avec
Murielle Holtz (clavier, looper, accordéon, mélodica voix), Soliphonies - Marion Cousineau (basse, piano, voix)
Théâtre du Grand Rond, Le Bijou (Toulouse)
On le devine, les programmateurs de Détours de Chant ont a cœur de faire la part belle – et équitable ! – aux femmes… Après les solos des « frères de plume » JePh et Laurent Berger que nous évoquions hier, voici ceux de Murielle Holtz et de Marion Cousineau que l’on peut réunir sous la délicieuse appellation empruntée à la première : « soliphonies », néologisme aux sonorités gracieuses et pleines de promesses.
Depuis mardi soir Murielle Holtz remplit sans mal le théâtre du Grand Rond à l’heure de l’apéritif et de leur habituel apéro-concert. Ici, c’est le bouche à oreilles qui fait son office. Avant même d’être dans la salle, nous savions qu’elle ravit les spectateurs. Ils disent à l’envi le plaisir partagé avec une chanteuse aux talents multiples.
La voici qui avance vers la scène parmi nous, petite silhouette brune, conquérante en diable. Elle aime la scène, elle y est chez elle, on le devine à la seconde ! Elle gagne son clavier, fredonne. Elle a rendez-vous avec nous, « plein de notes dans la tête »… Alors ça commence très jazzy, très joyeux … La, la, la…
Dans un premier temps on se dit qu’elle est le versant féminin de Matéo Langlois… Le clavier rouge, le goût des boucles musicales et vocales, le beat box…Tout comme lui elle est prise de l’envie de danser… Comme Matéo chante Yes, Murielle en appelle au goût de vivre : « Vis la ta vie ! » Assise sur son tabouret, ce sont ses mains qui dessinent leur chorégraphie comme si elle tissait les mots dans l’espace. Avouons, ce geste là suffit à nous attacher à elle. Enfin, elle se lève, s’empare de son mélodica et finit couchée sur la scène, tout en continuant de jouer… Le public déjà l’ovationne et s’enthousiasme ensuite à l’entendre lire un papier chiffonné sur lequel est écrite une étrange lettre d’amour que n’aurait pas désavouée Claude Bourgeyx pour ses désopilants Ecrits d’amour.
A plusieurs reprises elle nous invente des voyages, à sa suite elle nous fait traverser la mer, évoque ses rencontres, le fantôme d’un père, une belle blonde qui l’étouffe, l’asphyxie, une grand-mère dont la mémoire s’envole et qui danse comme si elle avait à nouveau vingt ans … Elle chante en arabe, et même dans une langue imaginaire – persuadée que tous le sons peuvent nous délivrer leur message – vocalise de sa voix superbe, entre chant lyrique et jazz, entre clavier et accordéon… C’est une terrienne, d’un petit coin des Cévennes qui paraît vouloir rester légère, aérienne en tout, pour tout… C’est en renonçant à ses pieds nus, en chaussant, amusée, ses haut talons qu’elle se modèle soudain, une autre silhouette, un autre personnage. Une « ambitieuse », une « prétentieuse » ? Allons donc ! On la sent capable de nous embarquer dans mille « soliphonies » de son invention. Elle a le charme indéfinissable de la chanteuse, comédienne, musicienne sans frontières.
Nous quittons le théâtre du Grand Rond avec le sourire au cœur pour retrouver une autre chanteuse, Marion Cousineau. Voilà un solo qui vous attache à une interprète que vous ne lâcherez pas une seconde dès que vous l’aurez vue apparaître… Elle arrive sans aucune manière, ni convention. Ce soir elle a mis ses deux mains dans les poches de sa jupe – une attitude qu’elle affectionne – elle s’est un peu balancée d’une jambe sur l’autre comme une enfant timide, elle a mis sa main dans ses cheveux, les a ébouriffés et vous dis Même pas peur… C’est beau, tendre, émouvant comme ce collage d’Isabelle Carignan qui orne la page de son recueil en vis‑à vis du texte… Et c’est suffisant pour l’écouter avec son accompagnement à la basse dans J’ai vu qui commence ainsi : « Aujourd’hui dans la forêt/J’ai vu, j’ai vu /Deux oiseaux qui s’embrassaient /Je vous jure, je l’ai vu /Mais c’est un secret… » Suffit ensuite de se laisser porter car elle vous entraîne dans son histoire de fille arrivée au Québec pour autre chose que pour la Chanson, qui écrit une lettre par semaine à son amie Johanna, qui rencontre Angèle, femme seule, privée de son homme… Elle en fait une chanson poignante… Voilà, sa vie de chanteuse est en route… Elle nous en livre les préceptes et nous les chantons avec elle : « Vas‑y doucement /Desserre juste un peu les dents /Un pas à la fois c’est ça /Regard’ pas en bas ». Pour Jehan elle écrit le nid vide, ce nid qu’abandonne un jour son enfant devenu trop grand. Pour son père, elle écrit cette lettre superbe nous conduisant à sa suite dans les allées du Père Lachaise…
Créatrice de rêves et d’émotions Marion est capable de faire vivre sa marionnette, Monsieur Langlois, sur une chaise vide à ses côtés : « Deux bougres sensibles /Un brin susceptibles /Experts en enfantillages… » Cette chanson pourrait bien nous donner la clef de son art : « Par où que ça fuit /Par où que ça soucie /On dépose une histoire »… Et voilà que nourrie des chansons de ses « grandes sœurs », Danielle Messia, Barbara, Anne Sylvestre – ses reprises sont bouleversantes – elle nous délivre son art de vivre… et de chanter !
Quand elle nous quitte sur sa chanson Je pars, nous savons que nous sommes riches de ce qu’elle nous a donné à croire : savoir partir pour ne pas être « trop lourd à supporter /Juste un souffle à ton cou /Morceau de moi, et souvenir de nous. »
Les « soliphonies » de ce soir, ces « bonheurs échappés » nous ont rendus pour un instant – pour un instant seulement – plus tendres et plus doux…
*Extrait de Monsieur Langlois, Marion Cousineau