La reine des aveugles, couverture album (© Jean-Pierre Montagné)

La reine des aveugles, cou­ver­ture album (© Jean-Pierre Montagné)

23 août 2016 – La cave Poésie, La reine des aveugles

avec Emi­lie Per­rin (cla­vier, textes, chant), Jean Men­dez (gui­tares), Pas­cal Por­te­joie (per­cus­sions)

La Cave Poésie René Gouzenne (Toulouse)

« De por­traits en auto­por­traits cise­lés, de non-ques­tions exis­ten­tielles en anec­dotes para-ocu­laires, on y croise Bor­gès, Gali­lée et Don Qui­chotte, parce que par les temps qui courent, un peu de culture ça peut pas faire pas de mal, une paire d’o­vaires éner­vés, un chat bau­de­lai­rien et quelques ado­les­cents-les-che­veux-devant, parce que par les temps qui courent, ça peut faire du bien de rire un peu… »

Ça peut pas faire de mal 

Contrai­re­ment à la plu­part de lieux cultu­rels, la Cave Po’ reste ouverte sur des offres de voyages, en plein cœur des briques rouges de Tou­louse, chauf­fées à blanc sous le soleil d’été. Que l’on en juge par sa pro­gram­ma­tion éclec­tique qui com­mence le 12 Juillet en Occi­ta­nie, avec Cocan­ha et un bal popu­laire et fini­ra le 27 août pareille­ment en dan­sant mais cette fois-ci avec le Bré­sil et le Café com leite. Entre temps les escales se sont tein­tées de slam, de Kora, de per­cus­sions cor­po­relles, de vio­lon manouche…

Ce soir c’est une halte dans l’univers d’une tou­lou­saine, Emi­lie Per­rin alias La reine des aveugles, vers laquelle nous reve­nons sou­vent. Oui, par­fois nous fai­sons montre d’obstination quand nous pen­sons qu’il serait dom­mage de vous pri­ver d’une découverte.

Sou­li­gnons d’abord que vous pou­vez pour une somme modique ache­ter son album Je me vois pas. Bel objet soi­gné où vous trou­ve­rez les textes de ses chan­sons enre­gis­trées avec les deux musi­ciens qui l’accompagnent en scène : Jean Men­dez aux gui­tares et Pas­cal Por­te­joie. Tous deux lui offrent à peu près tout ce que l’on peut rêver d’inventivité sonore. C’est un disque fidèle à leur pro­po­si­tion en scène même si, bien enten­du, rien, jamais – pour aucun artiste d’ailleurs- ne pour­ra riva­li­ser avec un concert. C’est d’autant plus vrai pour Emi­lie Per­rin dotée d’une forte pré­sence, nour­rie de sa vie de comé­dienne, elle-même for­ma­trice mais tou­jours en recherche, prête à aller plus avant dans la décou­verte de ce mys­tère qu’est le spec­tacle vivant. Elle s’interroge encore, tou­jours, sur ce que seront ses textes de demain.

Voi­là treize ans que nous la connais­sons, tou­jours prête à égra­ti­gner, à cari­ca­tu­rer les pauvres êtres humains que nous sommes, à lever le poing pour affir­mer la liber­té, celle de la vieille dame indigne qui se fait la belle dans Et à la fin (c’est par là que com­mence le concert !), celle qui veut s’arracher coûte que coûte à un des­tin pro­gram­mé de géni­trice : Est-ce que j’ai une gueule de mam­mi­fère. L’humour bien sûr pour habiller le tout. En scène ce sont clow­ne­ries, mimiques, clins d’œil au public, conni­vence avec les femmes, grif­fures envers les hommes… jeux de voix qu’elle s’amuse par­fois à his­ser dans les sphères du chant lyrique comme à la fin de ce texte aus­si noir qu’une nou­velle d’Edgar Poe, Minou ter­mi­nus. Car le pro­pos est loin d’être léger si l’on pense à quelques chan­sons qui font sa marque de fabrique. La Reine des aveugles est sœur d’Aldon­za la putain, la dul­ci­née de Don Qui­chotte, de Marieke, embar­quée dans un cau­che­mar quelque part sur un péri­phé­rique en Bel­gique – ce thème fait déci­dé­ment flo­rès auprès de nos jeunes auteurs comme Fré­dé­ric Bobin ou Chloé Lacan – d’Audrey la Pou­belle, texte bou­le­ver­sant d’une enfance meur­trie, tout comme celle de L’enfant Elé­phant. Au fond on rêve­rait du sort du pigeon de Vin­cennes, (A quel prix) affli­geant de nor­ma­li­té et de bana­li­té… le salut pour­tant. Emi­lie Per­rin, elle-même, a déci­dé de jouer de son sort à elle, de cet œil qu’elle dis­si­mule artis­ti­que­ment en scène sous les bijoux et la den­telle noire. Elle jette volon­tiers une pas­se­relle vers les rives de la « céci­té » qu’elle emprunte dans ses pro­pos entre deux chan­sons. Le thème est si riche en soi… quand les plus grands noms y sont asso­ciés depuis l’image d’Oedipe aveu­glé pour châ­ti­ment de sa faute, depuis Homère…depuis Mon­ther­lant qui choi­sit d’en mou­rir, depuis Bor­gès… Croi­rons –nous comme Vic­tor Hugo que « L’a­veugle voit dans l’ombre un monde de clar­té. /​Quand l’œil du corps s’é­teint, l’œil de l’es­prit s’allume. »

Consi­dé­rons que l’acte de foi d’Emilie Per­rin – une foi on ne peut plus laïque, bien enten­du – se trouve dans la chan­son épo­nyme de l’album, Je me vois pas, une longue énu­mé­ra­tion de tout ce qu’elle refuse pour finir ain­si : « Des aveugles je suis la Reine /​Un œil ici un œil ailleurs /​Dans cette vie où je ren­gaine /​Des chan­sons contre le mal­heur… » Alors ne man­quez pas de les écouter…ça ne peut pas faire de mal ! C’est à la Cave Po” jus­qu’à ven­dre­di soir.