Forum Léo Ferré, 2021 (©Droits réservés)

Forum Léo Fer­ré, 2021 (©Droits réservés)

30 octobre 2021, Romain Lemire en concert à 20h, nou­veau spec­tacle Monu­ment aux vivants – 1er novembre Rou­caute lance Mino­taure à 17 h30 au Forum Léo Fer­ré à Ivry-sur- Seine

« C’est une chan­son qui nous res­semble »

Avec

Album Monu­ment aux vivants : Romain Lemire (Textes et musiques, chant) Laurent Daire (arran­ge­ments, direc­tion musi­cale, réa­li­sa­tion et pia­nos, cla­viers, Rhodes et de mul­tiples autres instruments)

Auré­lien Cal­vel (basse, contre­basse), Julien Audi­gier (bat­te­rie, per­cus­sions), Fabien Mor­net (gui­tares, uku­lé­lés, ban­jo), Lau­rian Daire (pia­no, cla­viers, orgues, Rhodes…) Alon Pey­let (trom­bones, trom­pettes, tuba), Cédric Ricard (flûte, cla­ri­nette, cla­ri­nette basse) Pas­cal Lelièvre (cor anglais),  Antoine Sah­ler ( accor­déon, eupho­nium, bugle, trom­pette), Solen Imbeaud (pia­no toy, gre­lots), Lucrèce Sas­sel­la, chœurs et duo titre 08, Sophie Le Cam, duo titre 03, Fran­çois Morel, duo titre 11

Livre – disque Mino­taure, édi­tion Les Frères de la Côte : Gilles Rou­caute (textes et musiques sauf Y’a rien qui s’passe Allain Leprest, La Fron­tière, musique de Yadh Elyès, Gar­çon, Gar­çonne co-écrite avec Solenne Bou­lay, et Je pars, avec Carole Ruby) & Yag Van Licht (illus­tra­tions) – Guillaume Habrias (réa­li­sa­tion musicale)

Guillaume Habrias (arran­ge­ments…) Nico­las Auriault (cuivres), Caryl Marol­leau (bat­te­rie) David (Stu) Dos­non (basse), Mat­thieu Ver­guet (gui­tare élec­trique), Eddie Guil­bault (per­cus­sions), Yadh Elyes (oud) et l’inspiration des ate­liers de Claude Lemesle… 


Nous espé­rons bien ne frois­ser ni l’un ni l’autre de ces chan­teurs, Romain Lemire et Gilles Rou­caute, en choi­sis­sant de les réunir ici. La pro­gram­ma­tion du Forum Léo Fer­ré nous y invite. Tous deux auréo­lés de leur créa­tion toute neuve se suc­cè­de­ront en effet sur cette petite scène de grand renom… C’était une occa­sion ines­pé­rée de saluer ce lieu, un petit lieu où la Chan­son fait son nid. Il est près de la porte d’Ivry, face au mou­lin « posé là comme en hom­mage per­ma­nent aux Don Qui­chotte de la chan­son » qui la font vivre, contre vents et marées. Nous obser­vons que tous ceux qui comptent peu ou prou dans ce monde que nous aimons tant, s’y trouvent un jour, un soir…

« C’est une chan­son qui nous res­semble » qui s’illustre en effet- c’est pré­ci­sé­ment ce qui nous la fait aimer – et l’actualité de ces deux artistes nous en apporte la démonstration.

L’ombre et la lumière, la lumière et l’ombre…

Ces deux albums nous ramènent étran­ge­ment à l’épisode télé­vi­suel de 1972 réunis­sant deux êtres appa­rem­ment si dis­sem­blables… « Ô mon soleil /​Tu es juillet je suis décembre » chante Bar­ba­ra à John­ny Hal­ly­day… Nous le savons bien, toute l’œuvre de Bar­ba­ra oscille, comme nos vies, entre ces deux pôles. Or, il n’est pas incon­gru de la nom­mer ici puisque Romain Lemire confiait au micro de Fred Cas­tel (On allume les étoiles du 20 octobre sur Troyes Aube Radio) que c’est elle qui fut sa toute pre­mière inspiratrice…

Regar­dons la pochette de son album à paraître offi­ciel­le­ment en jan­vier 2022. Au milieu des hautes herbes, il est buste droit, habillé d’une che­mi­sette au motif végé­tal, dans des tons pas­tel, men­ton légè­re­ment levé vers un ciel pâle, pau­pières closes, au loin un bos­quet d’arbres… Le titre seul se détache en lettres capi­tales : Monu­ment aux vivants… Image à la fois simple et solen­nelle. L’homme confiant ins­pire, res­pire un ins­tant de plé­ni­tude dans un coin de nature… On com­pren­dra à l’écoute du titre épo­nyme, que pour cet idéal, il convient de « [frei­ner] dans la des­cente… de s’offrir « la flâ­ne­rie récon­for­tante », des « ciné­mas pro­met­teurs, des repas », des « matins contem­pla­tifs ». Et cette séré­ni­té est bel et bien ce qu’inspirent les chan­sons nou­velles qu’il mêle­ra aux anciennes en concert, accom­pa­gné déli­ca­te­ment par la per­cus­sion­niste Muriel Gas­te­bois.

Même la mort se pare ici de dou­ceur… Car c’est ain­si qu’il a choi­si d’ouvrir cet album avec le titre Je suis mort, dont on attend impa­tiem­ment le clip en novembre. La voix s’y fait confi­dente à notre oreille… C’est le pia­no qui l’escorte au départ et quand les cuivres s’invitent c’est encore une caresse… « Je pose ici /​Nos sou­ve­nirs en équi­libre /​Et un sou­pir… » Voi­là. Le ton est don­né… Et dès la deuxième chan­son, La vie pour­rait, on devine un art de vivre si peu que l’on sache se dépouiller du super­flu… Faire tenir la vie dans un sac à dos, une poche, un refrain… ou seule­ment un souvenir…Surtout s’arracher aux affiches, à l’écran total, au réseau, reve­nir au « bel ennui » de l’enfance, du temps où l’on vou­lait « s’inventer un monde », être « seule­ment un arbre sous la pluie »… Enfin « être contents /​contemplatifs/​De temps en temps ». Et par­ve­nir enfin à des Matins légers, ce temps d’émerveillement – pas moins de seize adjec­tifs pour le dire ! – cher à la poé­tesse Andrée Che­did, « Quand on a posé son crayon /​Sur l’horizon d’un Outre­noir »…Sou­dain « Y’ a du soleil sur mes regrets… » avant que n’éclate, en duo avec Fran­çois Morel, un hom­mage en fan­fare à la vie, « au rythme des cym­bales /​Entre­cho­quées par l’harmonie muni­ci­pale »… Une chan­son qui pour­rait bien s’adresser au public pour clô­tu­rer un concert :

« Aujourd’hui j’ai vécu ça m’a pris la jour­née /​La finir avec vous c’est finir en beauté… »

Quant au couple, au dilemme amou­reux, il se pare volon­tiers d’humour, d’autodérision… et sur­tout d’une infi­nie ten­dresse. Quel hom­mage à l’être aimé cette méta­phore inat­ten­due de l’église, du vitrail ! On aime aus­si le retour à des débuts quelque peu ado­les­cents, avec des gui­tares six­ties, dans C’est com­pli­qué, le déli­cieux duo très ciné­ma­to­gra­phique avec Sophie Le Cam et sa ques­tion essen­tielle Vivons –nous la même chose, l’exercice indis­pen­sable à la sur­vie d’une his­toire qui s’effiloche, sous l’effet d’« une over­dose de détails », mar­quer une pause, une Ponc­tua­tion… S’amuser du récit d’un dimanche « sym­pa », où vous décou­vri­rez la recette des crêpes sans pâte et non sucrées…

Ouvrons main­te­nant le livre – disque de Gilles Rou­caute illus­tré par Yag Van Light. Regar­dons la cou­ver­ture au fond noir légè­re­ment éclai­ré par une lune pâle, oppo­sant la tendre jeune femme habillée de rouge à la sil­houette mena­çante du monstre cor­nu, le Mino­taure. N’y a‑t-il pas comme une rémi­nis­cence de Sou­lages, de ce que Romain Lemire nomme « hori­zon d’un Outre­noir »… « Entre le monde et ma rétine /​Un voi­lage était du pétrole… » Pré­ci­sait-il. Dès que vous avez tour­né la page titre, vous péné­trez en effet dans un monde de noir et de gris, une méga­lo­pole où s’élève un enche­vê­tre­ment de dômes s’élevant vers le ciel avant que les mots de l’auteur ne vous sou­haite la bien­ve­nue dans son antre, « aux confins du mer­veilleux et de l’intime »… Une porte cin­trée ouvre sur une rue déserte, ses immeubles, ses pavés fai­ble­ment éclai­rés dans la nuit…

Tout est menace, à com­men­cer par ce monstre au corps d’homme et à la tête de tau­reau qui donne son titre à l’album et au livre. Sa voix est pour­tant sans vio­lence, elle aurait quelque chose de suave dans le pre­mier titre… Au loin s’élèvent trom­pette et per­cus­sions pour cette étrange invi­ta­tion où s’insinue une dénon­cia­tion de l’exclusion dont il est vic­time, de la peur qui mène au pire… Très vite on quitte l’univers du mythe pour une chan­son qui inter­pelle, assé­nant cette ter­ri­fiante réa­li­té : « Ce soir encore, un homme dort dehors… Et cette accu­sa­tion : « Là dans ta vie, là juste au bord… » Dans les pages qui suivent – elles se colorent légè­re­ment de rouge-brun – on pour­rait croire à une res­pi­ra­tion mais que nen­ni ! Les bébés jouf­flus, sem­blables à des boud­dhas n’ont rien d’innocent et la chan­son aux sons élec­triques, à rebours de l’image conve­nue, dénonce le culte dont ils peuvent être l’objet, et l’injonction qui l’accompagne… Et c’est ain­si que Gilles Rou­caute et son illus­tra­trice nous emmènent page après page dans un monde défait, fleu­rant le conte noir et fantastique.

Ce monde est d’abord inté­rieur, intime, avec la reprise de Ya rien qui s’passe d’Allain Leprest où les pages très prous­tiennes se teintent à peine de vert, de jaune sable. C’est aus­si là, à l’intérieur de soi qu’il fau­dra accep­ter d’attendre, de lais­ser le temps s’écouler, après trop de dou­leur… « Attends que le temps désarme »… Quelle belle image que celle de la sil­houette fémi­nine dans une semi-obs­cu­ri­té, près d’une fenêtre où se des­sinent les branches nues d’un arbre… On passe aux pre­mières lignes d’Une vie de Guy de Mau­pas­sant … Il inter­roge aus­si notre iden­ti­té, notre genre (Gar­çon, gar­çonne), dénonce « Des yeux / Fié­vreux /​Qui se posent /​Se taisent /​soupèsent/​Et sup­posent », puis la pas­sion amou­reuse, ce qui sépare et la condamne (Par­don)… Des pages superbes où s’affiche une élé­gante, dans une robe rouge sang atta­blée… devant un cœur qu’elle s’apprête à dévorer !

Ce monde est aus­si exté­rieur, faus­se­ment loin­tain – la sil­houette rouge sang du Mino­taure menace à nou­veau en pleine page – pour évo­quer la fron­tière, le mur qui se dresse entre les hommes et l’absolue néces­si­té de voir dis­pa­raître la menace du monstre, englou­ti dans les flots… On entend, on com­prend tout ce qui nous menace aujourd’hui… tout ce qui nous sépare et nous condamne « ça com­mence à peine », chan­son écrite dans les jours qui ont sui­vi les atten­tats de novembre 2015… Deux beaux jeunes hommes se regardent, der­rière eux se pro­file une scène macabre et tou­jours la ville en fond… La rue sans âme, soli­taire… Un seul abri pos­sible : le refuge de bras pro­tec­teurs. A moins que ce ne soit le départ, la fuite, « Bri­sé mais debout », comme le dit la der­nière chan­son co-écrite en ate­lier où la contrainte était d’aller du pre­mier vers d’un poème de Vic­tor Hugo à un der­nier vers de chan­son de Joe Das­sin… Une chan­son qui pour­rait tout aus­si bien clô­tu­rer un concert : « J’ai mis mon cœur là sur la table /​Plus de ran­cœur, je pars au diable /​Venez, mes frères, me dire adieu… » Car, à cette créa­tion s’ajoute un bel hom­mage aux ate­liers d’écriture, Gilles Rou­caute détaillant en fin de livre les cir­cons­tances qui l’ont mené à cet album.

On vous l’avait dit en pré­am­bule « C’est une chan­son qui nous res­semble »…

L’ombre et la lumière, la lumière et l’ombre…