Archibald, un nouveau solo libertaire (Ⓒ Claude Fèvre)

Archi­bald au Bijou (© Claude Fèvre)

12 février 2016 – Concert

Kévin Noguès, Archi­bald, solo textes, chant, gui­tare (et quan­ti­té d’autres sons en boucle !)

Le Bijou (Toulouse)

ENIVREZ-VOUS

« Il faut être tou­jours ivre, tout est là ; c’est l’u­nique ques­tion. Pour ne pas sen­tir l’hor­rible far­deau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.

Mais de quoi ? De vin, de poé­sie, ou de ver­tu à votre guise, mais enivrez-vous !

Et si quel­que­fois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fos­sé, vous vous réveillez, l’i­vresse déjà dimi­nuée ou dis­pa­rue, deman­dez au vent, à la vague, à l’é­toile, à l’oi­seau, à l’hor­loge ; à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, deman­dez quelle heure il est. Et le vent, la vague, l’é­toile, l’oi­seau, l’hor­loge, vous répon­dront, il est l’heure de s’en­ivrer ; pour ne pas être les esclaves mar­ty­ri­sés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poé­sie, de ver­tu, à votre guise. »

Charles Bau­de­laire

Le spec­tacle d’Archibald com­mence sur la célèbre invi­ta­tion de Charles Bau­de­laire à l’ivresse. Il le déclame, verre en main, en par­cou­rant la salle. Il plante ses regards dans le nôtre. Un sou­rire conqué­rant éclaire son visage. Il ne le quit­te­ra guère.

Il signe ain­si son appar­te­nance à la poé­sie libé­ra­trice, celle qui porte haut notre soif d’envol. Le texte est dit avec un soup­çon d’emphase. On l’a connu certes plus léger, moins ten­du au cours de l’année écou­lée. Mais ce soir c’est fête ! Fébri­le­ment atten­due… presque ines­pé­rée. Au terme d’un an de tra­vail, sim­ple­ment né dans sa cara­vane d’où il envoie ses pre­mières vidéos sur Face­book, après le coup de cœur du public lors d’une audi­tion « Osons », ce n’est pas rien cette soi­rée au Bijou ! Les parents – un père qui le voit en scène pour la pre­mière fois, dira-t-il en confi­dence à la fin – un public jeune et impa­tient d’amis qui ne s’y sont pas trom­pés. Pas plus que les chro­ni­queurs pas­sion­nés et curieux que nous recon­nais­sons. La nais­sance d’un spec­tacle c’est une fête pour tous ! Et l’enjeu est de taille pour l’artiste pro­fon­dé­ment ému.

Il est vêtu d’une longue redin­gote aux pare­ments vague­ment mili­taires qui traîne presque au sol, trop grande pour lui. Elle lui donne la sil­houette d’un Cor­to Mal­tèse, mys­té­rieux et roman­tique, à moins que ce ne soit plu­tôt celle du Petit Prince des­si­né par l’aviateur. Il s’en débar­rasse à peine arri­vé en scène pour la retrou­ver en par­tant. La vie est déci­dé­ment un com­bat ! On découvre alors son pan­ta­lon à bre­telles de velours côte­lé mar­ron. Et là, impos­sible de ne pas se sou­ve­nir d’autres artistes en scène, comme par hasard de la même mou­vance liber­taire, anar­chiste que la sienne. C’était il y a qua­rante ans : Fran­çois Béran­ger ou Gérard Pier­ron inter­pré­tant Gas­ton Cou­té… Le même pan­ta­lon de velours mar­ron ! L’histoire ne s’achève donc pas !

Il rejoint son décor où se détache à cour une table ronde éclai­rée d’une toute petite lampe légè­re­ment de guin­gois. Une machine à écrire d’une époque révo­lue l’attend. Il vient s’asseoir là sou­vent, lais­sant place à la musique savam­ment créée, s’adressant au spec­ta­teur com­plice ou trou­vant là son ins­pi­ra­tion, dans un jour­nal qu’il déploie, ou dans son verre de bière.

Au sol quan­ti­té de pédales dont il joue avec habi­le­té. Il offre ain­si à ses décla­ma­tions, son chant aus­si — qui s’en va par­fois errer, au bord des larmes, dans les pay­sages anda­lous de ses ori­gines — un habillage sonore qua­si orches­tral autour de sa gui­tare. Il use de toutes les res­sources de son corps, de sa voix, des objets aus­si, comme le son des touches de la machine à écrire, de la flûte tra­ver­sière aus­si. On regrette de l’entendre trop peu.

Quant au texte il colle à l’actualité, aux vio­lences, aux injus­tices. Quand il se met à chan­ter l’amour, c’est assez déses­pé­rant et les images donnent la nau­sée. Sa ten­dresse va à la femme mas­sa­crée, au sans-abri que l’on a lais­sé mou­rir sur le trot­toir. Archi­bald s’en prend dans son long cor­tège de mots, dans son flow rageur, aux « arra­cheurs de dents, tous les cafards, les char­la­tans » à « mon­sieur tout le monde » avant tout ! Le mes­sage est clair, comme le fut celui d’un Béran­ger ou, bien plus loin encore, celui d’un Couté.

Mais dans cette mou­vance anar­chiste, on aime tout par­ti­cu­liè­re­ment quand il en appelle à l’oiseau (t’entends ça l’oiseau) ou lorsqu’il rend hom­mage aux « inter-gitans » du spec­tacle sans qui on irait net­te­ment moins loin, moins bien.

Grâce à Archi­bald, grâce à beau­coup d’autres sal­tim­banques comme lui, « Y a comme une joie de vivre dans l’air ». Et c’est fran­che­ment bon !

Une année d’Ar­chi­bald en trois étapes (© Claude Fèvre)