Diod - théâtre du Grand Rond, 2017 (© Céline Lajeunie)

Diod - théâtre du Grand Rond, 2017 (© Céline Lajeunie)

22 avril 2017 – Apé­ro-concert, duo tout neuf de Diod

Avec Émi­lie Cadiou (com­po­si­tions & textes, accor­déon, voix) & Aude Bout­tard (contre­basse, Wood Beat Box, chant)


Théâtre du Grand Rond (Tou­louse)

Il faut déci­dé­ment s’y faire… la chan­son est une aven­tu­rière, une canaille, une maraude. Elle s’en va chi­ner par­tout, elle pille à l’envi par­tout où l’on fait du son, de la musique. C’est sa force. Elle se moque des codes, s’amuse constam­ment à s’en affran­chir, tou­jours un pas de côté. « Plon­ger au fond de l’Inconnu pour trou­ver du nou­veau » écri­vait Bau­de­laire, défen­seur de la moder­ni­té en son siècle.

Aude Bout­tard et Émi­lie Cadiou nous le démontrent dans leur duo tout neuf, expé­ri­men­tal devrions-nous dire. Elles ont nom­mé leur pro­jet « Diod », un nom qui évo­que­rait plu­tôt un com­po­sant, un cir­cuit élec­tro­nique… Rien de bien poé­tique si l’on ne décou­vrait que sans le E final, c’est l’addition d’une syl­labe d’un nom à celle d’un pré­nom, quelque chose comme « Émi­lie CaDIODe Bout­tard »… Alam­bi­qué tout ça ? Non, c‘est un jeu, un clin d’œil aux nou­velles tech­no­lo­gies. Une façon aus­si de lever le voile sur le pro­jet : en grec ancien « di » deux-double et « odos », route. Un duo qui va de la tra­di­tion à la modernité.

Elles jouent ces filles-là, et pas seule­ment de l’accordéon et de la contre­basse ! « C’est mer­cre­di demain » – si seule­ment on vou­lait bien lais­ser aux enfants leur jour­née… ! – Elles le chantent « Je veux m’amuser l’hiver, l’été… » Elles ont envie d’ « embras­ser le jour, la nuit », de cro­quer avi­de­ment la vie en somme, « Quand j’aurai cent ans, j’aurai tou­jours mes quatre ans ! » Joueuses, elles en ont toute l’apparence quand elles arrivent en scène dans leur tenue courte, une « robe – short » par­se­mée de petits points blancs et de cocottes en papier rouges, col Clau­dine… Col­lant noir, chaus­sures rouges… frange et coupe au car­ré pour Émi­lie, comme un clin d’œil à la scan­da­leuse Clau­dine de Colette. D’ailleurs la pre­mière chan­son et sa ques­tion « Seras-tu la femme idéale /​Ou la sau­vage ou la fatale… /​Seras-tu la femme dra­gon ou la femme canon ? » confir­me­rait le rapprochement…

Joueuses, oui. Accor­déon sou­vent très per­cus­sif, contre­basse, à l’archet, piz­zi­ca­to… Mais à ces deux ins­tru­ments qui sont leur signa­ture, elles ajoutent le cla­vier numé­rique et un ins­tru­ment car­ré­ment incon­nu. Nous sommes habi­tués main­te­nant à voir sur­gir en scène des machines… mais celle-ci est expé­ri­men­tale. On découvre un objet nom­mé Wood Beat Box (WBB) joli­ment habillé de bois brut, une pla­tine, des bou­tons, des pions aiman­tés sur le côté que les musi­ciennes déplacent sur la pla­tine qui tourne… Elles se livrent ain­si à une étrange par­tie d’échecs ou de dames… Une joute ryth­mique… C’est une trou­vaille d’un col­lec­tif tou­lou­sain, nom­mé Faux Départ, où se retrouvent gra­phistes, scé­no­graphes, élec­tro­ni­ciens qui se mettent au ser­vice de la créa­tion. Aude Bout­tard en est folle, pré­tend Émi­lie… Ce qui est sûr c’est qu’il ouvre des portes à leur ima­gi­naire de musi­ciennes déjà foi­son­nant quand il s’agit de don­ner une cou­leur à une chan­son. Une atmo­sphère qui réponde à l’éclectisme des textes : lyrique, sati­rique, pay­sages inté­rieurs, détours dans l’étrange, le macabre… Ces textes sortent tout droit du cer­veau d’une fille d’aujourd’hui qui n’a que faire de la cohé­rence d’une ligne artis­tique… À moins que cette ligne ne soit jus­te­ment la liber­té, la fan­tai­sie créatrice.

C’est un peu de ce flot conti­nu des pen­sées, habi­té de sen­sa­tions, d’émotions, de dési­rs, de rêves les plus fous. C’est mer­veilleux l’écriture ! C’est sans limites. Les chan­sons sont une halte, une pause. Pause sur la ques­tion de l’identité fémi­nine. Pause sur le divorce de L’Angleterre et de l’Europe – c’est inat­ten­du ce refrain « Brexit » ! – Pause sur le mono­logue d’une « petite culotte de coton blanc » – si, si ! – Pause, bien enten­du, sur l’amour, une addic­tion hélas, sachant que « le som­met on ne l’atteindra jamais », que « C’est un che­val fou… C’est à tom­ber à genoux dans le trou­peau qui détale ! » Pause sur un conte, un phan­tasme où appa­raissent des femmes à barbe aquatiques…

On vous l’a sug­gé­ré ce duo c’est une explo­ra­tion, une aven­ture. C’est de l’inattendu, soli­de­ment construit pour­tant. On devine en effet les heures de recherche aus­si bien tex­tuelle que vocale et musi­cale. Le duo Diod illustre le talent de don­ner l’illusion de la spon­ta­néi­té, de la trouvaille.

On fait sem­blant d’y croire et c’est si bon ce pacte impli­cite que l’on s’est pro­mis d’y revenir.