Eryk.e- Alaska 2018 (© Didier Guyot – Artwork, Esther Decluzet)

Eryk.e- Alas­ka 2018 (© Didier Guyot – Art­work, Esther Decluzet)

25 octobre 2018, sor­tie de l’album

Alas­ka

Avec

Eryk Eisen­berg (Chant, pia­no, cla­viers, gui­tare) Lézard (gui­tares) Alexandre Per­on­ny (vio­lon­celle et basse) Gaëlle Cotte (chœurs) Julien Qui­net (trom­pette et trom­bone) Jos­se­lin Hazard (bat­te­rie)


Pour écou­ter cet album il faut s’être dépouillé de tout… Dépouillé de ses pré­ju­gés, de ses attentes. Dépouillé des sons actuels qui nous enva­hissent et finissent par dic­ter leur loi sonore.

Accor­dons-nous un véri­table temps de décou­verte, de dépay­se­ment, une immer­sion dans un Ailleurs, celui que des­sinent et pro­mettent le livret, l’objet disque.

Regar­dons ce visage buri­né, où se des­sinent les âges de la vie, cette barbe nais­sante, cet œil pro­fond qui nous fixe. La tech­nique pho­to­gra­phique de Didier Guyot fait renaître dans son stu­dio cler­mon­tois, la pho­to­gra­phie sur verre de la fin du XIXème, en noir et blanc. Il en naît un visage qui s’apparente à celui d’un aven­tu­rier. Aven­tu­rier de la vie, il n’y a pas à en dou­ter – quand bien même ces voyages res­te­raient immo­biles. En par­tance pour ces pays « Où le veilleur soli­taire plonge ses racines » ?

Les illus­tra­tions du livret, la teinte bleu gris qui domine en fond, nous emmènent en terres polaires, au pays des gla­ciers, des ice­bergs, des coni­fères sombres… En Alas­ka, terre du soleil de minuit, « Je pars en Alas­ka, /​Petit chat, /​Pour ne plus voir tout ca, /​Petit chat… /​Le Diable sur nos routes /​Il nous les fera toutes.… » Terre refuge donc. Terre inté­rieure où Eryk.e nous mène sur une musique légè­re­ment dan­sante, orches­tra­tion ponc­tuée par la trom­pette bien­tôt rem­pla­cée par le violoncelle.

Quand vient l’écoute, on largue les amarres et c’est un voyage sen­sible dans des espaces où foi­sonnent, luxu­riants, des images et des sons. La musique nous fait escorte dans des terres roman­tiques, où le pia­no s’inspire à l’évidence d’illustres com­po­si­teurs, Cho­pin, Rach­ma­ni­nov… C’est à Johann Sebas­tian Bach, à la Sici­lienne de la 2ème Sonate pour flûte qu’est emprun­tée la musique du titre Loma­ki­tou, offrant un point d’orgue, lent, aérien, une inter­ro­ga­tion : « Si dans cent de mes pas /​Tu te dérobes sous Moi, /​Que fau­dra t‑il alors faire /​ Avant d’aller sous la terre ? »

Peur du vide, peur de la chute car l’homme est un voya­geur mal assu­ré, tou­jours en équi­libre fragile.

Pour l’exprimer, Vic­tor Hugo offre d’abord, en ouver­ture de l’album, son immense dou­leur, la perte de celle qu’il atten­dait « ain­si qu’un rayon qu’on espère », la mort venant bri­ser bru­ta­le­ment un bon­heur « Mes quatre enfants grou­pés sur mes genoux, leur mère, /​Tout près, quelques amis cau­sant au coin du feu ! /​J’appelais cette vie être content de peu ! Et dire qu’elle est morte ! … » Le ton et l’atmosphère de l’album sont donnés.

Par ins­tants la musique et les mélo­pées de Gaëlle Cotte nous arrachent à nos réa­li­tés pour ces voyages immo­biles. Alors place est lais­sée aux rivages, aux visages rêvés… Ceux de l’amour, même si ça rime à rien, même si tout devient chao­tique comme une musique qui per­drait sa clef… La vie c’est dif­fi­cile, elle « se tor­tille /​Et s’égosille ». La quête de l’autre, la peur de perdre, l’affreuse jalou­sie, les petites tra­hi­sons… « Si d’aventure l’amour ne dure /​Si par bon­heur l’amour demeure, /​Du petit trou de la césure / Pour­rait naître un bou­quet de fleurs ? » (Notre exer­cice dif­fi­cile). « Res­ter seul‑e il ne fait pas bon », au risque de deve­nir un jour comme ces deux spectres de Paul Ver­laine « dans le vieux parc soli­taire et gla­cé »… Ah les beaux jours dont il ne reste rien… « L’espoir fuit vain­cu dans le ciel noir »…

L’artiste, homme de la ville, dans son appar­te­ment, sou­mis aux rumeurs de la « ville malade », se sait « Petit pigeon sans mes­sage  /​Inuti­le­ment ailé ».  Il doit pui­ser à la source de ses émois, ses émo­tions, il doit « trou­ver les mots ».

Sans doute est-ce là ce qui sauve, « être sourd aux voix de la chambre d’à côté » et se mettre à écrire, à chan­ter… Peut-être s’agit-il d’un album- confi­dences, celles d’un homme dans la mai­son ? Celui que l’on espère deve­nir, « Un homme calme et doux / Un grand arbre debout… Un homme avec un peu d’espoir /​Un homme qui sait par­ler tout bas /​Avec du bon pain sous le bras… »