17e festival Bernard Dimey (© Thouf)

17e fes­ti­val Ber­nard Dimey (© Thouf)

4 mai 2017 – 17e fes­ti­val Ber­nard Dimey

Jour 1

Avec Marie D’Epizon (chant), Tho­mas Font­vieille (gui­tare), Jean-Pierre Bar­re­da (contre­basse) -
Yvette The­rau­laz (voix), accom­pa­gnée au pia­no par Lee Mad­de­ford


Centre cultu­rel Robert Hen­ry – Nogent (Haute-Marne)

C’est un fes­ti­val haut en cou­leurs qui se met en place. Il prend le pari – n’en déplaise aux farouches mili­tants de la pari­té ! – d’une pro­gram­ma­tion exclu­si­ve­ment féminine.

« Ah les femmes sans queue ni tête »… Cette seule cita­tion de Sacha Gui­try suf­fi­rait à jus­ti­fier cette pro­gram­ma­tion concoc­tée par une équipe où les hommes ne font pas pâle figure.

On attend avec grand inté­rêt de voir ce qu’au fil des jours et des soi­rées, le thème va révé­ler d’engagements, de dou­ceur, d’élégance, de force, de convic­tion et d’espérance. Qu’ont-elles à nous dire ces femmes où se ren­contrent les géné­ra­tions, où plane le sou­ve­nir ardent de celles qui ont tra­cé la voie ? Y‑a-t-il une écri­ture, une chan­son fémi­nine ? La roman­cière Annie Ernaux, celle qui a tant écrit sur son com­bat intime, sociale, de femme s’insurgerait sûre­ment. « Je n’écris pas avec mon uté­rus mais avec mon cer­veau », nous répondrait-elle.

Il faut tout de suite vous dire qu’ici, les cou­loirs du Centre cultu­rel de Nogent se sont parés comme à l’ordinaire du récit en images de la vie de Ber­nard Dimey – grand amou­reux des femmes, qui écri­vit l’amour comme peu savent le faire. C’est l’occasion de rap­pe­ler la pro­jec­tion du docu­men­taire de Domi­nique Regueme, Ber­nard Dimey, entre refrains et alexan­drins, à 11h le 5 mai dans la salle du centre cultu­rel et sur France 3 lun­di 8. Mais cette année le poète nogen­tais est accom­pa­gné de deux femmes illustres qui ont un lien avec sa terre cham­pe­noise : Louise Michel qui naquit d’amours ancil­laires au châ­teau de Vron­court, et Simone de Beau­voir dont la famille mater­nelle est ori­gi­naire de Châ­teau­villain. Quant au stand des livres et celui des vinyles ils font une large place aus­si aux femmes. On remar­que­ra par­ti­cu­liè­re­ment la col­lec­tion de pochettes de trente-trois tours de Bar­ba­ra. Bar­ba­ra, son ombre plane ici – grand oiseau à l’aile bles­sée qui jamais, jamais, ne renon­ce­ra à son vol – Les deux concerts l’ont évo­quée sou­vent, à nous en mettre les larmes aux yeux. D’autres moments vien­dront pour rap­pe­ler qu’il y a vingt ans exac­te­ment elle com­men­çait en avril 1997 : le récit de ses sou­ve­nirs qui devait s’achever bru­ta­le­ment six mois plus tard, lais­sant inache­vé ce qui pro­met­tait d’être un livre majeur.

Pour l’heure nous sommes le pre­mier jour du fes­ti­val qui s’ouvre sur quelques dis­cours : celui du Pré­sident à la che­mise fleu­rie, le pre­mier à avoir pro­po­sé cette ver­sion ultra-fémi­nine du fes­ti­val, celui des repré­sen­tants des trois col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales – muni­ci­pa­li­té de Nogent, dépar­te­ment, Région. Ils annoncent qu’ils main­tiennent leur sou­tien à l’association per­sé­vé­rante qui pré­side au des­tin de cet évè­ne­ment. De quoi se réjouir, même si dans les pro­pos on devine le besoin de rap­pe­ler les valeurs qui gui­dèrent la vie même de Ber­nard Dimey, le par­tage, la géné­ro­si­té, la tolé­rance. Une urgence à la veille du deuxième tour des élec­tions pré­si­den­tielles. Per­sonne ici n’en parle, mais tout le monde y pense…

Il revient à Marie d’Epizon, d’ouvrir le bal, celle dont le nom même signe l’appartenance à cette terre bien qu’elle vive aujourd’hui à Mont­pel­lier. On com­mence donc dans une infi­nie dou­ceur : la sil­houette de Marie, toute simple dans sa tenue de scène, jean, bot­tines et tunique noire, enca­drée de ses deux musi­ciens. À sa gauche la contre­basse, à sa droite la gui­tare lui tissent des arran­ge­ments sub­tils, aux teintes latines. C’est un habillage tendre pour des textes co-écrits avec Claude Kintz­ler qui des­sinent les contours des sen­ti­ments, des sen­sa­tions, où l’« on rêve d’écrire l’indicible… un bien étrange voyage ». Les sai­sons, les pay­sages sont de cette tra­ver­sée… On retien­dra la neige et toutes ces images qu’elle fait naître, les petits bon­heurs de l’enfance, « La note noire du temps qui passe », Col­lioure où « deux fan­tômes trinquent et rejoignent le monde autour d’une table ronde »… Matisse et Vla­minck, et plus sai­sis­sante, trou­blante encore La sirène de Lam­pe­du­sa, ins­pi­rée par l’auteur ita­lien du Gué­pard, Giu­seppe Toma­si. Bien sûr on sera bou­le­ver­sée par la reprise du Soleil noir de Bar­ba­ra – une chan­son à réécou­ter d’urgence ! – mais aus­si par le magni­fique texte de Jean-Michel Piton, J’en veux. Comme un cre­do, un conden­sé des petits riens qui font les grands moments de nos vies.

Le deuxième spec­tacle, celui de la comé­dienne-chan­teuse Yvette The­rau­laz accom­pa­gnée par le talen­tueux pia­niste Lee Mad­de­ford, trouve sa pleine jus­ti­fi­ca­tion dans cette pro­gram­ma­tion. Un peu à la manière d’un Phi­lippe Cau­bère, elle s’empare de sa propre vie pour rap­pe­ler les étapes récentes de la conquête des droits des femmes. La comé­dienne et chan­teuse accom­plie, dans sa longue jupe grise, ses bot­tines et ses longs gants rouges, dévide cette his­toire qu’elle par­sème de chan­sons comme autant de repères savou­reux – citons d’abord le texte qu’elle dit magis­tra­le­ment Les sper­ma­to­zoïdes de Ricet-Bar­rier en ouver­ture, puis On ne voit pas le temps pas­ser de Jean Fer­rat, Les Bêtises de Sabine Patu­rel, Mary­vonne d’Anne Syl­vestre, Un homme heu­reux de William Shel­ler… Jacques Brel, Julien Clerc… et Bar­ba­ra bien sûr ! Inévi­table Bar­ba­ra dès que l’on évoque l’amour chan­té par une femme. Mais on accor­de­ra un prix par­ti­cu­lier au choix de Vani­na de Véro­nique Pes­tel.

Entend-on encore aujourd’hui des échanges comme ceux-ci, à la nais­sance d’une fille ?

C’est un gar­çon ?… Euh, pas tout à fait… – Silence – « Bon, on f’ra avec… » pro­non­cé par le papa. Ou bien ces mots signés de notre grand-père qu’une légende fami­liale accorde à notre propre nais­sance : « Encore une pisseuse ! »