A vrai dire, je ne sais pas exactement ce que j’ai vu, entendu jeudi soir au Bijou… Il se pourrait bien que cet article soit sans queue ni tête, comme le spectacle dont il voudrait rendre compte. En scène, Jur Domingo au chant (mais pas seulement !) et trois musiciens m’ont embarquée dans un univers proprement délirant : un batteur, un guitariste, harmoniciste qui soudainement resté seul en scène (ses comparses sont assis dans la rangée centrale) se mettra à claquer des dents en roulant des yeux comme des billes pour finir dans un numéro de claquettes dentaires… si, si ! Enfin un étonnant pianiste qui se fera guitariste et accordéoniste mais si déroutant et hilarant dans son duo d’acrobates ou de jonglerie (un bois de cerf !) avec Jur.
Ces artistes-là viennent du cirque c’est une évidence confirmée par leur biographie. Artistes de la Cridacompany, compagnie franco-catalane créée à Toulouse en 2006.
Mais Jur chante – en français et en catalan. Sa voix s’envole dans les sphères de l’opéra, flirte avec le jazz, crie, murmure et son corps accompagne bizarrement les notes du piano ou le rythme de la batterie. On ne voit que ses longs bras, que son buste et ses jambes maigres soulignés par une robe toute droite, sans grâce, retombant sur ses bottines lacées. Philippe Pagès écrit avec justesse dans son programme qu’« elle fait penser à Olive, la compagne de Popeye qui danserait chez les shadocks : il faut chercher la tendresse dans les angles droits. »
Et pour autant cette fille est belle, son visage évoque celui de Lou Doillon. Elle est franchement belle pendue au micro comme à une bouée de sauvetage. Elle est surtout capable de toutes les audaces dans sa gestuelle. Je vais être franche, sans doute en raison de son accent, je n’ai pas bien compris les paroles des chansons en français. Je n’en suis que plus déroutée car l’émotion était palpable dans le public et moi qui suis si attachée au sens des mots, je la partageais. Je captais ici ou là quelques phrases, elles faisaient mouche, comme dans ce refrain sur un slow langoureux : « je ne veux plus sauter dans ton fleuve contaminé… » Émotion que, quelques minutes plus tard, elle rompt avec cet aveu tout net qui clôt sa chanson : « Ça ne veut rien dire » et qui revient comme une vague un peu plus tard avec « Il était fou… il avait faim, de vous, de nous… »
Jur achève le concert enfouie sous les instruments après avoir annoncé « une dernière chanson… il y a un petit souci, elle n’a pas de fin mais on va la faire quand même. »
Alors, vous l’aurez compris, c’est insolite, onirique, étrange, surréaliste, dérangeant, c’est selon… mais quelle découverte qui n’aurait pas déplu à Jacques Prévert ! Cette fille chante à tue tête et cloche pied !