Le lieu Chanson toulousain – celui qui grimpe, qui grimpe… – ne pouvait bien longtemps ignorer ce petit gars venu du Jura, mais plus sûrement tombé, sans crier gare, d’une autre galaxie. Bien entendu, on lui trouve aisément des grands frères ou des copains en la matière, un Jérôme Pinel, celui de Strange Enquête, un Lantoine, un Couté pour le patois, savoureuse langue de chez nous, d’où que nous soyons dans notre hexagone, et de bien plus loin puisqu’il nous fait faire aussi un détour par Montréal (il arbore un tee-shirt estampillé Québec) !
Un Nougaro tiens ! Mais oui, mais c’est bien sûr… Cette façon de tricoter les rimes, les assonances, de jongler avec les mots pour s’en faire des colliers, cet art de la scansion, de la rythmique, cet art de la parole qui pourrait lui avoir fait écrire : « Je tricote à la laine des vers des chandails /Pour vous, mes nigauds (l’Ivre d’images) ». Oui, pour nous, spectateurs ! Car ce Louis-Noël Bobey n’est pas vraiment « en scène », il ne sait pas vraiment faire avec micro, branchement, éclairages… Tout ça c’est pour vous faire oublier l’essentiel : la rencontre, le partage, yeux dans les yeux. Alors il descend de scène, vient au bord, tout près, dès qu’il s’agit de slamer ses textes, en rafale de mots, d’émotions. D’ailleurs on aimerait lui suggérer de nous vendre à la sortie un petit carnet avec ses textes, même si l’on sait bien que c’est offense à l’histoire du slam qui n’édite pas, qui se veut seulement dans l’oralité. N’empêche, on aimerait relire ce qui nous a fait frissonner.
Bobey est en prise direct avec chacun de nous, il nous flaire, nous respire, attentif à tout, à tous dans la salle. Il exprime à la seconde ce que nous lui renvoyons : parole, geste, sourire. Et c’est avec cette proximité dont il nous amuse, avec l’envol de ses remarques spontanées, qu’il nous emmène d’abord dans son Jura originel. Ce pays où l’on roule les « R » faute d’avoir « de quoi rouler des mécaniques », dans la « plastic vallée » autour d’Oyonnax l’industrieuse, près de sa grand-mère. Il nous débarque ensuite à Paris, sur les bords du Canal Saint-Martin, à la terrasse du café Prune où il mastique un p’tit poème, puis avec son « accent mal dégrossi », dealer de rimes, à Marseille. Son quartier, les Micocouliers, c’était « un peu le far-West, un peu chaud » ; il en garde un amour pour cette ville « j’ai passé des années à t’aimer », une chanson nourrie d’images, de couleurs et d’odeurs, dans le bus qui descend de son quartier, une chanson aussi où résonnent les mots d’un jeune tué dans un règlement de compte : solitude, exclusion, révolte « suis-je pire que la députée de mon quartier ? ».
Bobey est de ceux qui chantent pour les exclus, les sans-grade, Zina l’ouvrière d’usine usée à la tâche, prostituée, gitan, indien…
En quittant « Chez ta mère » le quartier « chaud » Arnaud Bernard – mais n’ayez crainte Saint-Sernin veille pas loin ! – où se côtoyaient CRS en mal d’arrestations et une jeunesse bruyante aux terrasses, on se disait que Louis-Noël Bobey avait eu bien raison de venir dans la ville rose… C’était avant de retrouver un atelier d’écriture et une soirée dans la haute vallée de l’Aude, à mille lieues de cette agitation de fin de semaine, toujours en quête d’authenticité.