Paul Meslet, L’ombre Bleue (© Emmanuel Meslet – Olivier Coiffard)

Paul Mes­let, L’ombre Bleue (© Emma­nuel Mes­let – Oli­vier Coiffard)

26 décembre 2016 – album L’Ombre Bleue

avec Paul Mes­let (paroles, sauf Jean-Pierre Rou­thiau pour 6 & 13, musiques, gui­tare), Tony Baker (pia­no), Fran­cis Jau­vain (accor­déon, accor­di­na), Denis Tar­si­guel (gui­tare, bat­te­rie), Oli­vier Moret (contre­basse) et l’amicale col­la­bo­ra­tion de Michel Bou­tet.

« Tout le monde sait que l’automne

C’est la sai­son de la braconne

Que ce qui n’est pas cueilli là

L’hiver l’emportera » (Les Prés car­rés)

L’homme qui écrit ces octo­syl­labes, qui les chante au rythme sau­tillant et malin du pia­no, secon­dé par la contre­basse, par un accor­déon qui don­ne­rait envie de se mettre à dan­ser, délivre là un joli credo.

Allons‑y gaie­ment ! Com­pa­gnons d’une vie bien mûre, goû­tons la vie avant qu’il ne soit trop tard ! Hymne aux pro­vendes de la vie, à la liber­té épi­cu­rienne qui fait fi des entraves de toutes sortes, « Les prés car­rés les fer­me­tures / Les bou­lons les liens les clô­tures »… Optons enfin pour le Dérai­son­nable qui « Nous allume nous enflamme /​La tête le cœur et l’âme /​Quand il pleut » auquel invite la der­nière chan­son de l’album.

Si vous avez déjà croi­sé l’homme en ques­tion, Paul Mes­let, vous savez que la neige qui lui est tom­bée sur la tête, ajoute à la séduc­tion de ses yeux d’un bleu pro­fond et de son sou­rire cha­leu­reux. On com­prend mieux que le bleu sou­vent s’invite dans sa poé­sie qui « repeint le ciel en bleu ». Obstinément.

Sa plume s’est trem­pée lon­gue­ment, gou­lu­ment à d’autres plumes. Sa voix s’est frot­tée à d’autres voix qui se sont tues. On pense bien enten­du à un cer­tain Jean d’Antraigues bien sûr, qu’il honore si sou­vent, mais aus­si à la cohorte d’autres auteurs qui ont semé leurs mots en guir­landes. Ils ont illu­mi­né sa mémoire, comme la nôtre, et jaillissent, se glissent, font irrup­tion au bout des doigts – sans même que l’on s’en rende compte. Ce sont poèmes de l’Ombre bleue, celle qui jamais ne nous laisse « dans les déserts les cata­combes /​Dans les cou­loirs et les tun­nels », qui nous escorte dans notre quête sans fin de « mer, de sel, d’air et de ciel ». J’en veux pour preuve ces pre­miers mots de cette chan­son épo­nyme : « Heu­reux celui qui croit com­prendre »… Com­ment ne pas entendre en écho « Heu­reux celui qui comme Ulysse… » d’un cer­tain Joa­chim Du Bel­lay, ange­vin, tout comme notre chan­teur ? Com­ment de pas entendre Ver­laine dans la déli­cate bal­lade, Je peins des ciels, signée Jean –Pierre Rou­thiau : « Il pleut des cordes /​Et des vio­lons /​En faux san­glots /​Si lents si longs… » Com­ment ne pas réveiller en nous le sou­ve­nir de Fran­çois Vil­lon en enten­dant les pre­miers mots de Frères humains qui, dans une sem­blable fer­veur en appelle à chan­ter la « beau­té du désordre, la vie, la paix » ? Et ces mots « Ce serait si peu que j’en tremble /​Que de par­ler un peu d’amour »… Ara­gon ? Fer­rat ? Les deux sans doute.

Mais les chan­sons de Paul Mes­let se nour­rissent aus­si d’un espace bien tan­gible celui –là, d’une matière vivante, faite d’eau, de sel et de glaise. Cette terre de France où il vit, entre Nantes et Anger, dont la dou­ceur s’est faite légende. Ces bords de Loire aimés des rois, ces marais salants, ne sont pas pour rien dans cette écri­ture, cette pein­ture. Qu’il chante l’amour d’une femme mi muse – mi sirène, fuyante comme l’eau, qui laisse « Un drôle de goût sur la langue » (Elle est de sel). Qu’il file la méta­phore du funam­bule (Mar­cher sur un fil) pour évo­quer l’équilibre fra­gile de nos vies, notre aspi­ra­tion à l’envol, « Sans avoir les ailes /​Des grands oiseaux blancs ». Qu’il choi­sisse plu­tôt l’image typi­que­ment ange­vine des « boules de fort » (Mamans girondes) « Et ça titube et ça nous saoule /​On s’arrêt’ra quand on s’ra mort… ». Qu’il signe enfin une chan­son d’une bou­le­ver­sante beau­té, adres­sée à sa grand-mère, Aure­li­na, en lutte contre la mala­die, la mort. Il y convoque tout ce que la nature peut offrir au jar­din de plus doux et de plus simple. Au moment de se faire la belle, « As-tu enten­du la grive /​La fau­vette le cou­cou… ? » Pia­no et contre­basse à l’archet sou­lignent cet appel vibrant à la vie. Car s’il n’ignore ni la mort, ni le feu, ni la cendre, Paul Mes­let choi­sit de don­ner ren­dez-vous à l’été, à la pluie qui va tout laver… Comme dans la fin de ce texte de Jean-Pierre Rou­thiau – étrange coïn­ci­dence avec les der­niers jours d’Alep la rebelle – « Un jour qui s’enfonçait dans l’ombre /​Dans la froi­deur et les décombres /​J’ai vu mon cœur de palis­sandre /​Se fendre ». Voix et contre­basse seulement.

Fina­le­ment dans cet album dense et pro­fond, on éli­ra l’émotion que fit naître la voix. Non pas la voix qui chante, mais celle qui dit, accom­pa­gnée de notes déli­ca­te­ment impres­sion­nistes. La poé­sie s’y est faite majeure. Alexan­drins en rimes croi­sées… « Nous avons dans les mains les mêmes gouges fines /​Les mêmes bis­tou­ris et les mêmes mar­teaux »… Qu’allons- nous faire de nos vies ? La voix aus­si de celui qui signe et chante jusqu’à la véhé­mence, le cri pous­sé pour la mère par son minot, long­temps après ce « 14 octobre 1916, il pleut des obus sur Ver­dun »… Mais c’est d’une nais­sance qu’il s‘agit, celle d’ « une mésange bles­sée ». Car il est des com­bats « sans bruit sans mitraille » qui exige que l’on reste debout, même avec une Gueule cas­sée.

Beau­té et force inouïes de cette décla­ra­tion d’amour.

Après elle, le prix du silence.