Chouf - 2017 (©Fabien Espinasse)

Chouf 2017 (© Fabien Espinasse)

8 & 10 novembre 2017 – Simon CHOUF : Sor­tie natio­nale de l’al­bum Vola­tils

Apé­ro-concert en solo, invi­té Simon Barbe (accor­déon) – Chouf en quar­tet avec un trio à cordes

Avec

Chouf (gui­tare, voix), Tho­mas Kretz­sch­mar (vio­lon), Oli­vier Samouillan (alto, man­do­line), Eugé­nie Ursch (arran­ge­ments, vio­lon­celle, voix)


Théâtre du Grand – Le Bijou (Tou­louse)

J’al­lais presque naître. Orwell nous pro­met­tait de drôles de len­de­mains et des réveils dou­lou­reux. Mal­heu­reu­se­ment ses élu­cu­bra­tions sur les dérives de l’hu­main n’é­taient pas que de simples pen­sées, mais conti­nuent sans cesse de se réaliser…
1984 c’est donc encore aujourd’­hui. Les hommes ont fabri­qué des socié­tés déma­té­ria­li­sées, de plus en plus déshu­ma­ni­sées. Nos diri­geants et les puis­sants nous agitent sous le nez leurs poli­tiques et appé­tences contraires à notre bon sens. Tout est fait pour nous oppo­ser, nous faire nous trom­per d’ennemi(s).
Nous évo­luons dans le monde de l’é­cran roi, qui nous ferait presque oublier qu’on est vivants et qu’il faut lut­ter contre cette iné­luc­table ère du tout jetable (jus­qu’aux êtres).
1984, c’est donc encore demain.
Et comme on a cou­tume de dire que « c’é­tait mieux avant », gageons de ne pas retom­ber dans les tra­vers d’une His­toire qui a déjà eu rai­son de nous et qui trop vite peut nous dépasser.
Res­tons vivants cama­rades comp­tant pas pour rien… Simon Chouf – CHOUF

1984, c’é­tait hier.

Simon Chouf, plus sim­ple­ment nom­mé Chouf c’est l’artiste tou­lou­sain que l’on croise tout le temps. Il est là, atten­tif à ce qui se passe dans cet uni­vers de la musique, de la Chan­son, par ami­tié, par pas­sion pour cette musique et ces mots qui l’habitent. On le voit par exemple à la Cave Poé­sie invi­ter tous les deux mois le public au coin de la che­mi­née, entou­ré de quelques fidèles, « pro­po­ser un bœuf entre potes pour décou­vrir ou redé­cou­vrir les chan­sons dans leur plus simple appa­reil. … » Cette semaine il s’est lan­cé dans un mara­thon de la Chan­son, allant de lieu en lieu, pour fêter dix ans de scène et la sor­tie natio­nale de son album Vola­tils. Nous l’avions salué, comme il se doit, en termes élo­gieux en février 2016. C’était au Metro­num, salle nou­velle pour les Musiques Actuelles, avec son quin­tet gui­tares, cuivres, trom­bone, trom­pette et bat­te­rie… Avec sa gui­tare rouge, une pos­ture de rocker. Une alliance de mots et de sons élec­triques pour dire la vio­lence du monde, le besoin de s’en arra­cher, l’appel à l’imaginaire, à l’espérance. Res­ter vivants, debout car dans ce « si petit bout de vie, faut que l’on s’y jette » !

Une semaine donc pour visi­ter les lieux qui l’ont accueilli au cours des dix der­nières années. Comme un grand coup de cha­peau à ceux qui lui ont offert sa chance : la salle du Séné­chal de la Pause Musi­cale, les apé­ros concerts du Théâtre du Grand Rond, La Cave Poé­sie, le Taquin (ex Man­da­la), demain Le Breu­ghel, aujourd’hui Le Bijou. Simon a vou­lu que ses chan­sons s’y pro­mènent sous des habillages sonores dif­fé­rents, mul­ti­pliant ain­si leurs effets, comme l’é­voque le por­trait pho­to­gra­phique de Fabien Espinasse.

Nous l’avons donc d’abord retrou­vé en solo gui­tare au Théâtre du Grand Rond, très vite rejoint par Simon Barbe à l’accordéon. Nous avions déjà beau­coup aimé ce duo là. L’intimité, la convi­via­li­té du Grand Rond, de cet espace bar, l’accompagnement de l’accordéon, ses volutes, ses tour­billons offrent à Chouf un cadre pro­pice à l’expression de sa franche bon­hom­mie, de sa sim­pli­ci­té. Une fami­lia­ri­té avec le public où il campe le per­son­nage du jeune homme qui mord à belles dents dans la vie et qui nous invite à rejoindre « les sal­tim­banques de la nuit ». Un appé­tit de vivre qui s’offre en contre­point au conte­nu de ses textes sou­vent sombres, déri­vant dans des cau­che­mars, des his­toires de sor­cières, où même « la vie d’artiste c’est pas triste » ! Ce soir là il s’attarde à des petites anec­dotes, il perd sou­dain les mots de sa chan­son parce que, dans la salle, il croît recon­naître sa den­tiste ! On rit de bon cœur avec lui ! On s’émeut aus­si quand il nous offre un moment de grâce en invi­tant Mary­line, membre du per­son­nel du Grand Rond à chan­ter avec lui et signer en Langue des Signes sa déli­cieuse chan­son Le petit bateau de bois. Quand il nous découvre une nou­velle chan­son, un texte qui trans­cende l’horreur de l’une de ces tra­gé­dies insup­por­tables en médi­ter­ra­née, signé de son ami Florent Gou­rault, on se dit que Chouf n’a pas fini de nous émouvoir.

Et voi­là que ce soir au Bijou, enchaî­nant avec un apé­ro concert du Grand Rond, il s’apprête à nous don­ner une créa­tion, une pre­mière avec trois musi­ciens à cordes. La salle affiche com­plet, refuse du monde pour ce qui s’avère un évè­ne­ment. Simon Chouf a même offert une pre­mière par­tie à Raf, tout nou­vel artiste de la scène tou­lou­saine. Encore un chan­teur qui nous semble devoir beau­coup à Renaud. Une chan­son ouverte sur la vie de tous les jours, ses petits riens, ses com­bats et qui se dit avec des mots tout simples. Reste à prendre confiance et à tra­vailler encore pour trou­ver son propre uni­vers, son territoire.

On connaît Eugé­nie Ursch, son talent de vio­lon­cel­liste et de chan­teuse, ses recherches vocales, pui­sant à toutes les esthé­tiques, à toutes les langues, ses recherches ins­tru­men­tales. On connaît son avi­di­té à se mettre au ser­vice d’autres uni­vers qu’elle sublime inévi­ta­ble­ment. C’est encore le cas ce soir. Ce pro­jet vient de naître, fra­gile encore, mais il trans­porte les chan­sons de Chouf dans de nou­velles cou­leurs, loin du son des cuivres. Nous avons cru réen­tendre les textes tant ces arran­ge­ments offraient de l’espace aux mots qui se déta­chaient sin­gu­liè­re­ment. On pou­vait en goû­ter toute la saveur. Tout a com­men­cé par une ouver­ture, au sens où on l’entend dans l’opéra et nous aurons à plu­sieurs reprises la joie de pauses ins­tru­men­tales magni­fiant les ins­tru­ments à cordes. Eugé­nie pose­ra sa voix sur Des aveugles, texte de Chris­tian Oli­vier, rajou­tant ain­si à la puis­sance du mor­ceau : « Hé joli miroir /​Non mais dis-le moi /​Ne me cache pas /​Ce que tu vois là…» Bien enten­du le texte de Nuit de silences, les mots de cette grand-mère dont les « pen­sées se noient dans le temps sus­pen­du »  pren­dra là toute sa dimen­sion tra­gique et la man­do­line sera judi­cieu­se­ment posée sur les images du Cime­tière des oiseaux, sur les « voiles déchi­rées », sur « les sque­lettes déplu­mésles rêves tom­bés du ciel /​Sur le miroir de l’eau… Le trio à cordes jubile lit­té­ra­le­ment à accom­pa­gner Simon Chouf, la joie se devine et se par­tage. Le public, lui, s’enthousiasme – à juste raison.

Demain Simon Chouf retrou­ve­ra les cuivres, la basse, la bat­te­rie, le son très rock de sa gui­tare rouge… Avec la même soif de par­tage, la même sim­pli­ci­té vraie qui ravit les spec­ta­teurs. La même joie de chanter.