B. comme Fontaine, un quartet vertigineux (© Hervé Suhubiette)

Valen­tin Van­der Mon étran­gère – 2020 (©Frank Loriou)

14 février 2020, sor­tie du nou­vel album de Valen­tin­Van­der

Mon étran­gère

Avec

Valen­tin Van­der (textes, musiques, gui­tares, sauf Pous­sez-vous j’ar­rive, musique de Clé­mence Mon­nier et Ver­laine,  poème de Paul Ver­laine) Nico­las Gue­guen (pia­no, cla­viers réa­li­sa­tion et arran­ge­ments, avec l’aide de Clé­ment Petit) Antho­nin Ley­ma­rie (bat­te­rie) Syl­vain Daniel (basse) Brice Per­da (cuivres) Clé­ment Petit (vio­lon­celle). Léo­pol­dine HH et Clé­mence Mon­nier (chant) et Juliette Epin (Chœurs)


Il en va de l’écriture comme d’une ren­contre… Cer­tains vous donnent le goût de pro­lon­ger, de res­ter un moment à leurs côtés.

Valen­tin Van­der est de ceux-là. Il ne nous est pas incon­nu. Nous l’avons décou­vert dans l’inénarrable et jubi­la­toire numé­ro des Goguettes en trio… mais à quatre puis revu dans un tout autre registre aux côtés de Lise Mar­tin pour por­ter haut les chan­sons de Vla­di­mir Vis­sots­ky, « une bulle de lyrisme, de souffle de vie qui se bat, se débat, dans cette vie si peu amène » avions nous écrit.

C’est assez pour don­ner envie de s’y arrê­ter lorsqu’il publie un album de ses propres chan­sons. Le visuel étonne, inter­pelle. Valen­tin Van­der y figure sur fond rose, assis en tailleur, che­veux et barbes bruns sans apprêt, regard franc tour­né vers l’objectif, vêtu d’une robe fleu­rie d’un autre temps. On pense aux ques­tions de genre qui agitent l’air du temps, on pense à nos jeunes années qui déjà chan­taient Comme un gar­çon (Syl­vie Var­tan), Fille ou gar­çon (Stone et Char­den), Nous ne sommes pas des anges (France Gall). Le clip de la chan­son L’écho du bon­heur offre en images une forme de dénoue­ment à ce tra­ves­tis­se­ment. C’est un ren­dez-vous amou­reux, joyeux, presque enfan­tin et la chan­son donne à coup sûr la tona­li­té de l’album. « Les cris se taisent /​Les cris se terrent… » Enfin ! Aurions-nous envie d’ajouter.

Voi­là qu’un album nous arrive en ce début 2020 et dis­tille le goût d’être heu­reux. Est-il pos­sible d’y résis­ter ? Dès la pre­mière chan­son, Sur la pointe du cœur – Mireille aurait pu la chan­ter- vous vous sen­tez pris par la dou­ceur, la légè­re­té de l’accompagnement. Une cla­ri­nette s’invite, quelques notes de pia­no et l’on se prend très vite à fre­don­ner « J’irai tout doux tout doux / Sur la pointe de nous ». Du bout des lèvres, comme Bar­ba­ra le chan­tait « Oh dites le moi dou­ce­ment /​Mur­mu­rez le moi sim­ple­ment »… Une savou­reuse fusion ins­tru­men­tale qui nous semble fami­lière, des échos sou­vent aux années 80, accom­pagnent des textes qui, sans aucun doute, ont quelque chose de Ver­laine, de sa « chan­son grise où l’Indécis au Pré­cis se joint ». Comme dans L’hirondelle en duo avec la déli­cieuse voix de Léo­pol­dine HH incar­nant si joli­ment l’oiseau qui se fait la belle pour « pas­ser les temps chauds à d’autres peaux »… On goûte le rap­pel à la liber­té dans cette image déli­cate « J’ai retrou­vé / En croyant l’emprisonner /​Une feuille tom­bée /​Sur l’oreiller ». Rien d’étonnant à ce que le poète s’invite dans une petite valse lente, sim­ple­ment titrée Ver­laine… « Il pleure dans mon cœur /​Comme il pleut sur la ville »…

Mais ne vous mépre­nez pas, ce n’est pas igno­rance du monde ni de ses tra­vers, ni de la dou­leur d’aimer. L’amour, on en garde le meilleur, même dans la per­cep­tion de nos dif­fé­rences. Jusque dans la sépa­ra­tion, jusque dans l’amour défait qui donne son titre à l’album : Mon étran­gère. Il va sans dire qu’il est ce qui peut nous arri­ver de meilleur… On en rêve inlas­sa­ble­ment et le thème de la pas­sante, cher à Bau­de­laire comme à Bras­sens, trouve ici une déli­cate incar­na­tion dans deux chan­sons. L’une, La femme de ma vie a de fortes chances de faire flo­rès avec “ La femme de ma vie n’est peut-être pas faite pour moi « … et cette trom­pette qui joue avec “des je t’aime, je n’en ai pas tant que ça » ! L’amour est déraison.

Quand la mort est évo­quée, quand le désastre d’une fin du monde s’annonce, c’est pour mieux chan­ter l’urgence d’aimer : « La fin du monde est là /​Alors viens dans mes bras /​Faut fêter ça… Il se peut que je meure /​De bonne humeur.“ Quelle chan­son aus­si que cet hom­mage aux vieux qui s’aiment encore, que l’on envie même s’« ils s’agrippent à bras-le-corps /​Pour ne pas s’effondrer… Et l’on se sent si seul /​Quand on les regarde pas­ser. »

L’album s’achève dans un souffle épique où s’invitent tous les ins­tru­ments. Une fête, un grand cha­ri­va­ri. Une pul­sion de vie.

Pous­sez-vous, j’arrive : le cri de l’émigré.

« Pous­sez vous j’arrive

Mal­gré les bar­rières les mines agressives

Tout ce que votre ennui me fera faire ou dire

Il fau­dra que je vienne si je ne veux pas mourir

Il fau­dra que je vienne puis­qu’il faut que je vive »