Michèle Bernard – Voix Express, Espace Bonnefoy 2018 (© Claude Fèvre)
18 décembre 2018 – concert de Michèle Bernard en trio
Voix Express (1re partie)
Avec
Voix Express – direction Hervé Suhubiette, Lucas Lemauff, Eloïse Chadourne – accompagné par Hervé Suhubiette et Lucas Lemauff (piano), Arnaud Bonnet (violon), Damien Bec (alto), Juliane Tremoulet (violoncelle)
Michèle Bernard (accordéon, voix), Clélia Bressat (piano, voix) Pascal Berne (contrebasse et tuba)
« Mais d’où me vient cette envie d” chanter
Même quand j’ai l” nez qui traîne par terre ?
C’est comme un orage en plein été
Une fleur qui pousse entre les pierres »
Cadeau, cadeau de saison, cette soirée dans le Faubourg Bonnefoy de Toulouse, où régulièrement Hervé Suhubiette nous convie pour une fête. « C’est pour savoir si [nous] sommes vivants » sans doute qu’il répète ces rendez-vous, comme le dit la chanson en ouverture de la soirée.
Cadeau, ce chœur de Voix Express. Cadeau de toutes les couleurs, les tenues vestimentaires des choristes. Cadeau leur élan, leur allant, leur joie presque enfantine de chanter. Un trio de cordes, Hervé Suhubiette ou Lucas Lemauff au piano, offrent des arrangements magnifiant les textes et les musiques de Michèle Bernard. Hervé et Lucas chantent aussi, alternent leur rôle de chef de chœur avec Eloïse Chadourne qui offre ce soir sa belle voix de chanteuse de blues à La dame pipi, cette voix qui dessine des mondes meilleurs
Cadeau pour un public chanceux que l’âge oblige à la transmission. Toutes nos têtes auréolées de fils d’argent dont « les lendemains qui chantent /ont pris des coups /dans leurs vieux binious » entendent-elles cet appel ? Alors c’est fini, dit la chanson ? « On descend les calicots /On rentre chez soi illico ? » Peut-on vraiment ?
Cadeau que ces titres qui rendent hommage à la vie, à cette « enfance qui remue » en chacun de nous, ce « pays qui fait des siennes », à nos amours qui sont des fêtes foraines, « On s’y guimauve, on s’y châtaigne ». Et surtout, à la chanson car « Dans une tête de linotte, il y a toujours quelques notes… » Ce n’est pas un gadget, ce « trésor tout petit » dans la tête… Non, non, c’est bien davantage que ce que toutes nos « lucarnes » peuvent nous offrir quand la vie nous assène « Un coup d” blues, une vacherie du sort /… dans l” décor /D’un mauvais film où, sans doublure, /Faut quand même savoir faire bonne figure. »
Une seule chanson de Michèle Bernard qui s’installe ensuite dans la pénombre, seule avec son accordéon avant que ne la rejoignent ses musiciens, suffirait à nous en convaincre. Une seule chanson, comme un hymne à la liberté, à la fraternité : Maria Suzanna, sa vie manouche, indésirable, débarquée dans la salle de classe un jour d’hiver…
Cadeau ce concert d’avant Noël, « dans une période déprimée, déprimante ». Michèle Bernard veut chanter, coûte que coûte, repeindre nos murs de couleurs, chanter « pour la beauté du monde ». Beauté de la lecture, non sans fantaisie, humour, comme ce petit asticot qui n’eut pas le bonheur de finir L’Éducation Sentimentale. Beauté des Îles grecques, avec un clin d’œil tendre et amusé à Nana Mouscouri. Beauté de l’amitié, comme celle qui la lie à Madame Anne, toujours là, prête à mettre « au bout d’ son nom une fleur et un frisson »… Chanter pour un Je t’aime, pour que l’on n’oublie surtout pas de se serrer plus fort, tant qu’il en est encore temps.
Et pourtant, Michèle Bernard ne cesse d’ouvrir grands les yeux sur la réalité de la vie, sa dureté que symbolise le titre magnifique Quatre vingts beaux chevaux, sur la vieillesse, la solitude, sur notre humanité quand les hommes sont des loups sortis du bois, sur nos actes dérisoires (Je clique), notre honte et notre colère face à un monde « écroulé, hébété » (Savons d’Alep)…
Quel est le grand enjeu de nos vies ? S’attacher à l’intimité de son toit, revenir vite à sa terre originelle, bien à l’abri comme Joachim du Bellay, ou bien affronter l’ailleurs, les autres et partir, comme Blaise Cendrars ?
Le chœur Voix Express, Michèle Bernard et ses musiciens, ont tracé une voie incontournable, celle de la solidarité, avec cette chanson, en clôture de la soirée, offerte aux migrants, dont le sort – en dépit des murs et des frontières – est intimement lié au nôtre « Où irez-vous maintenant ? /Et nous, où allons-nous ? »
Sans jamais oublier de chanter, de slamer, de rapper les mots, comme ultime recours à nos mélancolies, à nos bleus à l’âme…
Cadeau !
« Nous, les baleines, on part dans la Lune
Dans la Lune, y a Pierrot, c’est étrange
Il s’est installé là depuis la nuit des temps
C’est un gars pas bavard, exilé volontaire
Il n’a jamais voulu faire carrière
Sur la Terre »