Marion Cousineau, Nuances, avril 2022 (©Stéphane Lemardelé)
04 mai 2022, premier album, 13 titres, de Marion Cousineau sorti au Verre Bouteille à Montréal le 13 avril 2022
Elle connaît la langue de l’eau
Avec,
Marion Cousineau (voix, basse, piano, chœurs, paroles & musiques avec la participation de Deny Lefrançois, JeHan, Mes souliers sont rouges, Patrick Bermudez et sauf titre 13, Le Lac Saint-Sébastien, chanson d’Anne Sylvestre) réalisation, arrangements, mixage, mastering d’Yves Desrosiers (guitares, basse, vibraphone, harmonium, piano, banjo, orgue, harpe) Geneviève Toupin (piano, chœurs) Marie – Soleil Bélanger (violons) Marianne Houle et Emily Kenedy (violoncelle) Benoît Morier (contrebasse & basse) Guillaume Bourque (clarinette & clarinette basse) François Lalonde (batterie & percussions)
Mais près de moi vit une humaine
Je la vois quand elle se promène
Et si parfois elle parle haut
Elle connaît la langue de l’eau
Anne Sylvestre, Le Lac Saint-Sébastien
Il n’y a pas à en douter Marion parle la langue de l’eau, tout comme la parlait Anne Sylvestre à laquelle elle emprunte le dernier titre de son album. Bien entendu on aimera évoquer cette scène du château de Barjac m’en chante où les deux furent réunies en 2019 pour interpréter ce titre. Un moment de beauté et d’émotion rares.
Pour se persuader de cette langue fluide, il suffit d’avoir vu une seule fois Marion Cousineau soumettre le public à sa loi, sans aucun effet pour cela, ni du corps, ni de la voix, avec seulement l’accompagnement de sa basse dont elle use, avions nous déjà écrit, comme d’une ponctuation, d’une respiration. Tout juste arrivée en scène, elle se balance d’une jambe sur l’autre comme une enfant timide, met sa main dans ses cheveux, les ébouriffe et vous dis « Même pas peur »… A cet instant précis, vous êtes fait comme un rat, vous ne lui échapperez plus. Alors imaginez un peu l’attente qu’elle a créée auprès de ses spectateurs avec cet album tout fraîchement paru !
Il se pare de toutes les nuances que lui ont offertes la réalisation et les arrangements d’Yves Desrosiers… Chaque chanson a son habillage sonore, parfois minimaliste au point de paraître inexistant quand Marion ne chante pas mais dit le texte, ce que nous aimons beaucoup, nous qui l’avons écoutée lire quotidiennement pendant le premier confinement… Et c’est un vrai bonheur maintenant de savourer les irruptions des cordes, de la clarinette, de la guitare électrique, de la clarinette basse… et même du banjo… Tout un orchestre au service des textes des chansons dont on ne perd pas une miette.
L’album arrive accompagné d’un livret comportant les treize dessins de Stéphane Lemardelé illustrant les titres de l’album Nuances, dessins d’encre bleu. On s’amuse aussitôt à les rapprocher d’autres dessins bleus, ceux de Sarane Mathis, illustrant les chansons du livre – album de Daguerre titré 107 218 km/h, paru chez LamOéditions…Le même bleu, celui du pastel des teinturiers, l’or bleu du pays de Cocagne, la même encre, comme des éclaboussures sur la page…
En tout cas c’est un bleu qui nous relie inévitablement à l’eau, à la langue de l’eau… D’ailleurs le premier dessin, celui de la première chanson, évoque Marion de dos, rêvant à la fenêtre, telle la jeune fille de Dali, face à la mer… C’est un appel à méditer sur son destin, sur son parcours, sur cette vie où il y a toujours « un cordage tressé de fleurs sans nom… et ça prend du courage de le saisir ou non »… « Combien de fois et à qui as-tu dit « Je t’aime ? ». Dans cette question tout est dit : elle nous ramène à l’amour, cet essentiel qui s’habille de bien des tonalités, des intensités, des degrés… Bien des nuances existentielles, mais qui se résume dans cette phrase qu’il faudrait crier à en mourir « Au lieu de posséder, qu’on chérisse, qu’on chérisse… » (La foi en l’homme).
Que l’on songe à l’admirable chanson La moitié du billet, à cet homme dans les allées du Père-Lachaise, tenant sa mère dans ses bras, à Moi qui n’ai pas d’ailes, à ce mal que nous font les copains « qui sont partis en trombe », à La La, cette peine immense, cette prière « te voilà qui refais surface /Viens laisse tes traces, je t’ai fait de la place… » Parce que décidément le regard, la tendresse, les cheveux, la voix, les mains, ça manque vraiment beaucoup trop. Du haut de notre fil d’équilibriste, garder dans les gestes, dans le regard « un mot bleu ou sa rime blanche », ces mots « Oublie « toujours », pense juste « amour », répéter ce refrain que Marion aime à nous faire reprendre en chœur « Vas‑y doucement /Desserre juste un peu les dents /Un pas à la fois, c’est ça /Regarde pas en bas ». Enfin savoir partir, ultime preuve d’amour, exactement comme le chantait Barbara, […] pour éviter que le bout que je t’ai laissé /Ne soit trop lourd à supporter/Juste un souffle à ton cou »… Préférer le doux, le tendre, le fugace, les « bonheurs échappés »…
Nul doute que l’art poétique de Marion Cousineau, chanteuse – marionnettiste, se trouve résumé dans sa chanson Monsieur Langlois, celui qu’elle fait vivre en scène, sur une chaise vide à ses côtés : « Par où ça fuit, par où ça soucie, on dépose une histoire /Soit jolie, soit tendre, juste pour surprendre un peu le désespoir… »
Suffit d’y croire ! Et vous vous entendrez alors peut-être fredonner ce vœu du lac Saint Sébastien au printemps revenu :
Et que près de moi cette humaine
Ait traversé l’hiver sans peine
Qu’elle vienne avec les oiseaux
Me parler la langue de l’eau