Alissa Wenz, Je, tu, elle 2022 (©Pierrick Bourgault)

Alis­sa Wenz, Je, tu, elle 2022 (©Pier­rick Bourgault)

9 sep­tembre 2022, Alis­sa Wenz, sor­tie de son 1er album stu­dio, 11 titres, Je, tu, elle, paru chez EPM musique 

Je vague et je vogue…

Avec

Paroles & musique : Alis­sa Wenz– Arran­ge­ments : Romain Didier (pia­no, cla­viers) – Cathe­rine Petit (vio­lons, alto), Agnès le Bat­teux (vio­lon­celle), Pas­cale Roger (cla­ri­nette), Jean-Pierre Nio­bé (bugle), Thi­baut Nio­bé (basse) Ken­tin Juillard (bat­te­rie, per­cus­sions) 


« Quand j’n’dors pas je vague et je vogue et j’espoir

J’ouvre les yeux matin, le soleil nénuphar

Je n’dors pas, c’est demain, peut-être qu’il fait beau

Et le rouge à tes joues me prend comme un cadeau » (Insom­nie)

Ces vers sont ceux qui referment cet album, Je, tu, elle, pour lequel, avant même qu’il ne soit sor­ti, on aligne les réfé­rences, les influences, et non des moindres… On énu­mère les noms pres­ti­gieux : Juliette, Jeanne Che­rhal, Anne Syl­vestre, Jeanne Moreau…

Et sur­tout, sur­tout Bar­ba­ra sou­li­gne­rons-nous… Regar­der ces néo­lo­gismes « Je vague… j’espoir… » Com­ment faire pour ne pas pen­ser qu’Alis­sa Wenz a mis ses pas dans les siens, qu’elle s’est tant immer­gée dans ses chan­sons qu’il en sort sous sa plume des pans entiers, du moins, des airs, des mots, une dic­tion qui auraient pu être les siens… C’est sans contes­ta­tion pos­sible une filia­tion, depuis ce titre Insom­nie, jusqu’à Viens, construite sur l’anaphore de « Bien sûr »… ali­gne­ment des « mau­vais sou­ve­nirs, cases tristes à en mou­rir… la vie comme elle ne va pas… » inter­rom­pus par le refrain, Viens, un élan lumi­neux, une invi­ta­tion à l’amour… C’est sans contes­ta­tion pos­sible sur­tout dans le titre Madame, le titre même, la lettre, la situa­tion (deux femmes aiment le même homme… chez Bar­ba­ra il s’agit d’une mère… « Je reçois à l’instant où je rentre chez moi votre mis­sive bleue, madame… ») Ici Alis­sa pré­fère s’en tenir à une forme de paix à tra­vers la soro­ri­té, « Ma grande sœur, mon étran­gère /​Et je ne vous veux pas de mal », évo­quer l’attente d’un enfant, Cet enfant que je porte en moi /​Cet enfant lui ressemblera/​Il aura sa voix, son visage ». Et voi­là que l’on pense alors à la chan­son bou­le­ver­sante de Bar­ba­ra que nous savons à jamais pri­vée de mater­ni­té : « Cet enfant là/​N’a rien de moi /​Mais te res­semble, res­semble… (Cet enfant là)

Ces­sons là les rap­pro­che­ments qui pour­raient lais­ser pen­ser qu’Alissa fait un usage ser­vile de son admi­ra­tion pour Bar­ba­ra. Détrom­pez-vous ! Elle écrit ses chan­sons comme les auteurs de la Renais­sance s’inspiraient de l’Antiquité. Elle a bien du talent et celui d’auteure ne peut lui être nié si l’on songe que son pre­mier roman, À trop aimer, paru chez Denoël en 2020, fut immé­dia­te­ment salué par la cri­tique. Marine Lan­drot écri­vait pour Télé­ra­ma « En des mots lim­pides comme ceux d’une belle chan­son atem­po­relle, la nais­sance d’une pas­sion se raconte… », une pas­sion alié­nante, mor­ti­fère. Elle a réité­ré cette année l’exploit avec un deuxième titre L’homme sans fil, explo­rant la part sombre de l’humanité à tra­vers « le por­trait sai­sis­sant d’un anti­hé­ros 2.0. » Alors, sommes –nous devant une émule d’Yves Simon qui mena de front une car­rière de roman­cier et de chan­teur ? Nous aimons le penser…

C’est avec un clip, celui du titre Météo bre­tonne que nous avions fait la connais­sance d’Alissa Wenz. Nous écri­vions alors « Alis­sa s’interroge sur cet état d’âme tein­tée d’une lan­gueur mono­tone, celle qui s’empara, il y a bien long­temps déjà, de toute une jeu­nesse, du « Sturm und Drang » alle­mand au Roman­tisme fran­çais. Ecou­tez « Ce n’est même pas du cha­grin… mal au monde, mal à l’homme… C’est qu’une météo bre­tonne sur ma vie… » Cette chan­son c’est aus­si une mélo­die douce où pia­no et vio­lon, petites per­cus­sions lui font cor­tège. On note­ra que l’habillage sonore de l’album est tout en déli­ca­tesse, en finesse et que sou­vent une cla­ri­nette ajoute sa note complice.

Dans cet album, l’enfance n’est jamais loin, que ce soit pour en faire une sorte de pro­fes­sion de foi, de cre­do artis­tique, dès l’ouverture de l’album … « Moi je veux jouer dan­ser flot­ter ma bala­der me balan­cer m’en balan­cer… » (Moi je me balance, chante Bar­ba­ra), ou bien en retra­çant tout un che­min de vie proche de l’essoufflement « Et ton enfance/ à pas de grands/​passe aus­si vite que tes jambes dans le vent… » (Tu cours), en des­si­nant le por­trait de celle qui fini­ra, un soir, par s’arracher à tout ce qui l’aliène, celle qui « a fait toutes les choses /​que font les filles bien éle­vées » mais qui fini­ra par dire « non », en des­si­nant aus­si le por­trait de La petite, qu’elle inter­pelle Ô ma petite ô ma très douce (Sou­ve­nons- nous, Bar­ba­ra dans Une petite can­tate « Oh mon amie, ô ma douce /​Oh ma si petite à moi »). Et c’est l’occasion de sou­li­gner un autre thème, essen­tiel à cette géné­ra­tion de femmes à laquelle appar­tient Alis­sa, la soro­ri­té, qui s’exprime plei­ne­ment dans le por­trait de « La femme à la rose dans les che­veux », femme en détresse, femme à la rue : « Toi ma bles­sée ma rou­quine /​Ma fille de rien ma fran­gine… Quelle petite fille étais-tu /​Qui t’aimait t’en sou­viens-tu /​Quelles ber­ceuses savaient t’apaiser… »

Enfin nous ter­mi­ne­rons en évo­quant la scène où nous avons vu Alis­sa Wenz inter­pré­ter les chan­sons de cet album. Nous étions le der­nier jour du fes­ti­val de Bar­jac m’en Chante. Ce concert mil­li­mé­tré, magis­tra­le­ment accom­pa­gné par Natha­lie For­tin au pia­no, a mis en exergue un incon­tes­table tra­vail d’interprétation que ce soit pour chan­ter l’éloignement, l’absence dans Le brin de paille, ten­dant une pas­se­relle entre les géné­ra­tions avec l’évocation de ce marin des années 30 qui, parce qu’il ne sait ni lire ni écrire, se conten­tait de mettre un brin de paille dans une enve­loppe, ou en s’amusant de notre monde connec­té où nous nous lais­sons stu­pi­de­ment gui­der, en toutes cir­cons­tances, par des voix enre­gis­trées. Cette chan­son est l’occasion, une fois encore, de reven­di­quer le droit d’être « impar­faite et mal­adroite » en atten­dant le jour où « tous les chan­ceux qui doutent et qui ratent /​Célè­bre­ront la valse des humains »

Alis­sa Wenz fête­ra la sor­tie de cet album au Trois Bau­dets le 23 sep­tembre 2022.