Angèle Osinski–A l’évidence – 2019  (©Muriel Thibault / MT Images)

Angèle Osins­ki – A l’évidence, 2019 (© Muriel Thi­bault /​MT Images)

26 avril 2019 – A l’évidence, sor­tie de l’al­bum d’Angèle Osins­ki sur Fra­ca !!

Pre­mière signa­ture du label du trio Katel, Robi, Emi­lie Marsh

Avec
Angèle Osins­ki (textes et musiques, chant, cla­viers), Katel (arran­ge­ments, réa­li­sa­tion, pro­gram­ma­tions, cla­viers) et Skye (bat­te­rie sur Bleu pis­cine)


« Elles [Angèle Osins­ki, katel, Robi, Emi­lie Marsh] arpentent les allées du fes­ti­val, à la recherche du moindre mètre car­ré à recou­vrir de leurs affiches. Ces quatre chan­teuses sont venues au Prin­temps de Bourges pour faire connaître leur label, Fra­ca !!!. Une aven­ture 100 % fémi­nine, por­tée par Katel, Robi et Emi­lie Marsh… Ces fortes têtes illus­trent l’indépendance accrue des jeunes chan­teuses et musi­ciennes de la scène fran­çaise. Et ce, alors qu’une enquête de notre consœur Valé­rie Lehoux, de l’hebdomadaire Télé­ra­ma, a mis un jour les pra­tiques into­lé­rables de cer­tains pro­duc­teurs de disques et de concerts à l’égard de la gent fémi­nine ». Le Figaro

Des fortes têtes au Prin­temps de Bourges ! 

Bien sûr, c’est une date, un sym­bole fort cette sor­tie de l’album d’Angèle Osins­ki, pre­mière signa­ture du label Fra­ca !!! « Fra­ter­ni­té Can­ni­bale », avec trois points d’exclamation s’il vous plaît. Ce label de « fortes têtes » n’a pas tar­dé à pas­ser aux actes, aux actes forts. Notons au pas­sage que « fra­ca » en por­tu­gais signi­fie « faible »… Un sacré pied de nez aux siècles de miso­gy­nie du monde artis­tique ! FRACA !!!, nous dit leur page Face­Book, est une réunion de com­pé­tences mais aus­si d’ou­tils de pro­duc­tion, avec le Stu­dio d’en­re­gis­tre­ment de Katel, Mut­ter­ville, situé sur le Canal St Mar­tin. Il est mis à la dis­po­si­tion des artistes pour la pré­pro­duc­tion, l’en­re­gis­tre­ment et les répétitions. 

Un album, c’est une carte pos­tale envoyée à ceux qui regardent de près vivre la Chan­son. C’est aus­si un temps d’arrêt, une pause dans le par­cours d’un‑e artiste. Une façon de mettre en exergue des choix. Ici, c’est une ren­contre humaine et artis­tique qui en a déci­dé. Celle d’Angèle Osins­ki et de Katel. Cet album c’est le leur. Leurs arran­ge­ments de cla­viers et de boîte à rythmes, hip-hop ou élec­tro, des­sinent un uni­vers qui mérite que l’on s’y attarde, en retrait, si pos­sible, du vacarme exté­rieur, pour mieux y pénétrer.

Les chan­sons, dans un habillage sonore très contem­po­rain, sont avant tout des pay­sages inté­rieurs intem­po­rels où se mêlent les doutes, les inter­ro­ga­tions – écou­tons pour s’en per­sua­der Après la pluie – les aspi­ra­tions d’une âme en quête d’avenir. Le visuel nous pro­pose l’image d’une jeune femme, jolie brune au regard franc plan­té dans les nôtres. Vêtue de rouge et de bleu, deux cou­leurs entre les­quelles elle oscille peut-être. Son corps se meut dou­ce­ment, sen­suel­le­ment, entre les pages du livret. Le clip de la chan­son titre A l’évidence, nous la montre dan­sant, comme pour exor­ci­ser toutes les ten­sions, tous les doutes, toutes les peurs, dans une lumière fil­trant à tra­vers les per­siennes. Une atmo­sphère que nous ima­gi­ne­rions volon­tiers pro­pice à l’apparition d’une héroïne de Mar­gue­rite Duras. Même si c’est la série Twin Peaks de David Lynch et le per­son­nage énig­ma­tique d’Audrey qui lui ont ser­vi de modèle. C’est ain­si que se croisent et s’échangent les réfé­rences quand une créa­tion offre assez de richesse d’interprétation. A cha­cun, cha­cune sa lecture… 

Sans véri­ta­ble­ment nous par­ler du monde autour, on sent qu’il est là et impose ses ter­ribles contraintes, comme nous le sug­gè­re­rait l’imaginaire d’un Boris Vian, « Dehors la ville se penche… Je crois que les bords sont tom­bés » (Inter­rom­pez-moi). C’est sans doute la chan­son Amour & déca­dence, énon­cée avec ce « on », ce pro­nom propre à nous inter­pe­ler, qui évoque le mieux ce monde qui nous ébranle, nous étouffe par­fois et dont on cherche à s’évader, « On va sor­tir de nous … Sor­tir du lot /​Faire voler les paillettes »… Ten­ta­tive vaine d’évasion – le clip est élo­quent avec cette femme en proie à tous nos déri­soires sub­ter­fuges d’aujourd’hui ! – dans la nuit, l’alcool, les bars – notons que ces mots reviennent sou­vent, tout comme la sen­sa­tion de noyade au final.

L’eau est en effet l’un des thèmes obses­sion­nels de cet album. L’eau des larmes, celle de la pluie, celle de la mer… Celle de la pis­cine, méta­phore où l’on per­çoit iné­luc­ta­ble­ment, en fili­grane, la célèbre chan­son Pull Marine, inter­pré­tée par Isa­belle Adja­ni. C’est en effet à cette lignée d’interprètes de Serge Gains­bourg, à com­men­cer par Jane Bir­kin, que se rat­tache Angèle Osins­ki. Par la voix, l’interprétation déli­cate, fra­gile, osons l’adjectif : élé­giaque. Comme un clin d’œil à l’album de Katel en 2016, Elé­gie, mais aus­si au der­nier album de Fran­çoise Har­dy, Per­sonne d’Autre, celui de Vanes­sa Para­dis, Les sources, ou de Céline Olli­vier, Grands Espaces. Chan­sons de l’intime, du pro­fond, du confi­den­tiel et de l’essentiel. Chan­sons de femme, chan­sons d’une femme à sa mère, à sa fille, comme l’indique la dédi­cace en tête du livret. Des chan­sons pour dire « l’indicible … Avec les moyens du bord… /​Les mots connus /​La main sur le cœur, » selon la cita­tion d’Hélène Bes­sette. Toute une lignée de femmes en somme. 

Face à l’adversité, qu’elle soit inté­rieure ou exté­rieure, face à l’incapacité à ten­ter l’aventure, sur­tout celle de l’amour (Ne pas vous ren­con­trer), entre trop tôt ou trop tard, face à la dif­fi­cul­té de s’arracher au pas­sé, ce pays qui enchaîne – « Il me traîne, je le suis » (D’ici) – on peut choi­sir momen­ta­né­ment, le temps de reprendre souffle, de dépo­ser ses sacs. « C’est trop lourd à mon­ter /​ça ferait trop de bruit ». On s’arrête alors dans un lieu de repli, de retraite. Comme dans cette chambre 17, chan­son qui clôt l’album, en un superbe point d’orgue. Elle sug­gère une scène très ciné­ma­to­gra­phique, une voix s’élève « C’est plus calme /​Ici /​Mer­ci /​Ca donne pas sur la mer /​C’est un peu moins joli /​Mais c’est plus calme /​Mer­ci… ». On y per­çoit chaque détail de la chambre nue, la vue, la lumière douce, on y entend la voix de celle qui cherche le repos, qui tente d’échapper aux absents, à l’absence, aux « eaux troubles ». Peut-être alors peut-on l’imaginer dan­sant lan­gou­reu­se­ment, en silence… comme l’énigmatique Audrey au dou­lou­reux destin.