Barjac m’en Chante 2017 – Missonne (© Luc Allegier)

Bar­jac m’en Chante 2017 – Mis­sonne (© Luc Allegier)

2 août 2017 – Fes­ti­val Bar­jac m’en Chante 2017

Mis­sonne – Cyril Mokaiesh : Nau­fra­gés

Avec Mis­sonne (pia­no, voix) – Cyril Mokaiesh (chant) & Gio­van­ni Mira­bas­si (pia­no)


Cour du châ­teau – Bar­jac (Gard)

Une soi­rée belle à pleu­rer s’affiche encore ce soir dans la cour mythique du château.

Les artistes ont de grandes ailes de géant… Nous le savons depuis tou­jours, ou presque. Il arrive qu’ils cèdent à leur déses­pé­rance à ne pou­voir voler. À ne savoir atteindre l’azur. Pour quelques heures, quelques jours. Par­fois pour tou­jours. Dans les textes, les chan­sons qu’ils ont lais­sées, ils nous confrontent à nos vies dans ce qu’elles peuvent avoir d’immensément dou­lou­reux. Alors défi­ni­ti­ve­ment, on les aime ces « nau­fra­gés », ces frères en huma­ni­té aux­quels Cyril Mokaiesh rend hom­mage.

Il arrive que la vie soit une mau­vaise, une méchante. Nau­fra­gée, Mis­sonne, aurait pu l’être très tôt. « Les plombs ont sau­té » à sa nais­sance et pour tou­jours. Mais la vie n’a pas seule­ment été cruelle car elle l’a visi­ble­ment dotée d’un moral d’acier, d’une éner­gie folle et d’un humour sal­va­teur… et puis tout ce monde de la musique à por­tée de ses doigts dès ses pre­miers pas. Le père jazz­man dont elle fait un facé­tieux por­trait d’homme qui « jazze » tout ce qui se dit, qui met tout en chan­son, a de toute évi­dence eu à jouer son rôle d’initiateur.

Alors Mis­sonne est une gour­mande de sons, de tous les sons ; c’est avec eux qu’elle peint le monde. Et elle y va croyez-moi ! Il lui faut de vastes toiles à peindre, des murs entiers pour qu’éclatent ses rires. Car elle a pris le par­ti de faire un pied de nez à son han­di­cap, de tordre le cou à ce pas d’chance ! Elle regarde avec malice la vie, son carac­tère pos­ses­sif – sur­tout pour le pia­no – l’enfance, le temps des bêtises avec mamie, les amis, « ceux qui ont le don de vous pous­ser à bout », le couple… Quand d’autres voient la vie en rose – ou en noir – elle la voit « en rond ». Quand l’amoureux – ici un tan­ti­net lour­daud – ne com­prend rien, ça donne ces répliques :

- Tu as mar­ché sur mon cœur
J’avais pas vu…

Les voix, elle en connaît toutes les nuances, les carac­tères ; alors elle par­sème ses chan­sons d’imitations irré­sis­tibles. Pour ce qui est des com­po­si­tions, c’est en musi­cienne de jazz aguer­rie qu’elle les colore. Sa voix pour­rait être de celles qui inter­pré­taient les chan­sons des films de Jacques Demy. Une jolie voix de demoi­selle de Roche­fort. Ou de Fée mar­raine. Alors vous l’aurez com­pris, Mis­sonne a ravi, enchan­té le public de Barjac.

Pas­se­relle du hasard… mais y en a‑t-il un ? – c’est un immense pia­niste de jazz, Gio­van­ni Mira­bas­si, qui prend la place de Mis­sonne pour accom­pa­gner les chan­sons des « Nau­fra­gés ». Disons tout de suite que nous aurons deux concerts en un car l’accompagnement vaut que l’on ferme par­fois les yeux pour mieux l’entendre. Quant à Cyril Mokaiesh il s’y arrime, s’y attache pour caden­cer son inter­pré­ta­tion. Et quand le pia­no prend ses aises il danse lit­té­ra­le­ment, se lais­sant empor­ter sur ses vagues, sa houle et ses res­sacs. D’ailleurs le pia­niste ne le quitte pas, il conti­nue sans fin d’égrener ses notes quand Cyril bavarde, tou­jours là à don­ner son point de vue.

Le concert s’ouvre sur Vous ne m’écoutez pas de Jacques Debron­ckart et nous entraîne dans un flo­ri­lège de chan­sons qui flirtent avec les doutes, les peurs et les larmes et les regrets. Comme si tou­jours l’homme était ce Poor Lone­some pié­ton de Phi­lippe Léo­tard. Au bord du pré­ci­pice, le chan­teur s’accroche alors à son microAu cours de cette tra­ver­sée on enten­dra Ber­nard Dimey (J’aimerais tant savoir) Pierre Vas­si­liu (Par­ler aux anges), Sté­phane Reg­gia­ni (Bonne figure), Vla­di­mir Vis­sots­ky (Rien ne va plus). L’ombre d’Allain Leprest (Nu et C’est peut-être) pla­ne­ra. Gigan­tesque. « Qu’il était beau Allain », dira Cyril visi­ble­ment plus ému encore. Car on l’a sen­ti trou­blé, fra­gile d’être sur cette scène deve­nue légen­daire tant le poids du cos­tume était lourd. Pas simple d’interpréter à Bar­jac Nino Fer­rer (La rue Madu­rei­ra) Léo Fer­ré (Je chante pour pas­ser le temps), sur­tout, sur­tout Mano Solo (Enfants Rouges). Des textes qui taillent dans le vif et sur les­quels les auteurs ont lais­sé l’empreinte indé­lé­bile de leur voix. C’est Chan­son pour ter­mi­ner de Ber­nard Dimey qui fer­me­ra cette évo­ca­tion, un texte qui met à l’âme son aile grise de mélancolie.

Mis­sonne invi­tée par Cyril à reve­nir s’installer aux côtés de Gio­van­ni Mira­bas­si pour un quatre mains, met son regain d’émotion. Et le texte d’Anne Syl­vestre, Les gens qui doutent, finit d’offrir un por­trait de ces nau­fra­gés ces « gens qui tremblent /​Que par­fois ils ne semblent /​Capables de juger /​J’aime les gens qui passent /​Moi­tié dans leurs godasses /​Et moi­tié à côté… »