Camille Hardouin, Mille bouches, 2017 (© Maya Mihindou)

Camille Har­douin, Mille bouches, 2017 (© Maya Mihindou)

28 avril 2017 – Camille Har­douin, Mille Bouches

Sor­tie de son 1er album

Avec Camille Har­douin (paroles, musiques, chant, gui­tare, dobro, gui­ta­lé­lé), Jean-Laurent Cay­zac (contre­basse, gui­ta­lé­lé, gui­tares élec­triques), Seb Mar­tel (réa­li­sa­tion, gui­tares, har­mo­ni­ca, orages), Louise Gou­pil (accor­déon, cla­ri­nette, sif­fle­ments, chœurs, moog), Beat Wolff (vio­lon­celle), Caro­line Geryl (bat­te­rie, percussions)


Mer­ci à… Mes amours, les éphé­mères et ceux qui ne fini­ront jamais, les pré­noms criés dans la nuit sur les toits et ceux gra­vés en secret, les longues lettres échan­gées et les mots tou­jours tus, toutes les cou­leurs de l’amour, toutes ces his­toires, ces jours et ces nuits offerts, comme mer­ci semble un petit mot soudain…

(Extrait du livret, 4e de couverture)

Camille Har­douin : MERCI ! 

Avec Camille Har­douin, tout se décline, se conjugue au plu­riel… Mille bouches, comme s’il fal­lait à tout prix se pré­mu­nir contre le repli, l’enfermement, l’unicité qui exclut, écarte ce qui n’est pas soi. C’est tout natu­rel­le­ment que la chan­son Mille bouches trouve sa place en s’ouvrant sur la voix nue, avec un simple frot­te­ment sur la cuisse, rejointe très pro­gres­si­ve­ment par les ins­tru­ments. Elle donne son titre à ce pre­mier album dont l’attente a mis son auteure dans un drôle d’état. Plus trou­blée, trou­blante que jamais, elle confie sur son Blog le 27 avril, veille de sa sortie :

« Cette sor­tie d’album me met dans un état incompréhensible
j’ai l’impression que mes jour­nées sont cou­sues de n’importe quoi
j’ai des pal­pi­ta­tions pour zéro raison
sur inter­net j’envoie des cœurs à tout le monde
dans la rue j’ai croi­sé un canard… »

Voi­là, Camille Har­douin c’est un cœur qui pal­pite, fra­gile, qui se livre, se délivre en mots, sur son blog, comme dans ses chan­sons. C’est une fille qui chante comme elle res­pire, c’est une voix qui s‘éraille un peu, frot­tée à mille rêves, et vous entraîne irré­sis­ti­ble­ment dans les arcanes de ses peurs, de ses dési­rs, de ses bles­sures d’amour. Comme dans ce titre – confi­dence bou­le­ver­sante – Si demain, avec la déli­ca­tesse d’un accom­pa­gne­ment tout juste sug­gé­ré. Car la voix est au tout pre­mier plan dans cet enre­gis­tre­ment qui l’habille et lui rend toute sa grâce par­ta­gée en scène. On aime la cla­ri­nette qui s’invite, tendre, lan­gou­reuse dans Ma rete­nue ou Lies. On aime les petites touches sonores de per­cus­sions sub­tiles. On aime l’accordéon et le vio­lon­celle qui sou­lignent les émo­tions por­tées par la voix… Et tou­jours les gui­tares, gui­ta­lé­lé presque enfan­tine, la contre­basse et ses ponc­tua­tions, bat­te­ments du cœur… Les chan­sons de Camille peuvent sou­rire aus­si comme dans Il m’plaît pas ou Pablo… Dans cet album, ça siffle, ça sau­tille, ça fre­donne, ça valse len­te­ment – si len­te­ment – dans La vaga­bonde qui dit « Je m’en vais comme une autre /​je m’enfuis comme une femme /​je marche comme une reine /​je pleure comme une voleuse » et vous laisse plan­té là, désem­pa­ré à la fin du disque…

Du bel ouvrage qui vous étonne dès que vous avez l’objet dans vos mains avec les des­sins étranges de Maya Mihin­dou où se mêlent et s’entremêlent, visages tout ronds, corps humains, pois­sons, renards, mai­sons qui tanguent. En fond, du bleu gris, et puis du rose, du vert, du jaune au rec­to, du rouge et de la nuit au ver­so inquié­tant… Des­sins où émergent des restes d’enfance, de l’irréel, du conte, du rêve et du cauchemar.

On peut y voir la repré­sen­ta­tion sur­réa­liste d’un monde inté­rieur qui se heurte à tel­le­ment de sen­sa­tions contra­dic­toires, affo­lantes par­fois, atti­rantes aus­si. Ces chan­sons-là sont une tra­ver­sée comme l’est un concert de Camille Har­douin dont on s’arrache avec peine. Au fond, main­te­nant, dif­fi­cile pour nous de les écou­ter sans que s’invite immé­dia­te­ment l’image de Camille, ses che­veux bleus, ses bras cou­verts des titres de ses chan­sons, des noms des tech­ni­ciens à remer­cier en fin de concert. Ce visage qui s’illumine en fin de chan­son. Un sou­rire inté­rieur qui vient vous tou­cher au plus pro­fond et main­tient, quelques secondes sus­pen­dues, le public dans le silence.

La magie de cet album réside dans ce petit miracle : avoir ren­du ce trouble res­sen­ti en concert, en avoir conser­vé la déli­ca­tesse par un accom­pa­gne­ment qui jamais ne s’impose, ne dérange la saveur des mots… Le souffle, le grain de la voix sont presque mur­mure au creux de l’oreille, confi­dence, comme J’veux pas et sa dou­leur d’aimer : « Mais je veux pas que tu t’en ailles /​tu m’as lais­sé la bouche et le corps en bataille /​et les bras n’ayant plus, pour apai­ser leur mal /​qu’à ser­rer dans leurs poings des pro­messes non tenues. »

Fina­le­ment on gar­de­ra bien au chaud la chan­son Les Pirates, récit d’amoureux bra­vant les inter­dits, qui pour­rait être le rêve le plus joli avec ce poli­cier qui s’inspirerait – si seule­ment il écou­tait la chan­son ! – de ce tour de manège pour échap­per à une « vie stra­té­gique et bien ordon­née »… et s’abandonner enfin au « bon­heur /​l’ivresse /​les bai­sers ».

Pour­quoi sommes-nous tel­le­ment émues en écou­tant Camille Har­douin – ex Demoi­selle incon­nue ? Quand elle chante en anglais, que sa dic­tion se modi­fie, il nous reste alors, sur­tout, la musique des mots : « Come, mar­ry the road, mar­ry the road /​don’t let this wait, for now is the time… »

Épou­ser la route, ne pas attendre pour vivre ses dési­rs, les lais­ser s’échapper de son corps, de sa tête, de sa gorge, les dire enfin comme ceux de mille bouches, mille hommes, milles femmes, mille anges…