KATEL, La nuit est mon arène, 2021 (© Robi)
8 octobre 2021 – De clip en clip #7
« Quand les chansons nous font leur cinéma… »
Avec
Larrieu-Plantey, Partir (texte/musique /arrangements /programmations /réalisation /enregistrement /instruments, Larrieu-Plantey), 1er album Avant l’effondrement, sorti en juin 2021, réalisation Sèverine Faramond
Arthur H, Nancy (texte et musique Arthur H) à la mémoire de Betty Berr du Cinéma de Contis, mini album prématurée d’un chanteur populaire mort dans la force de l’âge sorti le 3 septembre, chorégraphie et interprétation Carolyn Carlson, réalisation Léonore Mercier
Stéphanie Acquette, D’un rien, 1er album Diaporama, sorti le 1er octobre 2021, réalisation Stéphanie Acquette
DBK Project, Sing a song (texte et musique DBK Project), 1er album 480 paru en juin 2019, sur des images extraites de Cat-Women of the moon, réalisé par Arthur Hilton en 1953
KATEL, La nuit est mon arène (texte et musique Katel), album Mutants Merveilles, sorti au printemps 2021, réalisation, montage Robi
« La musique toujours neuve…
Temps de tempête, temps de confusion, renouveau ou descente aux enfers ?
Que sera sera. »
Arthur H (Page FaceBook officielle)
Quand soudainement une image fixe – celle que propose FaceBook pour annoncer la sortie du clip de Larrieu-Plantey – vous transporte en un clin d’œil, comme une évidence, dans une scène devenue mythique : la scène finale de Zorba le Grec (Michael Cacoyannis 1964). À jamais figée dans notre imaginaire cette scène : Zorba, le magnifique, le puissant Anthony Quinn entraînant Basil dans un sirtaki qui fera date ! Alors, c’est avec ce souvenir que nous regardons le chanteur qui, de Supermika au duo Shoubi or not, choisit aujourd’hui de se réapproprier son identité. Partir nous semble à plus d’un titre symbolique de cette nouvelle destinée artistique qu’il s’est choisi, empoignant seul, à bras le corps, toutes les contraintes d’un enregistrement d’album. La réalisatrice, Sèverine Faramond qui fut longtemps à ses côtés en scène, en connaît toutes les étapes.
Voici ce qu’elle a choisi de raconter en images :
Un homme, costume, cravate sombres, dans sa maison cossue, architecture années 60, reçoit à 7 h du matin un message glissé sous sa porte à décrypter… Osera-t-il lancer les dés d’une nouvelle partie ? Il arpente des rues sans âme, s’arrête, scrute ce décor, marche d’un pas décidé… La voix et la guitare scandent, obstinées : « Partir, ne plus revenir… Quoi de neuf, docteur ? » La plage… Il n’hésite pas, se met à courir sur le sable… et à danser… indifférent aux silhouettes au loin, aux chiens qui s’approchent. Il jette énergiquement, face caméra, des jouets de plage – ceux de l’enfance ? – se déleste de sa veste de costume et entre dans l’eau… On vous laisse découvrir le plan final… « Il est l’heure »… Pour naître à soi-même ?
A nous de nous faire notre propre histoire, comme le dit si bien Arthur H présentant son dernier clip, à la mémoire de Betty Berr, coorganisatrice du Festival international de cinéma de Contis aux côtés de Rainer Wothe… C’est dire si le lien avec le cinéma est évident.
Comment en effet cette danse des hommes sur la plage, celle de Larrieu-Plantey à Royan, comme celle de Zorba et Basil sur le rivage crétois, ne ferait-elle pas un signe cinématographique aux superbes images toute récentes du clip d’Arthur H, accompagnant le titre Nancy, chanson tendre et triste ? Le chanteur lui-même les présente ainsi sur sa page FaceBook : « Une femme lumineuse, une femme ancienne, une femme juvénile, une femme intemporelle » interprétée par la grande danseuse et chorégraphe Carolyne Carlson. « Elle lutte avec un drone, elle danse avec un drone » poursuit Arthur H. Car c’est bien ce drone le personnage central dans les premiers plans, mécanique étrangement perçue comme un être vivant, menaçant…
Les images de la réalisatrice Léonore Mercier sur cette plage landaise de Mimizan ont la beauté épique de la puissance immémoriale de l’océan – « Si tu savais comme la mer est belle ce soir »- associée à celle de la féminité en lutte… Comme le chanteur, on se questionne « Parabole contemporaine, fantaisie poétique, dystopie angoissante, histoire d’amour fantomatique (le drone serait envoyé par l’homme qui pense à elle) ? » … Ce qui semble certain c’est que la femme vêtue de noir, celle qui fait front et dessine sur sa peau des messages de guerre, une fois que sont passés les rêves – irruption irisée d’images colorées qu’envoie le phare – s’habille de blanc marié, lâche sa chevelure, sourit, ouvre ses bras comme des ailes, fait face à l’océan où le soleil se couche. « Comme un goût de la liberté toujours à reconquérir… » conclut Arthur H.
Nous découvrons Stéphanie Acquette à travers ce clip D’un rien, qu’elle qualifie elle-même d’« objet cinéma », extrait de son premier album Diaporama, où les chansons défilent comme dans ces petites planches d’images que l’on glissait dans un appareil où l’on collait ses yeux… Cette fille du nord, multi-instrumentiste depuis la petite enfance, se nourrissant surtout de ses rencontres, ne s’est pas contentée d’être une bonne élève (Sciences Po, Institut des Langues orientales), appliquée jusque dans son approche du théâtre et de la musique en conservatoire. Son amour du cinéma la mène aux études cinématographiques à l’université Paris 7. Pas étonnant donc qu’elle signe elle-même l’écriture du scénario, la réalisation de ce clip qui témoigne d’un goût affirmé et affiné de l’image, de sa grammaire spécifique. Le texte D’un rien, c’est une série d’occasions manquées, « les films qu’on se fait » dit-elle…
Le film s’ouvre sur l’image et le ronronnement du projecteur… Les personnages féminins, leurs tenues vestimentaires, leurs bijoux, les accessoires, sont une immersion vintage dans tous les détails des seventies, couleur orange jusqu’au bout des ongles. Une histoire d’espionnage avec tous ses clichés, filature, micro dissimulé dans la chambre d’hôtel, photos volées, cigarettes américaines, foulard et lunettes noires au volant d’une berline décapotable roulant dans la nuit parisienne – comment ne pas songer à quelques images devenues mythiques d’Audrey Hepburn ? L’espionne, c’est notre chanteuse qui exerce son talent de fin limier depuis la cabine de projection où s’achèvent le clip et cette chanson, rumba nostalgique, une histoire d’amour à refaire : « On s’est manqués d’un rien /D’un geste /On n’a pas pris la peine /De se parler tout bas… « Quel bel hommage au cinéma qui nous a tant fait rêver… Et quelle métaphore de notre capacité à échafauder des rêves !
Comme il l’avait déjà fait pour leur précédent clip Anastasia, le groupe DBK Project s’inspire des images de Sciences Fiction pour ce nouvel extrait de l’album 480, un projet qui ne manque pas de surprendre, voire de dérouter, tant il multiplie les pistes d’interprétation : « Il fait appel aux récits d’anticipation, à des textes en français et en anglais. Aux musiques pop, folk, rock, jazz, électro. À la mythologie, aux contes philosophiques. Tout à la fois » avons-nous écrit au moment de sa sortie.
Aujourd’hui, alors que s’éternise une crise sanitaire planétaire, cet album, ce spectacle musical pourraient trouver un nouvel écho en nous… Un personnage est en lutte pour comprendre, une héroïne confrontée à la solitude avant que n’apparaisse le personnage qui l’aidera dans son chemin initiatique. L’ennemi est nommé, ce sont les « machines », représentation métaphorique de ce qui, un jour, pourrait mener les hommes à leur anéantissement. Reconquérir son humanité demande une lutte sans concession car « nous sommes des corps endormis… nous rêvons notre vie…
Cette fois, pour le titre Sing a Song le groupe a choisi de s’emparer des images d’un film de 1953, signé Arthur Hilton, Cat-women of the moon, sur lequel il incruste des bulles, comme dans les romans-photos et une représentation presque enfantine d’une fusée en vol. Étrangement, comme dans le clip de Stéphanie Acquette, les premières images nous transportent dans une cabine de projection avec le même bruitage en fond sonore.
Alors que l’on s’affaire dans ce qui pourrait être une zone de lancement d’un engin spatial un homme allongé prononce ces mots « Il y a une voix qui vient du fond dans ma tête… » que répète la voix chantée … On s’active autour de l’homme qui revêt une combinaison… Lancement de la fusée, alunissage de cinq silhouettes équipées de leur scaphandre… Le groupe DBK Projet apparaît alors… Les gestes sont mécaniques comme dans les plus anciens films… On vous laisse découvrir l’un des deux monstres velus qui habitent notre satellite et qui tente de s’emparer de l’héroïne… Suspens… « To be continued » affiche le plan final.
Dans cette actualité des clips inspirés par le cinéma, nous terminerons avec Katel et le titre extrait de son nouvel album La nuit est mon arène. Loin de la recherche, des effets, de l’écriture des autres, celui-ci est le fruit d’un hasard ou presque. Katel nous raconte. Voici le point de départ : « C’était un soir de début décembre de 2020. Il était tard, on revenait du tournage du clip de Rosechou. Dans la voiture, Robi a voulu écouter « La nuit est mon arène » à fond dans l’auto-radio… Je me suis mise à chanter en même temps et Robi a saisi son téléphone pour filmer la scène en un plan séquence… » Voilà. Elle tentera de reproduire techniquement ces images spontanées, le visage dans le rétroviseur, le boulevard Magenta qui défile, Paris quasi désert… Et finira par renoncer… Non, décidément ce qui était vrai, c’était ce moment-là, totalement improvisé. Un hommage à la nuit qui colle au texte « La nuit est mon arène /J’ai son bruit dans le sang /Le bruit du jour est blanc /Et sa vacance vaine », à la musique « Hypnotique, planant : un Nocturne pour synthé, voix, cuivres et cordes ! » écrit en commentaire celui qui signe les arrangements cuivres et cordes, Bastien Lucas.
Outre que le cinéma abonde de ces plans, de ces cadrages au volant d’une voiture dans la nuit, nous avons pensé immédiatement à Marguerite Duras disant le texte superbe de son poème Les Mains Négatives, au film de 14 min l’accompagnant, un long travelling nocturne dans les rues de Paris, de Bastille aux Champs-Élysées, en passant par le boulevard des Italiens, l’avenue de l’Opéra et la rue de Rivoli, un Paris dépeuplé… Une nuit jusqu’au bleu de l’aube…