Festival Bernard Dimey 2019 (©Domi Decker)

Fes­ti­val Ber­nard Dimey 2019 (© Domi Decker)

du 6 au 11 mai 2019 – Fes­ti­val Ber­nard Dimey

Les enfants, petits et grands, de Dimey

Le Fes­ti­val Ber­nard Dimey trace la route des mots lus, dits et chan­tés sur les pas du poète Dimey

Avec
Les élèves de l’école Bau­don Ros­tand de Nogent (52) et leur pro­fes­seur Eric Vil­le­mot – L’association Au cœur des motsJean Lefèvre dans sa confé­rence Ber­nard Dimey, un cham­pe­nois uni­ver­selGovrache (gui­tare, voix) – Guy Attia (lec­ture), Loïc Fauche (cla­vier) et Pierre Cou­tau­dier (bat­te­rie) dans Ber­nard Dimey, poète et pour­quoi pas ?


Salle de concert & espace Bar du centre cultu­rel Robert Hen­ry – Cave à Ber­nard, Média­thèque Ber­nard Dimey – Nogent (Haute Marne)

Faire connaître Ber­nard Dimey, col­lec­ter et sau­ver les archives qui témoignent de sa vie et de son œuvre, l’arracher à la fuite du temps, à son inexo­rable et injuste indif­fé­rence, c’est bien la tâche que s’est don­née l’association qui porte son nom et qui s’apprête à fêter le 20e anni­ver­saire de son fes­ti­val. Car c’est d’un com­bat contre l’oubli dont il s’agit dans l’esprit de Phi­lippe Savou­ret, celui qui, le pre­mier, de son poste de direc­teur de la média­thèque, s’attela à la tâche, convain­cu de l’immensité du talent du poète. De son com­bat naquit un ren­dez-vous annuel ras­sem­blant poètes, chan­teurs, musi­ciens qui, peu ou prou, pour­raient être ses enfants.

L’homme, et d’abord l’enfant et l’adolescent d’exception, nous a été rap­pe­lé par son com­pa­gnon d’ Ecole Nor­male à Troyes, Jean Lefèvre. Sa confé­rence semée d’anecdotes trace, sur un ton sou­vent badin et léger que n’aurait sûre­ment pas renié Dimey, un par­cours qu’il résume en cette for­mule « concep­tion à Nogent, ges­ta­tion à Troyes, éclo­sion du poète à Paris ». Et l’on peut légi­ti­me­ment s’étonner que si peu d’entre nous le connaissent à sa juste valeur, hor­mis quelques titres de chan­sons comme Syra­cuse bien sûr, chan­té par Hen­ri Sal­va­dor, ou Mon truc en plumes, par Zizi Jean­maire. Car Ber­nard Dimey côtoya tous ceux que le Mont­martre de ces années là, entre 1950 et fin des années 70, fer­tiles en-chan­teurs, comp­tait dans ses rues. Il y trou­va des inter­prètes, des com­po­si­teurs et sur­tout il y décla­ma à tout va ses textes. Au point que l’on peut par­ta­ger les mots de Jérôme Gau­thier du Canard Enchaî­né, cités par Jean Lefèvre : « Je suis effa­ré, presque gêné, qu’un gars puisse avoir autant de talent, d’esprit, de verve, de trou­vailles cocasses jamais vul­gaires et qu’il ne soit pas au moins aus­si popu­laire que Brassens. »

Effa­rant en effet. Les quatre recueils de ses textes édi­tés chez Chris­tian Pirot, confirment une incroyable créa­ti­vi­té où se mêlent tous les registres. La tru­cu­lence, la sen­si­bi­li­té, l’audace, la liber­té, la ten­dresse en font une œuvre unique où les inter­prètes, comé­diens et chan­teurs peuvent pui­ser inlas­sa­ble­ment. Encore faut-il se tenir à l’écart d’une image réduc­trice, trop sou­vent mise en exergue, celle de l’homme atta­blé devant son verre et sa bou­teille. Certes sa fra­gi­li­té, son besoin jamais assou­vi de recon­nais­sance et d’amour, le condui­sirent à l’abus d’alcool. « J’ai le sang plein d’alcool, d’un alcool de colère… » et cet alcool eut rai­son de sa car­casse, à cin­quante ans. On regret­te­ra d’ailleurs, cette année encore, cette image cari­ca­tu­rale, asso­ciée cette fois au thème colo­ré de la pros­ti­tu­tion, col­por­tée par le concert de clô­ture. Guy Attia et ses musi­ciens avaient pour­tant éveillé une attente en choi­sis­sant un accom­pa­gne­ment jaz­zy, par­fai­te­ment jus­ti­fié. Jean Lefèvre a de son côté évo­qué lon­gue­ment le goût et la connais­sance de son ami Ber­nard pour cette musique d’avant-garde qui hor­ri­fiait les pro­fes­seurs de l’ Ecole Nor­male dans l’immédiat après-guerre.

Au cours de cette édi­tion, pour retrou­ver l’âme de Dimey, il fal­lait s’attarder aux enfants de l’école Bau­don Ros­tand de Nogent. Ce sont eux en effet qui nous ont d’abord rap­pro­chés de lui, de son goût pour les mots, pour la décla­ma­tion, de son regard acé­ré sur la socié­té. Nous avons eu, deux matins de suite, la chance d’assister à des spec­tacles mêlant musiques, chan­sons et textes. D’abord, le pre­mier jour, des contes musi­caux, des mini-opé­ras de Daniel Bon­net, Titou et l’arbre à fièvre et Drôle de semaine que des élèves de CP puis de CE2 ont magis­tra­le­ment inter­pré­tés, sous la baguette tendre et rigou­reuse de leur pro­fes­seur. Leur dic­tion avait de quoi sur­prendre pour de si jeunes inter­prètes. Nous en sommes res­tés éba­his. Nous n’étions pas au bout de notre stu­pé­fac­tion car le len­de­main c’était le tour d’une classe Ulis (Uni­té Loca­li­sée pour l’In­clu­sion Sco­laire) et d’élèves de CM2 de rendre compte de leur tra­vail en ate­lier d’écriture et de gui­tare. Cette fois-ci il s’agissait de créer autour du thème de Dimey et des tzi­ganes. « S’apprendre par l’autre et la dif­fé­rence » annon­çait le pro­gramme. On dit, on lit, on chante, on danse, on joue de la gui­tare… Et le soir, à tour de rôle, on vient au concert. Car, il faut vous dire que, depuis plu­sieurs années main­te­nant, cette école emmène ses petits élèves assis­ter le soir aux concerts. Com­ment ne pas rendre hom­mage à tous ceux qui se mobi­lisent pour cette action de trans­mis­sion dont on mesure faci­le­ment la valeur d’exception ?

On ne man­que­ra pas de saluer aus­si l’association Au cœur des mots qui chaque soir dif­fuse l’enregistrement de mots dits de Dimey… Une créa­tion de spec­tacle s’en est sui­vie don­née par deux fois dans la Cave à Ber­nard, à la média­thèque. On ne peut rêver mieux pour accueillir les textes de Dimey dans toute leur diver­si­té et leur rendre leur saveur. On ne peut rêver plus bel endroit pour se sou­ve­nir du » diseur, mime et chan­teur » d’exception qu’il fut.

Enfin on s’arrêtera à celui qui a incon­tes­ta­ble­ment domi­né ce fes­ti­val, Govrache, salué par une ova­tion debout. Venu sur cette même scène, en trio, il y a sept ans, il nous avait par­ti­cu­liè­re­ment tou­chés avec son allure de poul­bot sans manières et ses textes de chan­sons cise­lés, mêlant ten­dresse et regard acé­ré sur notre huma­ni­té. Nous avions alors salué déjà son évo­lu­tion vers le slam dont nous avions vu l’émergence dans ce superbe texte à rendre jalouse toute femme amou­reuse, Ma Femme. Et nous avions alors conclu en ces termes que nous pou­vons reprendre mot pour mot : « Recon­nais­sons que s’il est un artiste qui méri­tait sa place dans ce fes­ti­val, c’est bien Govrache dont la jeu­nesse imper­ti­nente, la géné­ro­si­té en scène, l’humour assurent une des­cen­dance à Ber­nard Dimey. »