FrancoFans, Album Chemin des Dames 2017 (© FrancoFans)

Fran­co­Fans, Che­min des Dames 2017 (© Droits Réservés)

3 avril 2017 ‑A l’occasion du Centenaire de la Bataille du Chemin des Dames, le 16 avril 2017, le magazine FrancoFans offre à ses abonnés une compilation de 11 titres

Avec Fran­çois Guer­nier ini­tia­teur du pro­jet et co pro­duc­teur avec Rémi Hiblot

Avec Bar­cel­la, Fran­çois Guer­nier, Emma Dau­mas, San­se­ve­ri­no, Chris­tian Oli­vier & Thi­baut Gar­cia, Ben Ricour, Yves Jamait, Chloé Lacan, Toma Sidi­bé, Bal­bi­no Medel­lin, Franck Vandecasteele

Le par­te­na­riat du Conseil dépar­te­men­tal de l’Aisne, la mis­sion cen­te­naire de 14 – 18, l’Académie Charles Cros 

Le nou­veau numé­ro du bimes­triel Fran­co­fans fait à ses abon­nés un pré­cieux cadeau : un disque, une com­pi­la­tion de onze titres qu’accompagne un dos­sier de six pages.

Che­min des Dames, Adieu la vie, Adieu l’amour

L’écoute de cet album nous a lais­sée pro­fon­dé­ment émue, bou­le­ver­sée même. Com­ment ne pas se sou­ve­nir de notre propre grand-père, plu­tôt tai­seux sur cette tra­gé­die ? Voi­ci ce qu’il nous reste de lui, de sa tra­gé­die dans les tran­chées de Cham­pagne : sa croix de guerre et sa fine écri­ture au crayon sur son car­net de route.

C’est un hom­mage, un bel hom­mage, à la hau­teur de l’immensité du car­nage rap­pe­lé par Fran­co­Fans . On célè­bre­ra dans quelques jours à Craonne la bataille du Che­min des Dames. Iro­nie de l’Histoire qui unit un si joli nom au mas­sacre de tant d’innocents !

A cette occa­sion l’album sera dis­tri­bué gra­tui­te­ment. Fran­çois Guer­nier, Emma Dau­mas, Yves Jamait et The Cel­tic Social Club seront sur scène.

On doit ce disque et la par­ti­ci­pa­tion des onze chan­teurs en grande part à leur l’origine. Il faut savoir que naître dans ces régions du Nord et de l’Est – nous en sommes – marquent pour une vie entière nos sen­si­bi­li­tés. La terre elle-même, les villes et les vil­lages portent les stig­mates de deux guerres. Les hommes et les femmes de ce pays n’en ont pas fini avec elles.

Le rédac­teur en chef de Fran­co­Fans lui-même, Ben­ja­min Valen­tie, est ori­gi­naire de Laon, comme Bal­bi­no Medel­lin qui y vit aujourd’hui. Bar­cel­la lui, est de Reims, Yves Jamait de la Bour­gogne toute proche, Toma Sidi­bé de la Picar­die… On doit l’enregistrement de ces chan­sons à l’initiative et aux recherches de Fran­çois Guer­nier qui habite à côté de Craonne.

Ce qui frappe d’abord c’est que par deux fois seule­ment sur les onze titres s’expriment clai­re­ment la colère et la révolte. Par deux fois seule­ment les res­pon­sables sont dési­gnés « Les ban­dits qui sont cause des guerres  /​N’en meurent jamais, on n’tue qu’les inno­cents ! » dit Mon­te­hus dans La butte rouge, dési­gnant une butte de l’Argonne. Elle est  inter­pré­tée par Bal­bi­no Medel­lin, qui dit : « Je n’avais pas à réflé­chir, je suis né dans le jus de ce que raconte cette chan­son … » On connait bien enten­du aus­si la conclu­sion de la célèbre Chan­son de Craonne : « Ce s’ra votre tour, mes­sieurs les gros, /​De mon­ter sur l’pla­teau, /​Car si vous vou­lez la guerre, /​Payez-la de votre peau ! » San­sé­ve­ri­no en fait d’ailleurs une inter­pré­ta­tion sur­pre­nante, voire déran­geante. La voix, la gui­tare l’éloignent de la tra­gé­die. Elle en devien­drait presque légère…

On peut asso­cier à ces deux titres, un troi­sième ano­nyme qu’a choi­si l’afro-picard Toma Sidi­bé : A Hur­te­bise. L’interprétation métis­sée de sons afri­cains chers au chan­teur ajoute à l’ironie du texte, sachant que de nom­breux tirailleurs séné­ga­lais étaient enga­gés dans cette bataille : « La vie des tran­chées a du bon /​On y économise… » 

Dans le reste de l’album domine l’expression des sen­ti­ments, sen­sa­tions d’un sol­dat comme s’il était seul au monde, per­du dans un enfer noc­turne. Le choix d’Yves Jamait est carac­té­ris­tique à ce titre. Il s’est por­té sur Fusée de Robert Ibels : « Je suis seul et tout dortLa tran­chée s’est dra­pée du lin­ceul des ténèbres. Pas une étoile au ciel. Le vent hurle la mort… » Quand appa­raît sou­dain une fusée dans le ciel qui « éclaire un ins­tant les cadavres » et s’en vient ensuite mou­rir dou­ce­ment. Le plus sou­vent en effet, les autres sol­dats sont évo­qués comme des morts. Le texte de Paul Ver­let, titré Après, qu’interprète Franck Van­de­cas­teele sur une musique de Fran­çois Guer­nier est à ce titre d’une force inouïe. Il évoque la « jouis­sance unique, égoïste de vivre » quand on revient vivant du front : « Pleu­rer d’amour /​Dan­ser comme un homme ivre /​Embras­ser les copains qui passent. »

Ben Ricour, lui, a mis en musique un texte humble et superbe de Fran­çois Baron gra­vé sur une stèle, sur le Che­min des Dames. L’auteur ima­gine son retour qu’il veut empreint de silence : « Lorsque je revien­drai… je m’assiérai dans l’ombre où le buis est plus noir…Ne me deman­dez pas de récits de bataille… Tai­sez-nous, tout est bien… Comme il sera calme et pieux le pay­sage ». Un har­mo­ni­ca sou­ligne l’émotion d’un retour qui, hélas, n’adviendra pas.

La nature est tan­tôt mar­ty­ri­sée, sacri­fiée, hos­tile aus­si, tan­tôt sym­bole de la paix, du pas­sé révo­lus. Elle est par­tout pré­sente. Elle est tra­gi­que­ment belle cette « fleur du che­min des Dames quelque fois par là, par ci » qui revient dans le texte de Jean Arbous­set, Envoi du Front inter­pré­té par la voix douce et déli­cate de Choé Lacan sur un arran­ge­ment dépouillé. A rebours Emma Dau­mas enve­loppe Can­ton­ne­ment de Novembre de Pierre de Les­tang dans un lamen­to, une orches­tra­tion com­plexe pour dire la mort qui rôde, guette : « Le vent san­glote et se lamente… Se tait le doux rou­cou­le­ment des pigeons bleus cachés dans l’ombre… Plus de cloche, plus de chant… »

Com­ment ces jeunes hommes ont-ils pu endu­rer de telles épreuves ? La réponse est claire, il leur a fal­lu de l’amour auquel il s’accroche comme à la cha­leur d’une main. Celui d’une mère, celui d’une fian­cée. Cet amour s’exprime dans leur cor­res­pon­dance, « dans le soir triste où traine du cha­grin ». C’était là leur seul lien avec la vie, celle d’avant… Chris­tian Oli­vier, accom­pa­gné par Thi­baut Gar­cia et la com­plainte de sa gui­tare, a choi­si une décla­ra­tion d’amour de Paul Ver­let à sa mère, aux mères des sol­dats dont « l’image vivra dans leur tombe ». Il évoque la vie heu­reuse avec la lec­ture, l’armoire aux confi­tures, le chat tout noir dans la ver­dure… et sur­tout les bai­sers, les caresses mater­nelles. Dans ces alexan­drins solen­nels, c’est un cœur d’enfant qui se livre et qui ter­mine avec ces mots : « Je t’adore en silence avec de grosses larmes. » Ces mères sont là, pré­sentes dans ce texte, comme des Vierges de Piété…

Enfin Bar­cel­la et Fran­çois Guer­nier sont les auteurs de deux chan­sons. Ils se sont ins­pi­rés de la forme épis­to­laire. Fran­çois Guer­nier ima­gine des lettres quo­ti­diennes dans l’hiver 2016 où s’expriment les souf­frances d’« écor­chés », les larmes, le froid. Bar­cel­la alterne les lettres de deux amou­reux, Ernest et Loui­sette, petite valse nos­tal­gique du pia­no,  où le vou­voie­ment un peu désuet donne une touche sépia à cette cor­res­pon­dance. Elle s’achève par la lettre d’un autre sol­dat annon­çant la mort d’Ernest. L’amour n’est donc pas plus fort que la haine ? Pour­tant Ernest et Loui­sette vou­laient y croire. Très fort.

« Le monde perd la tête par la haine ». Nous ne le savons que trop… Reste l’espérance, coûte que coûte, même face au pire :

« Je donne à mon espoir tout l’avenir qui tremble comme une petite lueur au loin dans la forêt. »(lettre à Lou, Guillaume Apol­li­naire)