Vincent Baguian et Hugo Renard – Le méchant Live, 2019 (© Stéphane Portier)
26 novembre 2019 – Le méchant Live
Sortie du double album composé de 10 titres captés au théâtre Maurice Ravel de Levallois-Perret le 25 novembre 2011 + bonus inédits (archives 1995 – 2007) https://vincentbaguian.bandcamp.com/
Avec
Pour le méchant concert, Hugo Renard (piano Steinway C, accordéon Honner, wah-tube accordée en si, chant), Vincent Baguian (guitare acoustique Gibson J200, guitare acoustique Cheval Jumbo bleue, guitare électrique Gretsch « Brian Setzer » orange, chant)
Au tout début de la captation de ce concert de 2011, à la fin de la première chanson on entend Hugo Renard rétorquer « C’est donc une soirée placée sous le signe de la rigolade » et c’est ce que cet album inspire… Oui, la rigolade… C’est évidemment ce qu’inspire aussi la pochette avec cette scène de fin de concert où s’enfuit un lapin rose sous le regard impassible de Vincent Baguian. Autrement dit « y a d’la joie » dans cet album et le public présent ne s’y trompe pas. Il s’enthousiasme très vite, tape dans les mains dès la troisième chanson, emporté par les textes qui optent pour le décalage, la dérision, l’humour, par la voix chaude, sans forfanterie, par la musique résolument jazzy… Guitare et piano se jouent l’une de l’autre, se répondent gaiement. Il s’achève sur une scène carrément dingue où le lapin rose – autrement dit Hugo Renard le pianiste – chante C’est gentil, c’est méchant. On imagine aisément la joie dans la salle.
Quelle bonne idée de rendre publique ce moment là quand la vie autour de nous assène et sème ses tristesses, sa morosité, son mal de vivre en tout, partout. Au fond, c’est presque une œuvre de salut public avec aussi, dans le deuxième disque, ce détour par les étapes préparatoires, les brouillons, les essais et les ratures. Un peu comme si soudainement la vie d’une création reprenait ses droits, comme si on mettait la main sur un vieux manuscrit, sur le papier jauni, l’écriture et ses griffonnages… Ici, dans le deuxième disque, nous dit Samuel Rosenbaum (successivement graphiste, régisseur, directeur de tournée) ce sont des morceaux à la maison, en acoustique bien sûr, « enregistrés autour d’un thé et de deux micros », un « impromptu dans un garage à Verviers (Belgique) le 22 juillet 2011, retour des Francofolies de Spa et d’une panne sur l’autoroute » – on le devinera, ce Hou, hou je hue tourne à la cacophonie – des démos de 2007, 2003 et même, bien plus anciennes, déterrées sur des K7.
Dans cette « malle aux trésors », on trouve de curieux et émouvants autoportraits, souvent de perdants, de loosers comme dans Je me suis fait avoir ou J’ai inventé la scie sauteuse, faute de trouver l’amour ! De l’artiste qui se cherche un abri, un refuge contre la laideur du monde dans « un petit coin tranquille », à celui qui se voyait en super héros et se découvre en escargot avec pour « seule ambition de laisser une trace », en passant par la parodie du body building, autre façon de chercher à se jouer des apparences… Mais évidemment, on restera attachée à cette chanson en duo avec Diane Minassian, sur un registre beaucoup plus douloureux et sensible, celui de la quête des origines : « Comment savoir où je vais, si je ne sais pas d’où je viens »…
La dernière chanson est un document, une séquence de travail des Biches qui figurera sur le premier album (Pas mal 1996). « Elle a été jouée et chantée par Richard Seff tard un soir de 1995, probablement sur un petit magnéto avec un petit micro, durant la création de la chanson ». Autrement dit une tranche de vie d’artiste restituée pour le plaisir des amoureux de la chanson… Elle s’achève sur ces mots : « C’est juste une direction à affiner par la suite… » Cette suite, c’est précisément avec la chanson qui ouvre le concert en 2011 que nous pouvons la goûter…
Il faut le dire cette ouverture ne manque pas de brio pour camper notre monde animal, ce bestiaire qui ne cesse de s’observer… « C’est dans les boîtes à maquereaux que des bancs de morues poissonnent /Et que des mâles papillonnent, bonjour minet, salut blaireau… » Et ce refrain : « Je regarde les biches qui me regardent avec dédain /Dans leurs yeux se nichent des p’tits airs de chiens… » Dans ce monde on se désire, souvent on se manque, on se trompe ou on se déchire, c’est selon… Le concert évoque un peu toutes les situations avec un art consommé de la mise en scène : de l’amour impossible qui mène à la scie sauteuse – si, si ! Il faut écouter la chute ! – de la belle histoire que l’on n’aura pas, ce qui donne un prosaïque « Adieu ma blonde », à la non déclaration d’amour en duo avec Marjolaine Piémont, Je ne t’aime pas, en passant par l’adultère et ce téléphone qui s’obstine à se taire … Alors vaut mieux en rire et c’est le parti pris par Vincent Baguian. Il se regarde – émouvant Sous Souchon, bel hommage à la Chanson qui l’a précédé – regarde ce monde avec pas mal de dérision, de tendresse aussi comme dans On ne naît pas contractuelle ou Je gagne ma vie avec les morts.
L’amour est un joyeux capharnaüm, certes, on l’a compris, dans ce concert et dans les Bonus aussi… Quelques titres y complètent joyeusement le tableau : le Caddy de 2003, nommé C’est pas gagné d’avance en 2007 avec sa liste des petits rien qui tuent l’amour ou bien On n’a pas fait bon ménage… Quand le mot ménage est pris au pied de la lettre et mène au crime ! Mais le duo amoureux peut inspirer aussi de bien jolies chansons comme celle qui soulève l’enthousiasme du public avec raison : Ce soir c’est moi qui fais la fille… Ou bien quand il évoque son amoureuse en crise de nerfs pour quelques kilos en trop et qu’il pense au vélo : « Allez Marjolaine, on met le bébé sur le porte –bagage, en avant ! … Les vélos d’Amsterdam font des beaux culs aux dames /A celles qui se déchaînent et pédalent pour les fleurs et les petits oiseaux. »
Il est prévu que cette sortie d’album imprévisible, huit ans après l’enregistrement (et bien davantage pour les Bonus) s’accompagne, sur les réseaux sociaux, d’évocation de souvenirs, d’anecdotes qui enrichiront l’histoire de ces chansons, de photos, de vidéos, de manuscrits. Ce qui fait dire à Samuel Rozenbaum : « D’accord, peut-être que Vincent sort ce disque 8 ans trop tard et qu’il n’y a aucune bonne raison à ça, mais au moins, il le fait bien ».