L’empreinte Ferrat, 2018 (© La Lame et l’Iso)
7 janvier 2019 – album collectif L’empreinte Ferrat
Avec
Les voix de Valéria Altaver, Nicolas Bacchus, Balthaze, Jérémie Bossone, Michel Bülher, Imbert Imbert, Jules, Florence Naprix, Julie Rousseau, Thomas Pitiot, Mao Sidibé, Tedji, Wally et Zora.
Michel Kanuty (piano et claviers), Viviane Arnoux (accordéon), Yvan Descamps (batterie et percussions) et Franck La Rocca (basse),AmenViana, Wally, Thomas Pitiot, Jules, Jérémie Bossone, Vincent Thermidor (guitares), Viviane Arnoux, Florence Naprix, Julie Rousseau (chœurs)
L’empreinte Ferrat. Comme ce mot sonne juste et fort : l’empreinte… La marque en creux ou en relief laissée par les chants de Ferrat. Suffit d’entendre une salle entonner en chœur La montagne pour s’en persuader.
« Les chants de Ferrat » dit la présentation au dos de la pochette… Plus avant, plus loin que ne l’aurait dit le mot « chanson » ? Sans doute. Une façon d’ajouter de l’ampleur, du souffle, de la grandeur aussi. Il est donc question d’une marque, d’un sceau indélébile et d’essayer de le traduire avec les voix d’aujourd’hui, les musiques d’aujourd’hui. Ils se sont donc réunis, quatorze chanteurs pour mettre leurs « pas dans les siens ».
C’est donc cet album de reprises qui ouvre pour nous l’année 2019. Étrange coïncidence. Il est sorti le 16 novembre dernier, à la veille exactement d’un mouvement social qui, au fil des semaines, devait prendre de l’ampleur et mettre à mal le pouvoir en place, singulièrement pris au dépourvu… A ce jour le calme n’est toujours pas revenu… Or, certains textes choisis, chansons de lutte, de combat – sans concession, sans compromis – pourraient curieusement faire écho aux évènements actuels. Citons Hou, hou méfions-nous, titre sans pitié pour les flics qu’endosse brillamment Nicolas Bacchus, ou En groupe en ligue en procession, par Zora. Sa voix donne envie de danser comme le font souvent les chansons de Thomas Pitiot, leurs rythmes africains, où excellent ses musiciens, les fidèles Michel Kanuty aux claviers et Yvan Descamps à la batterie présents sur cet album. Rappelons que cette chanson est une réponse aux mots de Brassens dans Le pluriel, « sitôt qu’on est plus de quatre on est une bande de cons ».
Mais n’allons pas plus avant dans ce rapprochement que l’on pourra juger par trop hâtif. Qu’est devenue aujourd’hui en effet la poésie de Pablo Neruda ? On frissonne à l’écoute de la belle voix claire de Michel Bühler portée par l’accordéon et la batterie dans la complainte. Le mois d’août à Prague s’en souvient-on ? Et les garrots de l’Espagne, les tortures du Chili ? Se souvient-on de Jara ? De Sartre, de Marcuse… ?
On voudrait remercier ce collectif d’avoir choisi pour la chanson Le bruit des bottes, l’interprétation de Tedji, ce rap qui frappe, cogne les mots, la batterie, l’accordéon, le piano martelant la marche inexorable des pas cadencés … Et ces mots terribles que nous ferions bien d’écouter encore et encore comme une alerte : « On a beau me dire qu’en France /On peut dormir à l’abri /Des Pinochet en puissance /Travaillent aussi du képi »…
Jean Ferrat a su comme personne laisser dans les mémoires des chansons comme des drapeaux, des étendards… Même si nous savons que l’Histoire ne se fait pas en chansons, nous aimerions tant qu’il en fût autrement quand nous entendons Nuit et Brouillard chantée par Jules – tout de délicatesse, sensibilité et profondeur – Potemkine où la voix de Jérémie Bossone excelle – presque une évidence ce cri qu’il n’a pu retenir « Non ! Marin ne tire pas sur un autre marin ! » – et surtout, surtout Maria. L’interprétation de Julie Rousseau est portée par l’accordéon et le piano qui la subliment.
Notons que la réussite de cet album tient pour beaucoup au parti pris d’avoir mis les voix en tout premier plan, d’en avoir restitué toutes les inflexions, tous les souffles, et d’avoir ainsi souligné la force et la beauté des textes.
Chaque artiste a pu aussi donner sa touche très personnelle, habiller la chanson des couleurs propres à son univers, tout en conservant souvent l’accordéon comme un lien, une reconnaissance… On aime ainsi retrouver la sensibilité de Wally (celle du Projet Derli) dans L’amour est cerise – bel hommage à la femme, à l’amour, à la fragilité de la vie, souligné par l’accordéon voluptueux de Viviane Arnoux – le dépouillement de l’accompagnement de Imbert Imbert, conférant à La montagne une couleur nouvelle, les rythmes africains dans Ma France interprétée par Thomas Pitiot – joli message à peine subliminal ! – la version ensoleillée de Ma môme par Mao Sidibé, la voix de la soprane Valéria Altaver dans une version très rock de Horizontalement. Cette chanson confiée à une femme est un cadeau, tout comme la version subtilement caribéenne et militante de La femme est l’avenir de l’homme confiée à Florence Naprix. Et que dire de la voix de Balthazar tendrement, doucement accompagnée par l’accordéon dans Tu aurais pu vivre ?
L’album se referme sur un hymne collectif où les « voix en mosaïque » des quatorze interprètes se succèdent presqu’imperceptiblement… La guitare seule les accompagne. Ils signent par ce dépouillement l’authenticité d’un album profondément émouvant. Profondément fraternel.
C’est un joli nom Camarade
C’est un joli nom tu sais
Dans mon cœur battant la chamade
Pour qu’il revive à jamais
Se marient cerise et grenade
Aux cent fleurs du mois de mai