Les 50 ans du Métèque – Pause Guitare 2019 (© droits réservés)
2 juillet 2019 – Le Festival Pause Guitare 2019 fête Georges Moustaki
Les 50 ans du Métèque
Avec
Les musiciens de Georges Moustaki : Toninho do Carmo (guitares), Marc Madoré (basse), Luiz-Augusto Cavani (batterie), Rodrigue Fernandes (claviers, accordéon)
Par ordre de passage
Maria-Teresa Ferreira, Pia Moustaki, Gauvain Sers, Souad Massi, Yves Jamait, Catherine Le Forestier, Cali, La Pieta, Mouss et Hakim de ZEBDA.
Grand-Théâtre d’Albi (Tarn)
Musicien, rôdeur, voleur…
Métèque, juif, errant, pâtre grec…
Maraudeur, vagabond,
Prince de sang, adolescent… Et bien sûr, cheveux aux quatre vents ! A chacun, chacune – en scène et dans le public – de s’approprier les mots qui résonnent le mieux avec son idéal, son rêve. Cette chanson devenue légendaire, comme peut l’être Quand les hommes vivront d’amour de Félix Leclerc, pourrait aujourd’hui s’inscrire en lettres indélébiles au fronton de nos institutions tant elle rappelle de valeurs essentielles et surtout, surtout l’espérance en l’homme :
« Et nous ferons de chaque jour /Toute une éternité d’amour /Que nous vivrons à en mourir. »
C’est ainsi, dans ce refrain repris à l’unisson, que s’est achevée cette soirée d’anthologie, en prologue du festival Pause Guitare 2019, avec en scène tous les participants réunis, avec un public debout, avec quelques poings levés dans l’assistance, avec une banderole affichant ces mots : « Barcelone toujours avec Moustaki dans notre cœur. »
De la joie, de l’effervescence, de l’émoi…
Un amour partagé pour l’homme qui s’affiche d’entrée sur le grand écran, pour la bonté de ses yeux, la douceur de son sourire d’une photographie légèrement passée sous l’épreuve des ans… Sur cet écran on a vu défiler ses dessins, ses couleurs vives, ses silhouettes de femmes alanguies. C’est l’occasion de rappeler qu’il est possible de voir et revoir ses dessins dans son petit ouvrage, publié aux Editions L’Archipel en 2012, son abécédaire amoureux de la chanson, avec un avant-propos signé Marc Legras qui sait tout, ou presque, sur lui…
Pour cette soirée où Nilda Fernandez devait être présent, on relèvera ces quelques mots qu’il y consacre à son ami : « « Nilda est mon petit frère et une de mes grandes admirations. Sa sensibilité, sa musicalité, son originalité le placent en marge (et en tête) de chanteurs franco-espagnols […] C’est quelqu’un qui me manque quand il s’éloigne. » Cette fois, c’est sans appel, ils manqueront tout de bon, Georges et Nilda, faiseurs de chansons et hommes doux et généreux…
Le 23 mai 2018, Pia Moustaki avait déjà réuni, pour les cinq ans de la disparition de son père, Cali, Nilda Fernandez, Costa Gavras, Paco Ibanez, Angélique Ionatos, Agnès Jaoui, Joyce Jonathan, JP Nataf, François Morel, Mouss & Hakim de Zebda, Maria Teresa Ferreira, Catherine Ringer, Sapho, Gauvain Sers, Nikos Aliagas, et Rosemary Standley de Moriarty… Aujourd’hui, c’est autour d’une chanson devenue symbolique de toute une œuvre que se réunissent ses invités. On ne dira jamais assez la force politique de la Chanson qui nous est nécessaire. Elle nous rappelle à notre humanisme.
C’est Yves jamait qui avait ouvert la soirée avec cette énergie qu’il répand aussitôt, à peine débarqué en scène. Très vite il énonce, dans un texte dit, la longue liste de ce qui vient nourrir ses chansons, son concert. Avec sa coupe de cheveux de gamin, ce soir, on s’est attardé sur l’enfance et « quelques écorchures »… Un grand môme décidément cet Yves Jamait avec sa soif d’amour qu’il répand dans la salle, avec ses envies de croquer la vie avec rage, encore et encore… On ne résiste pas à cette force là, à son appel à la liberté qui va si bien à celui que l’on honore ce soir… Disons d’emblée que son intervention ensuite au cours de la deuxième partie, est marquée du sceau de l’élégance, la sobriété dans l’interprétation. On note tout de suite qu’il n’a pas besoin de la partition sur un pupitre pour chanter Ce soir mon amour, une chanson d’exception de Georges Moustaki pour dire la femme rêvée « Je te connais par cœur et je ne sais plus rien /De toi mon amour que je n’aime plus /Sans arriver à me sentir enfin libre /Pareil à un danseur qui perdrait l’équilibre /Comme un prince en disgrâce comme un ange déchu. » Quel choix magnifique que sa deuxième reprise, chanson très autobiographique celle-là, dédiée au grand-père, « exilé de Corfou et de Constantinople » : « C’est pour toi que je joue, grand-père, c’est pour toi, /Tous les autres m’entourent mais toi tu m’attends. /Même si tu es loin dans l’espace et le temps, /Quand il faudra mourir, on se retrouvera. »
Cet hommage avait débuté avec un trop plein d’émotion, autour des musiciens de Georges Moustaki qui feront ce soir une prestation superbe, retrouvant les chansons de celui qu’ils ont tant accompagné, mais aussi escortant celles des participants… Autour de Pia Moustaki, dont on mesure aisément le bouleversement intérieur à présenter ses invités, à chanter elle-même pour une telle occasion. Le concert avait un peu peiné à trouver son rythme, même si nous savourions nos retrouvailles avec les chansons, avec la vie qui va, qui bat, qui se bat… avec « Un pas, une pierre, un chemin qui chemine /Un reste de racine, c’est un peu solitaire… » Avec la nonchalance, la lenteur, le goût, le temps de vivre… et les amis, ceux qui « gardent la tête dans les étoiles » Les amis de Georges qu’interprète Gauvain Sers, comme un salut respectueux de le jeune génération à ceux qui les ont précédés et leur montrent la voie.
Cet hommage finira par nous emporter, nous ravir jusqu’à près d’une heure du matin ! Saluons Souad Massi, sa voix superbe dans sa langue originelle et son choix de l’incontournable Ma solitude. La généreuse, l’émouvante, troublante Catherine Leforestier quand elle « déclare l’état de bonheur permanent ». On ne doute alors pas une seconde de la sincérité de son interprétation d’un texte majeur pour sa génération, la nôtre… Saluons Cali, l’ami de ce festival, qui partage cet instant avec Maria Teresa Ferreira « Il y avait un jardin qu’on appelait la terre /Il était assez grand pour des milliers d’enfants » – chanson étrangement prophétique – puis avec Yves Jamait dans Sans la nommer… Cali, c’est un cri, un poing fermé ce soir quand il évoque ses grands-parents calabrais, la naissance de son père sous les bombes à Barcelone, quand il ouvre sa dédicace à Nilda Fernandez, à tous ceux qui fuient aujourd’hui, quand il chante sa chanson Guiseppe et Maria.
Cette puissance tragique, La Pieta, chanteuse que le récent Prix Moustaki a mise en lumière, l’illustrera aussi après avoir repris Nous voulions, l’hymne de nos années d’« imagination au pouvoir », d’« aurores nouvelles ». L’hymne de toute une génération … « Toute la mer à boire ».
C’est le duo fraternel des toulousains, Mouss & Hakim, qui clôturent cet hommage avec la joie communicative que nous leur connaissons. Le public alors ne se prive pas de chanter Nous sommes deux et surtout La marche de Sacco et Vanzetti, avant de se laisser emporter dans le titre devenu légendaire de Zebda Y a pas d’arrangement : « Allez roule, et si on a plus rien dans le ventre /On vient, on met le feu, et puis on rentre… » Hommage aussi au choix de vie des artistes, « maraudeurs, vagabonds ». Tous enfants de Métèque.