Les quatre tentacules des GAFA (© Kalonji /Le Temps)
11 février 2021 – Piégés ou sauvés par ce monde virtuel ?
Quelques réflexions et propositions, glanés ici et là,
pour répondre à l’interdiction du spectacle vivant
Avec, par ordre d’apparition dans le texte
Guillo /Guillaume Galliana – Jean-François Delfour – Emma la clown – Mika – Françoise Gillard (sociétaire de Comédie Française) – Marin Bonazzi – Odyssud – Olivier de Robert – Voix du Sud – Jean-Claude Barens – Marion Cousineau – Matéo Langlois – Evelyne Gallet – Leïla Huissoud – Frédéric Bobin – Le Bijou
C’est Guillaume Galliana, Guillo de son nom d’artiste qui nous interpelle au moment où il annonce la sortie du clip de « Je ne suis pas un robot », en soulignant ce paradoxe : « Me voici aujourd’hui à « dénoncer » notre dépendance aux écrans, notre servitude aux injonctions et à la robotisation de la société en utilisant… des robots et des algorithmes made in GAFA. Si loin de la vie tangible, des lumières, du pied de micro, des retours, des fauteuils plantés devant moi et vous assis dedans…. » Ce qui lui vaut une réponse de Jean-François Delfour (10 ans de direction artistique des Rencontres d’Astaffort) partageant avec lui « ce sentiment étrange de s’être laissé gentiment piégé par ce monde virtuel, une mise en lumière (froide) de notre univers intérieur »… Voilà donc le débat ouvert, et pas à la veille d’être refermé si l’on en croit l’invasion de propositions pour pallier à la privation du vivant. Le clip tourné dans les Landes, dans un décor bien éloigné de cette immatérialité qui nous enferme, donne à voir les pieds de l’homme qui marche dans les feuilles mortes, des mains qui dessinent, colorient, cuisinent, poncent et scient, trinquent, des regards chaleureux, et des voix qui répètent ad libitum « Je ne suis pas un robot »…
Et pourtant Guillo nous fait partager ses six dernières chansons en disant « Le seul moyen de les faire s’envoler réside dans une technologie artificielle, dépourvue de chair, dépourvue de sentiments… ». Piégé, oui, gentiment piégé… A l’autre bout de la chaîne c’est avec cette technologie que nous les écoutons… Piégés, oui, gentiment piégés.
Et la création virtuelle se fait de jour en jour plus prégnante, plus évidente devant ce temps qui s’allonge, devant cette absence d’horizon de reprise du spectacle vivant.
Il nous paraîtrait d’ailleurs injuste de ne pas faire mention des efforts, des initiatives comme nous en avions rendu compte pendant les 55 jours du printemps 2020. Aujourd’hui il nous paraît même important d’avoir édité ce qui pourra un jour témoigner de la vitalité de la culture, même ainsi emprisonnée ( Les Jubilations de l’écriture /« Une cage où l’on apprend l’oiseau »/55jours, printemps 2020 chez Inspir’ Editions).
Voici donc quelques exemples de cette force vitale. Le 1er février France Télévision (canal 19 de la TNT) donnait naissance à une nouvelle chaîne « CultureBox » uniquement consacrée à des retransmissions inédites de spectacles vivants, recevant chaque soir à 20h10 en direct des artistes dans toutes les disciplines… A ce jour, ce rendez-vous est une belle fenêtre ouverte sur la création sans frontières ni de style, ni de genre. On avoue avoir été sous le charme une fois encore de l’apparition d’Emma la Clown le 4 février. Quant au concert de Mika à l’Opéra Royal du château de Versailles, il restera un souvenir exceptionnel de la rencontre entre les musiques que l’on se plaît à séparer. L’artiste accompagné par Orchestre de l’Opéra royal de Versailles, dirigé par Stefan Plewniak, accueille avec sa franchise et sa joie coutumières des noms prestigieux de la musique classique, le violoncelliste Gautier Capuçon, le contre-ténor Jakub Józef Orliński, la soprano Ida Falk-Wiland, le guitariste Thibaut Garcia, et s’entoure du chœur Gospel Pour 100 Voix. A voir et revoir…
Les radios ne sont pas de reste, comme nous l’avons souligné dans de précédentes chroniques.
Des institutions prestigieuses comme la BnF et la Comédie française non plus. Soulignons le cycle A voix haute, des lectures enchantées comme celle de la comédienne Françoise Gillard consacrée à Colette, à quelques nouvelles des Vrilles de la vigne, où s’illustrent les thèmes de la nature, du double, du monde du spectacle… Nous retiendrons particulièrement La dame qui chante évoquant un plaisir quasi orgasmique à l’écoute d’une voix « Être l’amante de cette femme que sa voix transfigure… » On avouera qu’il s’agit là d’un hommage appuyé au spectacle vivant auquel Colette consacra des années de sa vie !
Le 2 février, nous avons pu assister à la captation, dans la grande salle d’Odyssud (Blagnac), dans les conditions du direct, d’une création cirque, danse, hip-hop de Carré Blanc Compagnie (Michèle Dhallu, chorégraphe) : Borders and Walls. Trois garçons, deux filles, tous très jeunes, expriment corporellement une révolte, un cri contre notre monde emmuré, « une boule d’énergie et de feu » que le compositeur Marin Bonazzi, alias le chanteur Marin, Marin, traduit en bruitages, sons, musique électronique.
Nous apprenons qu’en Ariège une WebTV voit le jour, nommée « Rideaux rouges et canapés » offrant un rendez-vous hebdomadaire. La première séance, le 12 février, invite Olivier de Robert, « Cathares, le destin inachevé », en direct depuis La Limonaderie à Foix, offerte par le Conseil départemental. Ensuite on pourra entendre du blues, puis l’Orchestre de chambre d’Hôte du guitariste Jean-Paul Raffit, puis du théâtre… Quant à Voix du Sud, son équipe propose à partir de ce soir Les Beaux jeudis d’Astaffort. Le projet est ainsi libellé : « 20 semaines, 20 jeudis, 20 artistes, 20 concerts, 20 univers très différents. La chanson dans tous ses états. » Autant dire que l’on s’installe dans la durée…
Bien sûr on ne manquera pas de s’arrêter sur des pages Facebook qui ne bénéficient pas d’une quelconque renommée médiatique, comme celles de Jean-Claude Barens, toujours fidèle au souffle poétique et à ceux qui en sont la sauvegarde, comme ce 4 février avec le poème d’Aragon Le conscrit des cent villages (La Diane française, 1943), « ce chapelet de noms de terroirs, où le dictionnaire des communes de France devient la source inattendue d’une tristesse mélodieuse et vraie. » (Claude Roy). On a retenu aussi celle de Marion Cousineau qui publie un slam, Au milieu, filmé l’été dernier par 40°C dans le grenier de la sacristie de l’église de Scott, dans le cadre d’une résidence à Nouaisons (Québec). Elle est l’auteur des textes, du son, des images, du montage… « Je me sentais plusieurs », témoigne-t- elle… Et cette vidéo m’a semblé faire un étonnant clin d’œil à celle de Matéo Langlois qu’il titre Pipeau for the Gods. Il s’y s’exerce à des recherches sonores dans une église et dit : « Des fois on dirait qu’il y a des gouttes d’eau dans le creux des notes, c’est rigolo et un peu beau. Merci dieu – il n’y met pas de majuscule- ta maison sonne pas mal. »
Et puis il y a les artistes qui veulent contre vents et marées retrouver l’écoute du spectateur, son souffle, son émotion… du vivant quoi ! Et tenter aussi de sauver quelques ressources financières, en respectant toutes les contraintes légales. Alors ils se lancent dans des projets un peu fous comme Evelyne Gallet et Le téléphone ose (vous voyez le jeu de mots ? Tout Evelyne ça !) A ce jour deux l’ont rejointe : Leïla Huissoud et Frédéric Bobin. C’est d’ailleurs le moment si vous voulez profiter d’un cadeau tout à fait inattendu pour la St Valentin : offrir ou s’offrir une chanson au téléphone en échange d’une participation libre…! Et le slogan c’est : « Vivez l’émotion au bout du fil ! » Un conseil : allez vite voir le site, vous ne serez pas déçus ! https://www.letelephoneose.com/
Enfin, dans la même veine, mais avec Le Bijou pour orchestrer votre rendez-vous : pour 5 € une chanson à votre porte –il est conseiller de faire entrer le livreur ! – avec un chanteur ou une chanteuse en chair et en os ! Cette fois le projet se nomme Delivreznoo … et bien sûr, il faut habiter Toulouse ! Voilà, on s’en doutait, vous êtes jaloux…
La première c’est samedi 20 février entre 11h et 18h.Vous pouvez commander par ici : https://www.le-bijou.net
Alors ? Piégés ou sauvés par ce monde virtuel ?